Journal de Constance Goybet

(Annonay, 1863 - Lyon, 1945)

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Voici quelques extraits d'un journal de Bonne-Maman Jaillard (Constance Goybet) de 1871. Il y en a encore jusqu'au 5 février 1872. Je copierai quelques passages intéressants une autre fois : entre autres une aurore boréale et la visite de l'empereur du Brésil. J'ai laissé les fautes, mais elle n'avait que huit ans : ce n'est pas si mal !

Geneviève CROUÏGNEAU.

NDLR - Nous respectons la syntaxe, mais corrigeons " l'orthographe ), de l'original qu'envieraient peut-être bien des parents... mais qui dérouterait sûrement tous les lecteurs !

Luisa Gignoux-Goybet (1858-1938), Victor Goybet (1865­1947) et Henri Goybet (1868-1958) sont la soeur aînée et les frères cadets de Constance. Henry (1790-1866) et Marie (1810-1908) Tabareau sont ses grand-oncle et grand-tante. Victor Bravais (1842-1929) est son oncle.

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Lundi 6 novembre 1871

(...) Ce matin, je n'ai pas été sage. Je faisais que me moquer de Luisa, et quand j'ai dit une bêtise, elle s'est mise à rire. Alors j'ai fait un tintamarre, parce que je disais qu'elle se moquait de moi. Mais je pense que je serai plus sage une autre fois. (...)

Mardi 14 novembre 1871

(...) Ce matin, j'ai été à ma leçon. Mademoiselle ne m'a pas trouvée gentille, je n'ai eu que deux bons points, et aussi elle m'a bien grondée. Si j'avais été à sa place et que j'eus une petite fille aussi sotte comme moi, je lui aurais bien donné le fouet, mais elle est si bonne qu'elle ne me l'a pas donné. J'ai un petit ballon, qui coûte deux sous.

Jeudi 16 novembre 1871

(...) Après le déjeuner, j'ai fait du caramel avec mon frère Henri, mais je me suis bien brûlé le doigt, ce qui me gênerait bien pour écrire si ce n'était pas la main gauche. (...) Je suis invitée pour aller chez une dame pour avoir une lanterne magique. Ça m'amuse bien. (...)

Vendredi 17 novembre 1871

(...) Ça m'ennuyait bien de sortir, alors Maman nous a dit de rendre des bouteilles au pharmacien, et les sous qu'on rendrait seraient pour nous. J'ai été bien contente et je suis sortie. (...) Il faut que je descende dîner. Nous avons deux personnes : mon oncle et ma tante Tabareau.

Mercredi 29 novembre 1871

(...) Je suis invitée avec ma soeur chez une dame qui s'appelle madame Mérite. Nous allons y passer toute la journée, et puis elle nous mènera à la crèche et nous nous amuserons bien. (...) J'ai une grande poupée qui aura deux ans au jour de l'an. (...)

Lundi 11 décembre 1871

Ce matin, c'était la leçon de Luisa. Nous ne sommes pas sorties et j'ai bien fait des devoirs. Seulement, je me suis mise en colère contre Luisa, ce qui lui a fait bien de la peine, et puis j'ai jeté les chaises par terre. Je dis bien que Luisa m'ennuie, mais je crois que c'est moi qui ai tort. Pauvre fille ! Pauvre Luisa !

Vendredi 22 décembre 1871

Ce matin, c'est la leçon de piano de Luisa à huit heures et demie, et à trois heures c'est sa leçon de tout. Je me suis bien amusée avec mon petit frère Henri. Je disais que j'étais la mère Croquemitaine, mais je lui ai fait peur. Je suis entrée dans ma chambre et je lui ai dit de demander pardon à la mère Croquemitaine. Alors le pauvre petit s'est mis à genoux devant moi et m'a demandé pardon en tremblant et il s'est mis à pleurer. Alors je l'ai pris sur mes genoux, je l'ai embrassé, et ça l'a consolé. (...)

Mardi 26 décembre 1871

(...) Je ne suis pas allée à la messe de minuit. J'avais bien envie d'y aller. Nous avons eu du monde: 1°) ma marraine et son mari ; 2°) ma tante Tabareau et mon oncle Bravais. Nous avons bien mangé des bonbons. Aujourd'hui, je suis sortie avec Maman et j'ai acheté premièrement deux pistolets de quatre sous, puis un de dix sous.

Mardi 9 janvier 1872

(...) Pendant ma leçon, j'ai dit une bêtise. Voilà que tout d'un coup, j'ouvre mon placard. Comme ça ennuyait Luisa que Mademoiselle voie son linge, elle me fait de gros yeux, alors je dis à Mademoiselle : « Tiens, voilà Luisa qui me fait de gros yeux. » Alors Luisa m'a appelée et m'a dit : « Tu es bête comme un pot. » Ça m'a bien fâchée, mais je ne lui ai rien dit. (...)

Vendredi 12 janvier 1872

Aujourd'hui, c'est la leçon de Luisa à quatre heures. Mademoiselle se peigne ordinairement horriblement mal, et aujourd'hui, quel fut mon étonnement de la voir si bien peignée. Devant, c'était crêpé, derrière, c'était aussi joli que devant. Elle avait aussi une très jolie robe grise garnie de brun. C'était très joli. Son chapeau était la même chose que les autres jours. (...)

Samedi 13 janvier 1872

(...) Ce matin, j'ai fait une scène parce que je voulais faire lire Henri et que Luisa l'a fait lire avant moi. Alors j'ai crié, tapé du pied, comme un petit enfant. Alors Maman n'a pas voulu me donner de la confiture. Alors j'ai recommencé, mais je pense que je ne le ferai plus.

Mercredi 24 janvier 1872

(...) Nous avons une de nos tantes très malade. Elle va mourir. Nous allons être en deuil. Oh mon Dieu, cette bonne tante qui meurt, elle qui nous a donné quinze cents francs ! Oh, que c'est donc malheureux ! (...)

Vendredi 26 janvier 1872

(...) Maman va aller demander des nouvelles de ma tante. Victor est allé dans un couvent pour dire de prier pour sa marraine (car c'est sa marraine). Les soeurs l'ont bien promis, mais enfin, Dieu fera ce qui lui plaira. (...)

Samedi 21 janvier 1872 [sic]

(...) Aujourd'hui, nous sommes allés aux bains, Victor, Henri et moi. Nous avons bien crié. Il est vrai que Victor ne faisait que me jeter de l'eau dans les yeux. La tante Périsse ne va pas mieux.

 

In La gazette de l'île Barbe n° 10

Automne 1992

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