Vous voici arrivé au terme de
votre vie terrestre. Qu'elle a été riche de bonheur et
de joie, et parfois, aussi, de peine ! Laurent-Bouillet : ce nom d'entreprise
a marqué toute notre jeunesse. Après avoir
participé, avec fierté, à la construction du
barrage de Bort-les-Orgues, dans votre si chère
Corrèze, vous êtes entré chez Laurent-Bouillet.
Vous y avez passé toute votre vie professionnelle et, à
force de travail, vous y avez gravi tous les échelons, pour
finir à la tête de la direction auvergnate. Parallèlement à cette vie
professionnelle exemplaire, vous avez construit votre vie
privée, avec maman, qui vous a donné trois enfants et
qui vous a consacré sa vie entière pendant plus de
cinquante ans. Nous avons le souvenir d'une éducation
sévère, et en même temps, d'une jeunesse
heureuse, sans soucis, protégés par des parents
attentionnés. Les souvenirs nous assaillent : les
week-ends à Saint-Saturnin, le camping sur votre terrain en
Vendée, les vacances au ski, alors que vous détestiez
la neige, le son et lumière à Saint-Saturnin ou bien
encore les samedis de voile au lac d'Aydat. Papa, vous n'êtes pas un homme de
ce siècle, si même du précédent. Vous
n'êtes pas adepte de cette société de
communication. Vous préférez l'écrit à
l'oral, le silence à la parole. Alors, nous avons eu parfois
de la peine à communiquer, à échanger, tout
simplement à extérioriser l'amour qui nous unissait.
Dans votre éducation, cela ne se faisait pas de montrer ses
sentiments ou ses faiblesses. Mais, par votre manière de vivre
et d'agir, nous avons compris le sens que vous donniez à votre
vie et donc le sens que vous vouliez que l'on donne à la
nôtre. Vous nous avez appris ce qui doit être l'essence
même de l'homme, ce qui doit le diriger : Vous avez cultivé l'image de
votre père et vous avez continué son travail de
généalogie. Vous avez porté une grande attention
au confort de votre famille, soucieux que vous étiez de son
avenir. Vous avez développé avec
maman une complicité et des rapports de tendresse qui nous ont
émus et qui vous ont sûrement aidé ces
dernières années, alors que votre corps vous faisait
tant de misères. Ah, que vous étiez fiers de vos
neuf petits-enfants ! Que vous aimiez les emmener à la messe
ici même […
Saint-Saturnin. - NDLR.],
certes pour entretenir leur foi, mais aussi pour les montrer à
vos amis de la paroisse ! Vous avez ainsi développé
avec certains d'entre eux des relations privilégiées
fondées, pour les plus éloignés, sur des
échanges épistolaires - surtout pas de
téléphone - et, pour les plus proches, en leur faisant
faire, toutes les semaines, leurs devoirs. Vous avez ancré notre famille
dans ce beau village de Saint-Saturnin. Vous y avez acheté une
maison, l'avez rénovée de fond en comble, souvent de
vos propres mains. À Saint-Saturnin, vous avez
développé une vie sociale, en participant activement au
son et lumière et aux soirées théâtrales,
et vous avez ainsi noué des amitiés extrêmement
fortes. Vous avez été dur, ou
plutôt sévère, avec votre entourage, comme vous
l'étiez avec vous-même, parce que vous n'acceptiez pas
la médiocrité, ni l'absence de caractère. Votre
entourage professionnel et personnel, et ces dernières
années le corps médical, ont souvent loué votre
volonté de fer ; c'est un bel exemple à suivre pour
nous, dans nos petits moments de découragement ou de
faiblesse. Vous n'étiez pas
intéressé par l'argent. L'argent, pour vous,
n'était pas une fin en soi, mais seulement un mal
nécessaire pour assurer à vos proches et à
vous-même une vie matérielle honnête. Vous étiez tout entier
tourné vers l'acquisition de connaissances. Ainsi, vous
étiez porteur d'une culture immense, en développant un
goût immodéré pour les mots, l'histoire, la
littérature, la poésie et le
théâtre. Cet océan de culture nous a
subjugués et, souvent, il a donné à vos enfants
et petits-enfants le goût du savoir et de la lecture.
Votre foi vous a permis de partir dans
la sérénité avec le sens du devoir
accompli. Je voudrais rappeler votre travail sur
les croix dans nos contrées, que vous avez
présenté au public, il y a quelques années,
à Saint-Saturnin. Cela a été pour vous une
démarche, à la fois, du corps (avec de longues marches
de repérage) et de l'esprit. Papa, vous pouvez reposer en paix et
rejoindre votre cher disparu, celui dont vous nous parliez ces
derniers jours, celui que vous avez perdu à l'âge de 16
ans, Jean Faucher, votre père. Papa, depuis mercredi soir,
nous comprenons la douleur qui a dû être la vôtre
face à cette absence, et en ce week-end de Pâques, nous
comprenons la joie qui doit être la vôtre à
l'idée de le retrouver. Papa, merci et au revoir. Il y a peu, papa a recopié sur
un petit carton un poème d'Alfred de Vigny, La Mort du loup. En voici un extrait, dans lequel je crois
retrouver papa. Le chasseur, venant de tuer le loup, et ému
par son courage, parle :
in
La gazette de
l'île Barbe
n° 60, printemps 2005