Françoise Guérard, née Mayet

29 décembre 1906 – 4 octobre 2002

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Elle est née 55, rue de Passy, à Paris. Sa grand-mère paternelle, Camille, est une Jaillard, épouse d’Albin Mayet. Celui-ci, l’un des premiers à avoir constitué l’histoire de sa famille depuis les origines, signe, le 9 février 1893, un livre de raison qui fait référence [cf. la Gazette de l’île Barbe, n° 23 à 29. — NDLR.].

Son père, Paul Mayet, est un industriel de la Belle Époque, associé dans la maison Abel-Pifre, plus tard société Otis-Pifre. Il équipe les immeubles des beaux quartiers de Paris d’ascenseurs à cabines de bois. Il meurt, en mai 1909, des suites d’une opération chirurgicale, à l’âge de 44 ans, alors qu’elle n’a que 2 ans.

En 1911, sa mère Germaine, née Denavit, se rapproche de sa famille et vient habiter à Limonest dans le Rhône. Avec ses six enfants, elle y passe de longues années difficiles pour avoir suivi les conseils d’un oncle banquier lui ayant recommandé de placer en emprunts russes toute la succession de son mari.

Malgré une vie économe et austère, Françoise passe cependant une enfance heureuse entre la maison et le jardin de Limonest et des vacances aux Vadoux, en Beaujolais, la propriété de sa grand-mère maternelle située sur la commune de Saint-Jean-d’Ardières. Elle suit au " cours Mayet ", place Bellecour, une scolarité réservée aux jeunes filles de bonne famille assistées d’une préceptrice. L’unique enseignante de ce cours est sa grand-tante, Marguerite, et sa sœur aînée, Albine, est sa préceptrice. Ce cours dispense, dans un grand salon, toutes les matières en une demi-journée chaque semaine. Chacun travaille ensuite à domicile avec la préceptrice pendant toute la semaine. On passe ainsi de 6 à 16 ans, avec le même professeur, de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul jusqu’à des rudiments d’humanités et de philosophie.

Son enfance et sa jeunesse sont lourdement endeuillées par la mort de quatre de ses cinq frères et sœurs, frappés notamment par la tuberculose, que l’on ne sait pas encore soigner. En 1940, il ne lui reste plus que sa mère et son frère jésuite Joseph, lui aussi atteint de cette maladie.

À Limonest, avec sa sœur Albine, elle cherche à se rendre utile. La maison Mayet accueille d’abord le patronage des filles. On apprend à jouer de l’harmonium pour entraîner le chœur de chant à l’église. Puis à 18 ans, pour retenir les filles au pays et éviter qu’elles aillent " se perdre " à Lyon, elle participe à la fondation d’un petit atelier de couture, suggestion de M. Bonnassieux, curé du pays. Mais les candidates ouvrières sont rares et une vie de première ouvrière montre vite ses limites. Avec les petites économies réalisées, et pour se rendre encore plus utile, Françoise décide de faire des études d’assistante sociale, profession nouvelle voyant une école s’ouvrir à Lyon. En 1935, elle est, brillamment, l’une des premières titulaires nationales du diplôme d’État et fonde le service social du quartier de la Dargoire, dans un rez-de-chaussée des h[abitations à] l[oyer] m[odéré] construits près de Saint-Rambert par la Caisse d’épargne, qui finance également le service social.

À 30 ans, c’est la belle vie. Un petit appartement en ville, quai Gailleton, où, durant l’hiver, elle héberge sa mère. Une stagiaire assistante sociale lui fait connaître son frère, Jean Guérard, également ami du mari d’une cousine, Christiane Fournier. Garçons et filles découvrent les Alpes, les débuts du ski, l’alpinisme. Mais la guerre arrive.

Retardés par la mort d’Albine, Jean et Françoise se marient le 1er juin 1940. La fête est assombrie par les bombardements. La pièce montée du dessert, qui doit monter de Vaise, a quelque peine à arriver à Limonest. Ils partent tout de même en voyage de noces par Grenoble et Gap, tandis que les Allemands descendent par la vallée du Rhône. Ils cachent la voiture chez un client de Jean, pour revenir à Lyon en franchissant les troupes ennemies par le train : on les attend pour une Première communion, la vie ne s’étant pas tout à fait arrêtée. Jeune mariée, Françoise arrête de travailler, installe un appartement dans le second étage de la grande maison familiale à la Croix-Rousse. Elle attend vite, en 1941, un premier enfant, Bruno, puis en 1943, c’est la naissance de Marie-Albine.

Les activités de v[oyageur] r[eprésentant] p[lacier] de Jean sont vite interrompues par les hostilités. Il trouve un gagne-pain au comité de répartition des textiles. Mais au cours d’un voyage destiné à garder le contact avec son employeur de Cholet et la famille restée de l’autre côté de la ligne de démarcation, il est pris par les Allemands avec un tract compromettant en poche. C’est la prison. Il en sort très malade et décède en janvier 1944. Joseph, le jésuite, qui tient une maison de santé à Hauteville tout en assurant les fonctions de curé et de maire désigné d’office, est lui aussi emmené en déportation. Il meurt en janvier 1945, près de Hambourg, au camp de Neuengahme.

Françoise, restée seule avec ses deux enfants de 2 ans et demi et 9 mois et sa mère âgée, est aussi atteinte de tuberculose. Ses enfants recueillis dans sa belle-famille, elle part en maison de repos. Elle résiste et se relève pour prendre un poste d’assistante sociale aux sanatoriums de Saint-Hilaire-du-Touvet, en grande Chartreuse. Le grand air doit ressusciter toute la famille. Elle est aidée par une amie de montagne, Madeleine Coutagne, qui garde ses enfants pendant qu’elle travaille. En 1950 cependant, elle est victime d’une embolie cérébrale, consécutive à une erreur dans les soins pulmonaires qu’elle continue à suivre. Tout le monde redescend à Lyon.

Françoise Guérard dans les années 1960.

Elle reprend peu à peu ses activités et entre à l’école Rockefeller d’infirmières et d’assistantes sociales, où elle est chargée de la section des puéricultrices. Elle y accomplit toute la fin de sa vie professionnelle jusqu’en 1972. Après être revenue dans sa belle-famille, à la Croix-Rousse, jusqu’en 1958, elle s’installe à Monplaisir, Lyon IIIe, puis, à l’heure de la retraite, à Caluire. Elle achève ses dernières années dans la maison de personnes âgées du cercle de la Carette, sur les bords du Rhône au quartier Saint-Clair.

Curieuse de beaucoup de choses, très active, malgré ses difficultés permanentes de santé, elle a toujours cherché à voyager, jusqu’en Côte-d’Ivoire et au Bénin, en particulier durant sa retraite, à l’invitation de certaines de ses ancienne élèves. Elle a beaucoup lu, peint, suivi des cours de théologie aux facultés catholiques, participé longtemps à des réunions d’A[ction] c[atholique] i[nternationale], ou du Mouvement spirituel des veuves. Avec son mari, puis avec son cousin Henri Jaillard, de l’île Barbe, elle a conduit un rucher dans le jardin de la rue Henri-Gorjus à la Croix-Rousse. Elle s’est dévouée à des cours d’alphabétisation. Elle a apporté son soutien actif à l’A[ction des] c[hrétiens pour l’]a[bolition de la] t[orture], à l’Orangerie des sans-abris à Caluire et tant d’autres causes. Tant que son coeur le lui a permis, elle a marché dans les montagnes qu’elle aimait, à Argentières près de Chamonix, puis en haute Maurienne, où se sont fixés ses enfants. Elle fut une grand-mère attentive et soucieuse de ses six petits-enfants.

Marie-Albine Tillet
et Bruno Guérard.

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In La gazette de l'île Barbe n° 53

Eté 2003

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