Frédéric Ozanam a
été béatifié le 22 août 1997
à Notre-Dame de Paris par le pape Jean-Paul II. Sa fête
a été fixée le 9 septembre, lendemain de
l'anniversaire de sa mort, le 8 septembre 1853, qui tombait le jour
de la Nativité de la Vierge. La béatification consiste pour
un pape à déclarer qu'une personne défunte jouit
de la béatitude éternelle des justes auprès de
Dieu, et à autoriser les fidèles à lui rendre un
culte liturgique public. Elle ne peut être
décidée qu'après une procédure
contradictoire, qui, pour Frédéric Ozanam, a
commencé 71 ans après sa mort et a duré 73
ans. Le procès informatif ordinaire
pour l'introduction de la cause, commencé le 30 novembre 1924,
fut établi du 10 juin 1925 au 8 juin 1928 à
Paris. Les volumineux écrits de
Frédéric Ozanam furent examinés
théologiquement par la Congrégation pour les causes des
saints et approuvés par décret du 11 novembre
1949. Le procès apostolique,
ordonné par décret du 12 janvier 1954, fut
établi du 30 septembre 1955 au 6 juin 1956 à Rome. Les
deux procès furent approuvés le 17 janvier 1962.
Leur matière paraissant
cependant insuffisante, l'Office historico-hagiographique de la
Congrégation pour les causes des saints rédigea du 12
octobre 1973 au 9 juillet 1980 une enquête de plus de 1.200
pages, concluant "que la
personnalité du Serviteur de Dieu ne se révèle
pas seulement comme l'une des plus grandes de l'Église
française du XIXe
siècle, mais comme l'une des plus insignes du monde laïc
catholique." Après la
phase finale de discussion sur les vertus, leur
héroïcité fut reconnue et Frédéric
Ozanam fut proclamé vénérable par décret
du 6 juillet 1993. Enfin, le décret du 25 juin 1996
a reconnu un miracle obtenu le 2 février 1926 par
l'intercession de Frédéric Ozanam, par lequel Fernando
Luiz Benedicto Ottoni, brésilien alors âgé de 18
mois et toujours vivant aujourd'hui, a guéri d'une
diphtérie foudroyante. Notons que le pape peut canoniser un
bienheureux dès lors qu'un deuxième miracle lui est
reconnu. Frédéric Ozanam
était cousin issu de germains de Louis Jaillard,
grand-père d'Henri Jaillard, Lison [Louise] de Raucourt et
Magdeleine Lepercq. Lui-même habitant Paris,
où il enseignait à la Sorbonne, ses cousins Jaillard
(surtout Pierre puis Louis) prenaient soin, après la mort de
ses parents, de sa famille et de ses intérêts
restés lyonnais, et notamment de son frère Charles. Le
17 septembre 1852, il écrivait à celui-ci :
" Il faudrait écrire
à Mlle Julie Jaillard, qui a du coeur et de la tête, et
qui est peut-être la parente la plus capable de
découvrir pour Isaure [Couyère] une bonne position.
J'insiste sur ce point : c'est toujours du côté des
Jaillard que nous avons trouvé des lumières et de
l'appui dans les jours mauvais. Ma cousine les connaît et a
confiance en eux." Et c'est
finalement à Cornélie Jaillard-Charmy, "qui les aime beaucoup," qu'il devait écrire lui-même
à ce sujet une quinzaine de jours plus tard. Particulièrement attaché
à son oncle à la mode de Bretagne Pierre Jaillard, il
le choisit pour être témoin de son mariage, le 23 juin
1841 à Lyon. A cette occasion, dans une lettre du 13 mai 1841
à sa fiancée, il jugeait avec humour que ses cousins
seraient aussi inaptes que lui à ouvrir le bal... Pendant la révolution de 1848,
c'est à Pierre Jaillard, ancien maire de Saint-Rambert, qu'il
demanda le 21 mars des informations sur la crise économique et
sociale à Lyon, puis le 9 avril des renseignements sur les
chances d'une éventuelle candidature à Lyon aux
élections constituantes du 23 avril. Pierre Jaillard lui
répondit le 13 avril : "l'opinion de tout ce qui veut l'ordre et le
bien à Lyon est que vous devez avoir toute chance favorable,
à moins que la cause de la république, telle que nous
devons tous la désirer, ne soit irrévocablement
perdue." Finalement candidat,
il obtint 16.000 voix, qui ne suffirent pas à
l'élire. Cependant, il s'affligeait beaucoup de
la mauvaise santé de Pierre Jaillard. Ayant appris son
extrémité "à la fois par deux lettres, l'une de M.
Berloty, l'autre de M. Dufieux," il exprima dans deux lettres du 10 juin 1851,
l'une à Alexandre Dufieux, l'autre à Pacôme
Jaillard, sa peine et son estime pour "celui de [ses] parents [qu'il] honore et
[qu'il] aime le plus," " un parent si cher, celui que dès
l'enfance [sa] bonne mère [lui] avait appris à honorer
comme le modèle de l'homme de bien et du chrétien,
celui qui fut toujours le conseiller, le soutien et l'honneur de [sa]
famille." À Pacôme Jaillard :
"Depuis que nous savons son
danger et votre chagrin, nous n'avons cesse de le recommander
à Dieu le matin et le soir, ma femme, Charles et moi.
Aujourd'hui même, je vais à Notre-Dame-des-Victoires
demander pour lui les prières de M. Desgenettes et de
l'Archiconfrérie. Et maintenant, mon cher cousin, je t'en
supplie, donne-moi des nouvelles, ne me laisse pas dans une ignorance
qui m'est trop pénible. Dis bien à ta bonne
mère, à tes soeurs, à tes frères, la part
que je prends à vos douleurs. Comment pourriez-vous en douter,
vous qui avez toujours été de moitié dans toutes
nos peines ? J'espère que Dieu nous exaucera, mais dans tous
les cas, je suis sûr qu'il ne peut avoir que des desseins de
miséricordes sur une famille où il est si aimé
et si bien servi." À Alexandre Dufieux :
"Ah ! cher ami, quelle perte !
Quel homme de bien, quel citoyen utile, et pour mieux dire, quel
grand chrétien ! Nous parlons souvent de vertus antiques, nous
regrettons de n'en plus voir, et nous en avons sous les yeux. C'est
notre faiblesse qui les trouve antiques pour se faire un
prétexte de ne les pratiquer plus." Pierre Jaillard étant mort le 12
juin 1851, le futur bienheureux adressa à sa veuve cette
splendide lettre de condoléances, longtemps conservée
par la famille Mayet : "Paris, 17 juin
1851. "Madame et chère
parente, "Qu'il m'est pénible dans un
moment aussi douloureux de ne pas être auprès de vous !
Et que ne donnerais-je pas pour voir la meilleure et la plus
chère amie de ma mère, et mes cousines et mes cousins
si aimés, quand Dieu les frappe d'un coup dont je connais
toute la rigueur ! Vous qui avez pris votre part de toutes nos
épreuves, vous que nous avons toujours trouvés si
fidèles dans la tristesse comme dans la joie, comment vous
dirai-je combien il m'en a coûté de ne pas être
là pour rendre avec vous les derniers devoirs à l'homme
le plus vénéré de notre famille ! Hélas !
il y a trois semaines, que j'étais bien loin de m'attendre
à cette accablante nouvelle ! Et quand j'ai appris vos
inquiétudes, j'espérais encore que le danger
s'éloignerait comme il s'etait éloigné d'autres
fois, et que la divine Providence nous conserverait, non pour nous
seulement, mais pour le bien public, ce parent dévoué,
ce juste, ce grand chrétien. Nous nous étions
empressés de solliciter pour lui des prières.
Peut-être, disions-nous, Dieu se laissera faire violence et
laissera sur la terre un de ces hommes dont les vertus la rendent
agréable à ses yeux ! Dieu en a disposé
autrement, et pour nous la perte est immense ; mais pour lui, votre
foi n'a pas besoin que je le dise, pour lui commence le repos qu'il
n'a jamais voulu connaître ici-bas, pour lui la gloire, pour
lui le bonheur de contempler son Sauveur face à face. Il n'est
pas même troublé par le chagrin de vous avoir
quittés, car il ne nous quitte pas ; il nous voit, nous tous
qu'il aimait ; il nous embrasse tous d'une vue infiniment plus
puisante et plus sûre. Il n'abandonne ni la compagne de toute
sa vie, ni ses filles si chères ni ses fils ; il aura pour eux
des inspirations encore plus sages que tous les conseils qu'il leur
donnait sur la terre ; il leur obtiendra des grâces encore plus
efficaces que la protection dont il les couvrait. Heureuses,
heureuses jusque dans l'amertume de leurs larmes, les familles qui
ont leur père au nombre des saints ! Elles grandissent sous sa
bénédiction, leurs enfants s'élèvent
comme d'eux-mêmes et trouvent leur chemin tout frayé
dans la société par le souvenir des vertus paternelles.
Plus que toute autre, Madame et chère parente, vous
goûterez cette consolation. Vous voyez déjà les
leçons et les exemples de M. Jaillard revivre autour de vous,
et les regrets de la ville entière vous ont fait voir qu'un
nom si respecté ne périra jamais. Ah ! Lyon va me
paraître bien triste quand je n'y retrouverai plus celui
à qui les miens et moi nous devions tant. Et cependant, le
temps me dure de m'y retrouver pour vous dire combien nous sommes
touches de votre douleur. Que ma bonne cousine Julie, que Louis et
Pacôme reçoivent aussi l'expression bien tendre de notre
amitié ; nous n'oublions point ma cousine Camille et Joseph,
les plus malheureux puisqu'ils ont le moins joui d'un si bon
père. Ma femme, mes frères, ma belle-mère se
joignent à moi pour vous assurer que nous prierons avec vous
et pour vous présenter, Madame et chère parente, les
plus affectueux respects. "Votre très humble,
très dévoué et bien affligé
parent, A.-F. OZANAM." À la génération
suivante, Frédéric et surtout Charles Ozanam
s'entendaient particulièrement bien avec Pacôme
Jaillard. Frédéric faisait son éloge à
son père le 24 décembre 1850 : "L'excellent Pacôme est venu nous trouver
et nous montrer une fois de plus par sa cordialité et son
aimable épanchement combien notre famille de Lyon nous aime
encore. Depuis le passage de ce cher cousin, nous avons souvent
répété entre nous que vous devez être bien
fier d'un tel fils, si chrétîen, si affectueux, avec
tant de bonne grâce dans sa personne et dans toutes ses
manières. Nos dames ne tarissent point sur son compte et je
crois que si Mme Jaillard les entendait, elle aurait peine à
défendre son coeur d'un sentiment d'orgueil que Dieu, du
reste, pardonne aux mères." Frédéric Ozanam
était reconnaissant à Julie Jaillard de la part qu'elle
prenait à ses oeuvres charitables, comme il l'exprime dans des
lettres du 10 avril et du 25 juin 1843. Mais il caressait aussi un projet
concernant Camille Jaillard. Le 21 avril 1853, il écrivait
à son frère Charles : "Ton dernier envoi de Paris m'a bien
affligé. J'ai vu fuir une de mes plus chères
espérances, celle d'une alliance qui aurait resserré
nos noeuds de famille avec les Jaillard. Il me semblait que tout
était là avant tout la piété, les
traditions communes, une fortune modeste, et une personne aimable et
distinguée. Espérons que Dieu ne le voulait pas puisque
tu ne l'as pas voulu." Ce jour
même, Camille signait devant Maître Berloty son contrat
de mariage avec Albin Mayet, qu'elle devait épouser le 25
avril. Frédéric en félicita sa mère le 8
mai de San Jacopo, près Livourne, en Italie : "Je n'ai pas encore le plaisir de
connaître M. Mayet, mais quel bien ne dois-je pas penser de ce
jeune homme puisque vous l'avez jugé digne d'être
appelé votre fils !" Il ne devait jamais revoir Lyon ni sa
famille. Il mourut à Marseille, au retour de ce dernier voyage
en Italie, et fut enterré dans la crypte de l'Institut
catholique de Paris. Dans la famille Jaillard, il laissa au fil des
générations un souvenir très vif, source de
fierté mais aussi d'exigence. Pierre
JAILLARD. Ceux qui, à l'instar des membres
des Conférences, souhaitent participer aux frais
engagés pour l'organisation de la cérémonie de
béatification de Frédéric Ozanam et pour
l'accueil du Saint-Père à la cathédrale
Notre-Dame de Paris, peuvent adresser leur don éventuel
à la : Le Conseil général
international.
Paris, août
1997. "L'amour vient de Dieu" (1 Jn 4.7).
L'Évangile de ce jour nous présente la figure du bon
Samaritain. Par cette parabole, le Christ veut montrer à ses
auditeurs qui est le prochain cité dans le plus grand
commandement de la loi divine : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de
tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout
ton esprit, et ton prochain comme toi-même" (Lc 10.27). Un
docteur de la loi demandait que faire pour avoir part à la vie
éternelle : il trouva dans ces paroles la réponse
décisive. Il savait que l'amour de Dieu et du prochain est le
premier et le plus grand des commandements. Malgré cela, il
demande : "Et qui donc est mon prochain ?" (Lc 10.29). Le fait que Jésus propose un
Samaritain en exemple pour répondre à cette question
est significatif. En effet, les Samaritains n'étaient pas
particulièrement estimés par les Juifs. De plus, le
Christ compare la conduite de cet homme à celle d'un
prêtre et d'un lévite qui virent l'homme blessé
par les brigands gisant à demi mort sur la route, et qui
passèrent leur chemin sans lui porter secours. Au contraire,
le Samaritain, qui vit l'homme souffrant, "fut saisi de pitié"
(Lc 10.33) ; sa compassion l'entraîna à toute une
série d'actions. D'abord il pansa les plaies, puis il porta le
blessé dans une auberge pour le soigner ; et, avant de partir,
il donna à l'aubergiste l'argent nécessaire pour
s'occuper de lui (cf Lc 10.34-35). L'exemple est éloquent. Le
docteur de la Loi reçoit une réponse claire à sa
question : qui est mon prochain ? Le prochain, c'est tout être
humain, sans exception. Il est inutile de demander sa
nationalité, son appartenance sociale ou religieuse. S'il est
dans le besoin, il faut lui venir en aide. C'est ce que demande la
première et la plus grande loi divine, la loi de l'amour de
Dieu et du prochain. Fidèle à ce commandement
du Seigneur, Frédéric Ozanam a cru en l'amour, l'amour
que Dieu a pour tout homme ! Il s'est lui-même senti
appelé à aimer, donnant l'exemple d'un grand amour de
Dieu et des autres. Il allait vers tous ceux qui avaient davantage
besoin d'être aimés que les autres, ceux auxquels Dieu
Amour ne pouvait être effectivement révélé
que par l'amour d'une autre personne. Ozanam a découvert
là sa vocation, il y a vu la route sur laquelle le Christ
l'appelait. Il a trouvé là son chemin vers la
sainteté. Et il l'a parcouru avec détermination.
"L'amour vient de Dieu." L'amour de
l'homme a sa source dans la loi de Dieu ; la première lecture
de l'Ancien Testament le montre [cf. Si
3.29-4.10]. Nous y trouvons une description détaillée
des actes de l'amour du prochain. C'est comme une préparation
biblique à la parabole du bon Samaritain. La deuxième lecture,
tirée de la première lettre de saint Jean,
développe ce que signifie la parole "l'amour vient de Dieu".
L'apôtre écrit à ses disciples : "Mes
bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour
vient de Dieu. Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu et ils
connaissent Dieu. Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car
Dieu est amour" (1 Jn 4.7-8). Cette parole de l'apôtre est
vraiment le coeur de la révélation, le sommet vers
lequel nous conduit tout ce qui a été écrit dans
les Evangiles et dans les lettres apostoliques. Saint Jean poursuit :
"Voici à quoi se reconnaît l'amour : ce n'est pas nous
qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés, et il
a envoyé son Fils, qui est la victime offerte pour nos
péchés" (ibidem,
10). La rédemption des péchés manifeste l'amour
que nous porte le Fils de Dieu fait homme. Alors, l'amour du
prochain, l'amour de l'homme, ce n'est plus seulement un
commandement. C'est une exigence qui découle de
l'expérience vécue de l'amour de Dieu. Voilà
pourquoi Jean peut écrire : "Puisque Dieu nous a tant
aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres" (1 Jn
4.11). L'enseignement de la lettre de Jean se
prolonge ; l'apôtre écrit : "Dieu, personne ne l'a
jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure
en nous, et son amour atteint en nous sa perfection. Nous
reconnaissons que nous demeurons en lui, et lui en nous, à ce
qu'il nous donne part à son Esprit" (1 Jn 4.12-13). L'amour
est donc la source de la connaissance. Si, d'un côté, la
connaissance est une condition de l'amour, d'un autre
côté, l'amour fait grandir la connaissance. Si nous
demeurons dans l'amour, nous avons la certitude de l'action de
l'Esprit-Saint, qui nous fait participer à l'amour
rédempteur du Fils que le Père a envoyé pour le
salut du monde. En connaissant le Christ comme Fils de Dieu, nous
demeurons en Lui et, par Lui, nous demeurons en Dieu. Par les
mérites du Christ, nous avons cru en l'amour, nous connaissons
l'amour que Dieu a pour nous, nous savons que Dieu est amour (cf. 1
Jn 4.16). Cette connaissance par l'amour est en quelque sorte la clef
de voûte de toute la vie spirituelle du chrétien. "Qui
demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu en lui"
(ibidem).
Dans le cadre de la
Journée mondiale de la jeunesse, qui a lieu à
Paris cette année, je procède aujourd'hui
à la béatification de Frédéric
Ozanam. Je salue cordialement Monsieur le Cardinal
Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, ville
où se trouve le tombeau du nouveau bienheureux. Je me
réjouis aussi de la présence à cet
événement d'évêques de nombreux
pays. Je salue avec affection les membres de la
Société de Saint-Vincent-de-Paul venus du
monde entier pour la béatification de leur fondateur
principal, ainsi que les représentants de la grande
famille spirituelle héritière de l'esprit de
Monsieur Vincent.
Frédéric Ozanam aimait
tous les démunis. Dès sa jeunesse, il a pris conscience
qu'il ne suffisait pas de parler de la charité et de la
mission de l'Église dans le monde : cela devait se traduire
par un engagement effectif des chrétiens au service des
pauvres. Il rejoignait ainsi l'intuition de Monsieur Vincent :
"Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux
dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos
visages" (saint Vincent de Paul, XI, 40). Pour le manifester
concrètement, à l'âge de vingt ans, avec un
groupe d'amis, il créa les Conférences de
Saint-Vincent-de-Paul, dont le but était l'aide aux plus
pauvres, dans un esprit de service et de partage. Très vite,
ces Conférences se répandirent en dehors de France,
dans tous les pays d'Europe et du monde. Moi-même, comme
étudiant, avant la Seconde Guerre mondiale, je faisais partie
de l'une d'entre elles. Désormais, l'amour des plus
misérables, de ceux dont personne ne s'occupe, est au coeur de
la vie et des préoccupations de Frédéric Ozanam.
Parlant de ces hommes et de ces femmes, il écrit : "Nous
devrions tomber à leurs pieds et leur dire avec l'apôtre
: Tu es Dom mus
meus. Vous êtes nos
maîtres et nous serons vos serviteurs ; vous êtes pour
nous les images sacrées de ce Dieu que nous ne voyons pas et,
ne sachant pas l'aimer autrement, nous l'aimons en vos personnes"
(à Louis Janmot). Il observe la situation réelle
des pauvres et cherche un engagement de plus en plus efficace pour
les aider à grandir en humanité. Il comprend que la
charité doit conduire à travailler au redressement des
injustices. Charité et justice vont de pair. Il a le courage
lucide d'un engagement social et politique de premier plan à
une époque agitée de la vie de son pays, car aucune
société ne peut accepter la misère comme une
fatalité sans que son honneur n'en soit atteint. C'est ainsi
qu'on peut voir en lui un précurseur de la doctrine sociale de
l'Église, que le pape Léon XIII développera
quelques années plus tard dans l'encyclique Rerum novarum. Face aux pauvretés qui accablent
tant d'hommes et de femmes, la charité est un signe
prophétique de l'engagement du chrétien à la
suite du Christ. J'invite donc les laïcs et
particulièrement les jeunes à faire preuve de courage
et d'imagination pour travailler à l'édification de
sociétés plus fraternelles où les plus
démunis seront reconnus dans leur dignité et trouveront
les moyens d'une existence respectable. Avec l'humilité et la
confiance sans limites dans la Providence qui caractérisaient
Frédéric Ozanam, ayez l'audace du partage des biens
matériels et spirituels avec ceux qui sont dans la
détresse ! Le bienheureux Frédéric
Ozanam, apôtre de la charité, époux et
père de famille exemplaire, grande figure du laïcat
catholique du XIXe
siècle, a été un universitaire qui a pris une
part importante au mouvement des idées de son temps. Etudiant,
professeur éminent à Lyon puis à Paris, à
!a Sorbonne, il vise avant tout la recherche et la communication de
la vérité, dans la sérénité et le
respect des convictions de ceux qui ne partagent pas les siennes.
"Apprenons à défendre nos convictions sans haïr
nos adversaires, écrivait-il, à aimer ceux qui pensent
autrement que nous, [...] plaignons-nous moins de notre temps et plus
de nous-mêmes" (Lettres, 9
avril 1851). Avec le courage du croyant, dénonçant tous
les égoïsmes, il participe activement au renouveau de la
présence et de l'action de l'Église dans la
société de son époque. On connaît aussi
son rôle dans l'institution des Conférences de
carême en cette cathédrale Notre-Dame de Paris, dans le
but de permettre aux jeunes de recevoir un enseignement religieux
renouvelé face aux grandes questions qui interrogent leur foi.
Homme de pensée et d'action, Frédéric Ozanam
demeure pour les universitaires de notre temps, enseignants et
étudiants, un modèle d'engagement courageux capable de
faire entendre une parole libre et exigeante dans la recherche de la
vérité et la défense de la dignité de
toute personne humaine. Qu'il soit aussi pour eux un appel à
la sainteté ! L'Église confirme aujourd'hui le
choix de vie chrétienne fait par Ozanam ainsi que le chemin
qu'il a emprunté. Elle lui dit : Frédéric, ta
route a été vraiment la route de la sainteté.
Plus de cent ans ont passé, et voici le moment opportun pour
redécouvrir ce chemin. Il faut que tous ces jeunes, presque de
ton âge, qui sont rassemblés si nombreux à Paris,
venant de tous les pays d'Europe et du monde, reconnaissent que cette
route est aussi la leur. Il faut qu'ils comprennent que, s'ils
veulent être des chrétiens authentiques, ils doivent
prendre ce même chemin. Qu'ils ouvrent mieux les yeux de leur
âme aux besoins si nombreux des hommes d'aujourd'hui. Qu'ils
comprennent ces besoins comme des défis. Que le Christ les
appelle, chacun par son nom, afin que chacun puisse dire : voici ma
route ! Dans les choix qu'ils feront, ta sainteté,
Frédéric, sera particulièrement
confirmée. Et ta joie sera grande. Toi qui vois
déjà de tes yeux Celui qui est amour, sois aussi un
guide sur tous les chemins que ces jeunes choisiront, en suivant
aujourd'hui ton exemple ! Jean-Paul
II In La gazette de l'île Barbe n° 30
µ
Les liens entre vincentiens furent
privilégiés dès les origines de la
Société puisque c'est une Fille de la Charité,
soeur Rosalie Rendu, qui a guidé le jeune
Frédéric Ozanam et ses compagnons vers les pauvres du
quartier Mouffetard, à Paris. Chers disciples de saint Vincent
de Paul, je vous encourage à mettre en commun vos forces, pour
que, comme le souhaitait celui qui vous inspire, les pauvres soient
toujours mieux aimés et servis et que Jésus-Christ soit
honoré en leurs personnes !