Émile Charvériat

membre de l'Académie des sciences,

belles-lettres et arts de Lyon

(1826 - 1904)

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Émile Charvériat, avocat à Lyon ("famille Ayné", supplément au n° 10, 6,21), était un cousin germain d'Émilie Bidreman-Ayné, elle-même grand-mère maternelle d'Ernest Pariset, d'Élisabeth Jaillard, d'Aimée Deloule et de Paul Pariset. Il est mort en 1904, il y a une centaine d'années, à 77 ans.

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Lorsque notre distingué confrère M. Émile Charvériat mourut, le 1er juillet 1904, dans son château de Varennes, à Quincié, sa mort si prompte et si imprévue nous causa les plus vifs regrets. Mais son éloignement de Lyon ne permit guère aux membres de l'Académie d'assister à ses funérailles.

Puis ces regrets s'accrurent encore quand nous apprîmes que, par un sentiment de profonde modestie, que devait partager, quelques mois plus tard, M. Morin-Pons, il avait interdit qu'un discours fût prononcé sur sa tombe.

C'est ainsi que M. le Dr Vincent, président de la classe des Sciences, ne put exprimer à ce moment, au nom de la Compagnie, les témoignages de sympathie et de regrets qui étaient dus à sa mémoire et faire l'éloge des travaux qui lui avaient valu une si juste estime dans le monde savant.

Mais M. Charvériat n'était pas de ceux dont on peut se borner à garder un pieux souvenir, sans lui adresser un cordial adieu. Il était, en effet, l'un de nos confrères les plus laborieux et les plus assidus à nos réunions. Aucun autre ne nous a témoigné ainsi, à un plus haut degré, l'intérêt qu'il portait à la prospérité de l'Académie. Car il savait qu'une compagnie savante ne peut vivre et prospérer que par le concours soutenu et dévoué de tous ceux qui en font partie. Ainsi l'a-t-il pensé toujours pendant sa vie, ainsi nous l'a-t-il témoigné encore par le legs généreux de la somme de 3 000 francs qu'il nous a fait en mourant et qui lui assure toute notre reconnaissance.

Si donc un hommage public n'avait pu lui être rendu, plus d'un motif déterminait la Compagnie quand elle décida, dans sa séance du 5 juillet 1904, que le souvenir de la vie et des œuvres de notre regretté confrère serait conservé dans nos annales. Je fus chargé alors de remplir cette mission et je l'acceptai avec empressement. Sans doute, bien nombreux sont ceux qui auraient pu s'en acquitter plus au gré de vos espérances et de vos désirs. Mais un sentiment tout personnel m'imposait en quelque sorte ce devoir. De tous les membres actuels de l'Académie et, longtemps avant d'être admis, l'un et l'autre, au sein de la Compagnie, c'était lui que j'avais connu le premier, quand, à mes débuts, je vins demander mon admission au barreau de Lyon ; aussi le souvenir que j'avais gardé de nos premiers rapports m'encourageait encore à lui rendre ce dernier hommage d'affectueuse estime. Car tel que je l'avais connu à cette époque déjà lointaine, tel je l'avais retrouvé au sein de notre Compagnie, toujours plein d'aménité, toujours empressé à venir en aide à ceux de ses confrères ayant à profiter de ses savantes recherches.

[Une vie d'œuvres]

Assurément, si je n'avais à présenter ici qu'une simple étude biographique, ma tâche serait bien courte, car Émile Charvériat est de ceux dont la vie se confond tout entière avec les œuvres qui leur sont dues. C'est donc de ses œuvres que j'ai à vous parler surtout.

Né à Lyon, le 25 juillet 1826, c'est au collège d'Oullins, fondé en 1832 par l'abbé Dauphin, avec le concours des abbés Chaîne et Lassalle, et devenu plus tard l'école de Saint-Thomas-d'Aquin, qu'il fit ses études classiques. Et c'est là qu'il eut notamment pour condisciples : le peintre Borel, le père Captier et le père Mouton, dominicains. Ses études achevées, il alla, en 1846, suivre les cours de la faculté de droit de Paris, où il se lia étroitement avec deux de nos anciens confrères devenus, l'un et l'autre, présidents de l'Académie : Paul Rougier et Léon Roux.

Mais, à son retour à Lyon en 1849, la vie active et mouvementée du Palais ne semble point l'avoir tenté et il commença modestement à travailler dans l'étude de son père, notaire d'une habileté et d'une expérience consommées, qui a laissé à Lyon le souvenir d'une honorabilité incomparable. Toutefois, la carrière du notariat ne le retint pas longtemps. D'autres goûts et d'autres aspirations donnèrent bientôt à sa vie une autre direction. C'étaient, d'une part, l'étude de l'histoire et, de l'autre, les œuvres de bienfaisance. Car, à peine de retour à Lyon, il était devenu secrétaire adjoint de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, pendant que les fonctions de secrétaire général étaient confiées à un autre de nos anciens confrères, M. Heinrich, dont le souvenir demeure toujours vivant au sein de l'Académie.

[Histoire de la guerre de Trente Ans]

Ami d'Ozanam, le fondateur de cette œuvre de bienfaisance, Heinrich était devenu aussi l'ami intime d'Émile Charvériat. Et c'est à cette amitié et aux relations étroites que ce dernier entretint, à Lyon, avec l'éminent professeur de la faculté des lettres que nous devons cette Histoire de la guerre de Trente Ans, son œuvre la plus importante, qui devait lui obtenir, un jour, l'une des plus hautes récompenses dont peut disposer l'Académie française.

On a pu se demander, peut-être, comment Charvériat avait été amené à aborder un pareil sujet, qui a toujours été considéré comme le plus embrouillé de tous ceux que renferment les annales des nations. Mais si laborieux qu'il fût, son zèle se fût refroidi, sans doute, bientôt, s'il n'avait été encouragé par son savant ami.

À ce moment, en effet, Heinrich se livrait à la préparation de son Histoire de la littérature allemande, dont deux éditions n'ont pas épuisé le succès. Or, l'étude de tous les écrivains allemands, prosateurs ou poètes, poursuivie par Heinrich avec une sagacité pénétrante, suffit à Charvériat pour lui révéler les lumières nouvelles que pouvaient lui fournir les historiens et chroniqueurs allemands dans la préparation de cette histoire, imparfaitement connue encore, de la première moitié du XVIIe siècle.

Ainsi est-il parvenu, avec des efforts inouïs, à jeter des clartés remarquables sur le tableau de cette longue lutte, qui comprend, comme on le sait, quatre périodes successives.

Comme on le sait aussi, un poète allemand célèbre, Schiller, dont on vient de célébrer récemment, en Allemagne, le centenaire de son décès [sic], a écrit lui aussi l'histoire de la guerre de Trente Ans, sous une forme élégante, à la manière des grands historiens grecs et romains. Mais, de nos jours, cette forme ne saurait plus suffire pour satisfaire pleinement les érudits. Or, dans son travail, Charvériat se révéla un érudit de premier ordre, en puisant aux sources les plus diverses, pour nous donner une histoire écrite dans un style plein de sobriété et avec une netteté dont aucun des historiens ayant abordé le même sujet n'avait encore donné l'exemple. Aussi a-t-on pu dire fort justement que "livre était le meilleur tableau d'ensemble que nous ayons en français de la longue lutte terminée par le traité de paix de Westphalie" [M. Prévôt-Leygonie, professeur à la faculté de droit de Poitiers, Biographie de François Charvériat, p. 13. - NDLA.].

Publiés en 1878, les deux volumes de cette histoire furent présentés, dès l'année suivante, à l'appréciation de l'Académie française, qui n'hésita pas, en 1880, à lui décerner le prix Thiers, de la valeur de 3 000 francs.

Ce prix suffisait déjà pour révéler au monde savant la valeur de l'œuvre de Charvériat. Mais si grand que fut cet honneur, si mérité, on se demande involontairement s'il ne jugea pas aussi flatteur pour lui le témoignage de haute estime que lui exprimait le secrétaire perpétuel de l'Académie française, M. Mignet, en lui annonçant la distinction qu'il avait obtenue.

", lui écrivait-il le 20 mai 1880, l'Académie française, dans sa séance de ce jour, vient de décider, conformément à la proposition motivée de sa commission d'histoire, que le prix Thiers serait attribué à l'Histoire de la guerre de Trente Ans. Je me fais un plaisir d'en donner l'agréable nouvelle à l'auteur de l'excellent ouvrage dans lequel ce vaste et terrible sujet est si savamment traité dans toutes ses parties, si habilement expliqué dans toutes ses phases, si vivement montré sous tous ses aspects. Je vous fais, Monsieur, mon très sincère compliment d'avoir écrit un pareil livre et vous prie de croire que nul plus que moi n'en apprécie les nombreux et sûrs mérites.

"Signé : MIGNET."

Vraiment, ne vous semble-t-il pas, comme à moi, que l'illustre historien de la Guerre de la Succession d'Espagne avait retrouvé dans l'œuvre de Charvériat l'élégance et la sobriété de style qui distinguent ses propres travaux ?

 

 

 

À suivre…

 

A. VACHEZ.

 

Président de la classe des Lettres

 

de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon.

 

Notice biographique lue dans la séance de l'Académie du 6 juin 1905. 

 

A. Rey, imprimeur de l'Académie, Lyon, 1905.

 

in La gazette de l'île Barbe n° 61, été 2005

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