Comme des étoiles filantes

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L'annonce dans le Carnet d'un accident de la circulation, bien que non mortel et sans lien avec l'alcool, nous incite à publier cette chronique déjà ancienne mais hélas toujours actuelle.

 

Ils étaient cinq dans la voiture. Une virée du samedi soir, bien alcoolisée. À la sortie de la boîte, Brice demande les clefs au conducteur qui avait trop bu. Discussion serrée. Brice capitule devant le refus catégorique du propriétaire de la voiture. Elle va devenir leur tombeau, vingt minutes après. Déchiquetés, quatre mourront. Un seul survivra. Brice était l'enfant unique de Nelly, mère abandonnée quand son géniteur a su qu'elle était enceinte. Vingt-deux ans d'amour fauchés d'un seul coup, dans la carcasse écrasée d'une bagnole devenue folle.

Douleur sans nom d'une mère sans son petit, son merveilleux univers. J'ai appris ce deuil par une lettre très belle de la mère, suivie d'un chèque remis par elle au nom de ses amis, à la messe d'enterrement. Pour faire vivre d'autres.

J'ai clamé partout ce fait divers aussi terrifiant que banalisé, de week-end en week-end. Cela a permis au moins de sauver un jeune qui, au cours d'une même soirée et d'une même beuverie, se rappelant les circonstances de la mort de Brice, avait refusé de monter dans la voiture du retour. Tous les occupants sont morts, carbonisés, dix kilomètres plus loin.

Nelly m'avait demandé que je célèbre l'Eucharistie au nom de tous les parents ayant perdu tragiquement leur enfant. L'église du haut Doubs était archicomble. Deux panneaux, à l'entrée de l'église, invitaient les familles à noter les prénoms de leurs gosses partis comme des étoiles filantes. Stupéfaction à la prière universelle. Les grands panneaux étaient remplis à ras bords. L'interminable martyrologe des prénoms égrenait lentement la douleur et l'espérance de tous les vivants présents, voulant se souvenir et nous crier : "Soyez forts. Aimez vos gosses sans faiblesse. Apprenez-leur à se maîtriser. À jouir de la vie mais sans les excès qui pourraient les laisser sur le bord de l'autoroute magnifique de l'existence." Moment fort, émouvant, percutant et qui laissera des traces. Je pourrais, malheureusement, célébrer partout en France, la même douleur, la même espérance.

Avant le repas qui rassemblait les amis de Nelly, j'allais seul avec elle, la main dans la main, en pleine nuit, déposer un coeur de jonquilles et trois bougies sur la tombe de Brice. Dans le ciel si pur du haut Doubs passa une étoile filante. Brice nous faisait signe. Il est vivant. Nelly le sait. Sa foi le lui crie.

Puisse-t-il sauver de là-haut tant de vies appelées à être étoiles du berger !

 

Père Guy GILBERT

prêtre, éducateur. 

La Croix-l'événement.

  In La gazette de l'île Barbe n° 38

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