Charles Dullin est mort le 11
décembre 1949, et l'État a fait du cinquantenaire de sa
mort une célébration nationale. D'abord commis puis clerc
d'huissier, Charles Dullin s'est ensuite illustré au
théâtre. Acteur dans la troupe de Jacques Copeau au
théâtre du Vieux-Colombier, avec notamment Louis Jouvet
et Valentine Tessier, il prit le 14 octobre 1922 la direction du
théâtre de Montmartre, fondé en 1822 place
Dancourt (actuellement place Charles-Dullin) à Paris
XVIIIe par les Seveste, qui en avaient fait une
école d'application pour les jeunes comédiens, le
théâtre des Jeunes Elèves. Sous le nouveau nom de
théâtre de l'Atelier, il y développa cette double
activité, avec une troupe théâtrale et une
école professionnelle d'art dramatique. Dans son
activité de metteur en scène, il remporta de nombreux
succès malgré l'éclectisme de ses spectacles :
les classiques français, Aristophane, Calderon, Pirandello,
mais aussi ses contemporains et notamment l'avant-garde, Jules
Romains, Marcel Achard, Steve Passeur, Armand Salacrou ; son plus
grand succès fut Volpone de
Jules Romains et Stefan Zweig d'après Ben Jonson, en 1928 ; le
dernier fut La terre est
ronde d'Armand Salacrou,
à la fin de 1938. Avec Gaston Baty, Louis Jouvet et Georges
Pitoëff, il constitua de 1927 à 1940 le Cartel des Quatre
pour défendre ensemble leur indépendance respective. Il
quitta l'Atelier en 1940 pour s'installer au théâtre de
Paris, plus grand. Il est enterré au cimetière de la
Chapelle-sur-Crécy ( commune de Crécy-la-Chapelle),
où lui a été érigé un
monument. Charles Dullin (la Famille Goybet, 11,693 H, supplément de
la Gazette, n°11) était cousin remué de
germains de Jules Goybet, grand-père d'Henri Jaillard,
Magdeleine Lepercq et Lison (Louise) de Raucourt. Cela a commencé pour moi
à Barèges, dans la pharmacie de ma soeur, un jour de
l'été 1938. J'avais eu la chance de rencontrer une
comédienne de chez Charles Dullin : Madeleine Lambert. Je lui
ai posé la question : "Que faut-il faire pour faire du
théâtre ? - Il n'y a qu'une seule voie : il faut aller
à Paris, au théâtre de l'Atelier, chez Charles
Dullin." Je suis allé à Paris, où j'ai
assisté à l'une des représentations de
Plutus, d'après Aristophane, qui se jouait
à ce moment-là, et j'ai demandé à
rencontrer Monsieur Dullin. Monsieur Dullin avait un regard
impressionnant. Il vous observait, il vous jaugeait, il vous jugeait
de ses yeux grands ouverts. Il m'a demandé si je montais
à cheval. Il m'a simplement dit de m'inscrire à l'Ecole
et cela fut le tournant de ma vie. Charles Dullin, par
Ferdinand Billard, in Conferencia, journal de
l'université des annales, 5 avril 1927, p. 375.
C'est grâce à lui
que j'ai découvert l'âme du
théâtre : le respect du texte et de l'auteur,
le respect du public, l'écoute et le respect des
partenaires. À l'École, nous
apprenions l'improvisation, le placement de la voix, la
respiration, la diction, le mime avec Jean-Louis Barrault,
la comédie moderne et classique et, le samedi, le
cours de Charles Dullin. Nous devions prendre longtemps
à l'avance notre tour. Il y avait à ce
moment-là des visages connus : Madeleine Robinson,
Jean Marais, un jeune élève qui s'appelait
Roland Petit ; des élèves anglais, espagnols,
hongrois, russes, yougoslaves, etc. Je me liai très vite
avec une jeune fille très brune du nom d'Olga. Elle
avait pour amie une blonde d'origine russe. L'une s'appelait
Olga Kecheliewitch, l'autre Olga Kosakewitch. Très
vite, je me liai également avec un
élève qui s'appelait Pierre Latour, un des
créateurs de la pièce En attendant Godot. Un peu plus tard, il y eut un
personnage très particulier : Alain Cuny.
Charles Dullin m'a tout appris. Je lui
dois tout. Je le dis souvent, Charles Dullin n'avait pas des
élèves, il avait des disciples. Je n'ai jamais
joué un rôle sans me dire : " Est-ce que je ne le trahis
pas ? Serait-il content de moi ? Lui suis-je vraiment fidèle
?" Il est là toujours présent, il me juge, il
m'écoute, il me regarde. Etant élèves à
l'Atelier, nous avions le droit d'assister aux
répétitions, aux indications, et à la mise en
scène de Charles Dullin. Nous avions également la
possibilité de demander des places à l'un des
théâtres du Cartel : à
l'Athénée-Louis-Jouvet, aux Mathurins chez Georges
Pitoëff, au théâtre Gaston-Baty (le
théâtre Montparnasse) chez Marguerite Jamois.
Il est impossible d'imaginer le
caractère, la poésie, l'amour et la connaissance des
hommes si l'on n'a pas lu Charles Dullin ou les ensorcelés du
Châtelard, l'ouvrage
écrit par la soeur aînée de Charles Dullin et par
Charles Charras, qui fut le secrétaire fidèle de
Charles Dullin jusqu'à sa mort. De même, il est
impossible de ne pas avoir lu le livre que Lucien Armand lui a
consacré. Lucien Armand qui fut le directeur de l'École
depuis les premiers jours de l'Atelier. Aujourd'hui, on peut se demander ce qui
reste de cette vie intense, tourmentée, sans cesse à la
recherche d'une autre vérité, d'une autre
évasion, comme si l'acquis n'existait pas... Combien de
succès stoppés par les difficultés, les budgets
problématiques... Il reste surtout l'influence des
représentations de l'Atelier, de ses créations de
nouveaux auteurs, ses remises en question, ses risques, tout ce dont
a hérité le théâtre d'aujourd'hui. Dans
quelle mesure l'esprit de Charles Dullin a-t-il, consciemment ou non,
influencé les directeurs actuels ? Jean Vilar, au TNP
[théâtre national
populaire. - NDLR.], Jean-Louis
Barrault, Marguerite Jamois, tant d'artistes ont eu à faire
à lui ! Après le succès du film
le Miracle des
loups de Raymond Bernard
(1924), où il incarnait Louis XI, les Américains ont
proposé à Charles Dullin des contrats très
substantiels. Il a toujours refusé, jugeant qu'il se
trahirait. Il faudrait laisser l'Atelier et abandonner le travail de
tant de tours de force. Madame Dullin n'avait-elle pas dû
vendre son argenterie pour purger une situation dramatique ?
Pourtant, en 1940, Dullin céda
l'Atelier à André Barsacq. Il alla s'installer au
théâtre de Paris pour jouer Mamouret de Jean Sarment,
puis définitivement, croit-il, en 1941 au théâtre
de la Cité, ex-théâtre Sarah-Bernhardt.
Là, durant la saison 1941-1942, il crée trois
spectacles : la Princesse des
Ursins de Jollivet,
la Volupté de
l'honneur de Pirandello et
les Amants de
Galice de Lope de Vega, avec
Serge Reggiani et Lise Delamare. Cela jusqu'en 1947 où il est
obligé d'abandonner la Cité. Il est accueilli par une
de ses anciennes élèves, Marguerite Jamois, dans son
théâtre Montparnasse-Gaston-Baty, où il
crée la pièce d'Armand Salacrou l'Archipel Lenoir. Puis, c'est la tournée de
l'Archipel
Lenoir, suivie d'une
tournée Jean Richard en Allemagne occupée. Il y joue
le Faiseur et l'Avare,
très bien accueillis. Après, c'est la tournée
de la
Marâtre de Balzac et de
l'Avare, la souffrance et la fin à
l'hôpital où il meurt. C'était en 1949,
déjà cinquante ans ! C'était hier, je serai
bientôt dans ma quatre-vingt-cinquième année.
Aujourd'hui, il est important de souligner l'existence du cours
Dullin, où Madame Hermande-Bosson et Charles Charras, et les
fidèles, Madeleine Robinson, Catherine Le Couey, sont toujours
vivants et présents. Jacques
DUFILHO. in
Célébrations nationales 2000, édité par le ministère
de la Culture et de la Communication, direction des
Archives de France, délégation aux
Célébrations nationales, Paris, 1999, p.
130-132. In La gazette de l'île Barbe n° 39
Madame Dullin enseignait chez
elle, boulevard Pereire. C'est elle qui me recommanda à Marcel
Achard, qui me fit tourner dans le Corsaire, sous la direction de Marc Allegret.
Auparavant, j'avais été engagé dans la compagnie
des Quatre-Saisons à la suite d'une audition. Il y avait
là Maurice Jacquemont, Michel Vitold, René Dupuy,
Svetlana Pitoëff, André Chlesser, Jean Dasté. Ce
furent mes premiers débuts au théâtre, en 1939 :
sous la tour Eiffel, pour son cinquantenaire, sous la tente du cirque
Fanny.