Mort et résurrection

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Les événements les plus tragiques ont souvent un ou plusieurs côtés positifs. La prise en otage de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot en est un exemple frappant.

Au moment où ces quelques lignes sont couchées sur le papier (le 15 septembre 2004), nous ignorons quel sera le dénouement de cette cruelle aventure. Nous sommes totalement solidaires de la souffrance de nos compatriotes emprisonnés injustement et de l'angoisse de leurs proches ; ils sont constamment dans nos cœurs quand nous nous adressons à Dieu dans la prière.

[Des résultats à l'opposé des objectifs]

Mais les islamistes qui ont capturé nos deux journalistes français et leur chauffeur ont obtenu un résultat diamétralement opposé à celui qu'ils cherchaient.

Ils méprisent notre démocratie, ils voulaient la mettre à genoux, en jouant sur notre peur de la mort ; ils prétendaient dicter leur loi à notre pays, de l'extérieur. La France s'est montrée, grâce à ses responsables, une grande nation qui ne plie pas sous le chantage !

Ils voulaient venir au secours des musulmans de France, qui, à leurs yeux, sont martyrisés comme ils persécutent les chrétiens qu'ils rencontrent sur leur route. Bien au contraire, ils ont fait prendre conscience aux musulmans de France qu'ils étaient intégrés dans un pays de liberté où ils sont respectés dans leur vie humaine et dans leurs convictions religieuses. Toutes les communautés musulmanes ont manifesté leur solidarité avec les journalistes et leurs familles. Même ceux qui n'étaient pas d'accord avec la loi sur le voile ont refusé d'utiliser cette opportunité pour défendre leur point de vue. Et une délégation du culte musulman a fait le déplacement jusqu'à Bagdad pour défendre la laïcité à la française.

Ils voulaient susciter une guerre scolaire, à propos de cette tenue vestimentaire ; leur méfait est tombé à point nommé, juste au moment de la rentrée. Alors qu'on craignait un démarrage de l'école difficile à cause de la première application de cette loi, jamais une rentrée scolaire n'a été plus " cool " [calme. - NDLR.] sur ce problème. Suite à cette prise d'otages, les musulmans les plus radicaux de France, qui étaient prêts à porter le scandale, se sont fait " tout petits ".

Ils voulaient ranger la France dans le camp des pays occidentaux qui font front commun dans une guerre contre l'islam, dans un choc des cultures. Ils ont donné l'occasion à la France de montrer, avec éclat, qu'elle se range parmi les amis des pays musulmans : l'accueil qu'a reçu notre ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, est sans équivoque.

Ils voulaient mettre la panique dans la classe politique française. Ils ont donné l'occasion à nos dirigeants de se serrer les coudes, et d'oublier leurs luttes politiciennes pour faire un front commun face à un tel coup dur : nos amis les Italiens ont décidé de prendre modèle sur nos réactions françaises.

Ils ne jurent que par la férocité. Ils ont permis à la France de souligner que la diplomatie et le dialogue est plus efficace que la force brutale, qui conduit toujours à une impasse…

[L'espérance des chrétiens]

Nous, les chrétiens, nous misons notre vie sur la mort et sur la résurrection du Christ ; ce n'est pas rien ! Cette aventure particulièrement douloureuse n'est-elle pas le signe que cet événement central de l'humanité vécu par Jésus est à l'œuvre dans notre quotidien ? Pour nous, la souffrance et la mort n'ont jamais le dernier mot, puisque la mort du Christ débouche sur la résurrection.

- La souffrance est bien réelle dans notre humanité en guerre : elle est celle des deux journalistes français et de leurs familles, mais aussi la nôtre parce qu'ils sont nos concitoyens ; nous vivons, alors, la passion et la mort du Christ.

- Mais notre horizon n'est pas bouché par un tel drame, comme celui de Jésus ne s'est pas limité à la croix ; il porte en lui un avenir meilleur : pour la première fois dans notre histoire récente, les musulmans de France dans leur ensemble se montrent solidaires des Français qui ne partagent pas leurs convictions religieuses ; le drame de nos journalistes fait reculer l'intolérance dans notre pays. Nous vivons, dans ce contexte, une forme de résurrection.

Quelques mois avant de convoquer le concile Vatican II, Jean XXIII demandait aux chrétiens de chercher " les signes des temps " : les signes de la présence aimante et concrète de Dieu dans notre monde. Cette histoire, à multiples facettes, que nous sommes en train de vivre, n'en fait-elle pas partie ?

Ne sommes-nous pas appelés, nous, les chrétiens, même au cœur des événements les plus difficiles, à nous tourner vers l'avenir pleins d'espérance ?

Jacques LEPERCQ.

In journal paroissial de Villeurbanne.

 

in La gazette de l'île Barbe n° 59, hiver 2004

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