Messe de funérailles

de Jacquette Caillet

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Pour la compréhension, voici quelques précisions :

Pierre CAILLET.

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Mot d'accueil

Jacquette nous a tous convoqués ce matin dans l'urgence pour une grande réunion de famille et d'amis, pour prier ensemble. La famille et la foi : voilà les deux piliers de son existence, qui s'est arrêtée si brutalement jeudi sur cette terre, mais qui continuera, c'est sûr, près de Dieu notre père.

Pour vous la présenter, pas besoin de discours, nous aurait-elle dit, mais je prends la liberté de vous relire celui que j'avais prononcé en février 2000 pour ses 60 ans.

1. Si c'était un vêtement, ce serait une jaquette ? Pas vraiment! Ce serait un jean évidemment mis tous les jours, long en hiver, court et déchiré en été, associé à une paire de Paraboot ou aux incontournables claquettes, selon les circonstances.

2. Si c'était une coiffure, ce serait un chignon, pardon : le chignon. Avec un tailleur ou sous un plafond en cours de démolition, jamais un cheveu ne dépasse.

3. Si c'était un animal, ce serait une abeille : pas celle qui butine tranquillement, non ! une abeille ouvrière, qui ne sort pratiquement jamais de la ruche, qui travaille dur du matin au soir pour nourrir et soigner ses larves.

4. Si c'était un objet, ce seraient des pics, ceux qui sont sur sa chaise et qui l'empêchent de rester assise une minute pendant le repas, ce pourrait être aussi une brouette : celle dans laquelle on charrie, toujours au pas de course, des tonnes de béton et autres gravats, des mauvaises herbes et des outils de jardinage.

5. Si c'était un papier, ce serait une facture de téléphone, celle que Pierre affiche, surlignée, à la cuisine. Tous les jours, elle appelle toutes ses filles. Le standard est souvent bloqué à Sainte-Colombe ou à Meyssiès.

6. Si c'était une pièce de la maison, ce serait la cuisine. C'est son territoire. Elle y est maître à bord. Elle y passe des heures, rivalise de plats excellents pour servir ses quelque 40 à 50 repas quotidiens en été, y préparer un foie gras d'exception. Inutile d'en servir un autre aux membres de la famille, ils vous diront poliment qu'il est bon tout en pensant que rien ne vaut celui de Jacquette.

7. Si c'était un végétal, ce serait particulièrement difficile de choisir. Elle les connaît tous, elle sait tous les faire pousser. C'est une encyclopédie du jardinage. Son potager et le jardin de Meyssiès l'occupent dès 7 heures du matin, été comme hiver.

9. Si c'était une destination de voyage, ce serait :

  • la Nouvelle-Calédonie ?
  • la Nouvelle-Zélande ?
    Non, trop de souvenirs les accompagnent.

    Ce sera Meyssiès. Meyssiès l'été, comme tous les étés. Meyssiès l'hiver depuis que Pierre, lui, est retraité. Pour elle, ni télé, ni mots croisés. Elle court, bétonne, carrelle, peint, frotte, porte, cire, lave, sèche, repasse, cuisine, coud, balaie, aspire, tond, bine, récolte, retourne, sème, plante, traite, tue ses taupes à la carabine et ses vipères à la bêche… Elle est infatigable.

12. Si c'était une grand-mère, ce serait Mamoune, Mamounette ou encore Mamounette chérie. Dès que nos petites têtes blondes savent articuler les trois syllabes, ils savent jouer de ces noms. Elle les adore. Aucun cadeau au monde ne vaut une journée chez Mamoune. Elle fait tout avec eux, tout pour eux. Ils l'aident au potager, courent au terreau, savent très bien que les frites Harribo, c'est pour aller se coucher sans râler, que les sucettes, c'est pour plus tard dans l'après-midi, et que pour le goûter, il y a des crêpes au chocolat. À l'entendre, chez elle, ses petits-enfants ne sont que mignons et adorables.

14. Si c'était une qualité, ce serait bien difficile de choisir entre la disponibilité dont elle fait preuve pour tous et pour tout, et son bon sens. II est surprenant ; il sert de référence à toute la famille. Ses conseils sont sans équivoque, toujours judicieux et bien précieux.

15. Si c'était un minéral, il s'associerait à Pierre depuis plus de 35 ans. Ce pourrait être une perle. Une vraie perle, fabriquée par les huîtres qu'elle cassait sur les rochers à Nouméa avant de les gober. Une perle de mère et belle-mère, toujours prête à vous écouter, à vous dépanner, toujours disponible pour les uns, pour les autres, avec un amour débordant pour ses enfants et petits-enfants.

Merci d'être venus si nombreux nous entourer et nous témoigner votre affection. Notre douleur et notre peine sont immenses. Demandons au Seigneur, par notre prière, d'entrer ensemble dans l'espérance.

Marine CAILLET.

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Évocation

Jacquette,

Tes frères, tes sœurs et toute notre famille sont réunis ici, au moins en pensée, car Annette a pu être prévenue sur son bateau au milieu des îles du Vénézuéla. L'émotion nous empêche de te parler directement une dernière fois. Aussi, nous avons demandé à la génération suivante de lire ce que nous voulons t'exprimer du fond du cœur.

Le 14 février 1940 fut un grand jour : le journal intime de bonne-maman cite : "9 °C et neige. Naday se fait descendre de Saint-Didier par Kiki à 8 heures chez sa mère et y trouve Mme Combaz, la sage-femme. Kiki remonte à 11 heures avec les enfants. Je promène Jean-Pierre et Jean-Claude sur la route dans la neige. À 20 heures, Simone téléphone que Naday a eu une fille à 19 heures : Claudine, dite Jacquette."

Ce fut un événement, non seulement parce que tu étais la fille attendue après trois garçons, mais encore parce que ton arrivée autorisait la libération de Paulet, prisonnier en Allemagne. Précisons que c'est de cette époque que date l'amitié qui soude les familles Pascalon et Sénéclauze.

La vie à Lyon en cette période très difficile fut sans doute rendue plus aisée par les ressources précieuses des deux maisons familiales, de Limonest chez les Rousselon et de Saint-Didier chez les Pascalon. Françoise, Loup et Annette sont arrivés pour compléter le bonheur de la famille.

Puis, alors que tu avais tout juste 8 ans, ce fut le grand saut vers Nouméa. Annette a appris à marcher sur le bateau pendant les deux mois et demi de traversée. Quel changement ! La mer, le soleil, les cocotiers à longueur d'année, puis la naissance de Nicolas, le huitième de la fratrie.

Chez les sœurs, tu décrochais systématiquement le premier prix d'instruction religieuse, d'autres te ravissant chaque fois les meilleures places en mathématiques. Tu étais la première fille de Paulet, et il t'a toujours réservé une place particulière en t'appelant "Puce" ; il a même donné ce nom au bateau qui nous faisait faire la traversée Nouville-Nouméa, tous les jours, pour aller au collège et faire des "coups de pêche aux tazars" inoubliables dans le lagon.

Ce fut ensuite pour toi une période difficile : l'Australie en pension à 16 ans pendant toute l'année scolaire, puis la Nouvelle-Zélande pour faire des études d'infirmière, métier que tu as exercé avec beaucoup d'amour et de générosité. Naday devait, elle aussi, beaucoup souffrir chaque fois que tu partais. Cet éloignement a été dur, mais tu en as gardé un souvenir impérissable, puisque tu y es retournée deux fois avec Pierre, la dernière fois il y a quelques mois, heureuse d'y retrouver Rita, ton amie de toujours.

Tu es rentrée en France à 21 ans avec, en pendentif, cette grosse tortue naturalisée sidérant la population lyonnaise. Tu as dû faire un gros effort d'adaptation, bien que ce fût dans le cadre privilégié du Mas à Saint-Didier. Mais tout s'est éclairci : lors du baptême de ta filleule Anne, que tu tenais dans les bras, tu as croisé le regard d'un bel officier de marine qui faisait office de parrain.

On connaît la suite, et sans doute pour te venger de la nature qui t'avait affublée de cinq frères, dont les trois aînés te rembarraient, tu lui as donné cinq filles. Cependant, pour bien lui montrer que tu savais tout faire, tu lui as donné, tout de même, un beau garçon.

Six enfants que tu as très bien élevé et éduqué en suivant Pierre dans ses pérégrinations professionnelles de Strasbourg à Toulouse, mais en restant toujours très liée à la maison de famille de Pierre à Meyssiès, à laquelle tu as donné une nouvelle âme - une maison où ta marque restera indélébile, depuis les murs des terrasses en pierres dignes d'un bâtisseur, aux massifs de fleurs, au potager qui faisait l'admiration de tous, aux abeilles que tu avais appris à soigner avec papa, au miel que tu nous distribuais généreusement. Sans oublier tous ces aménagements intérieurs, jusqu'aux greniers transformés en dortoir, où tes quatorze petits-enfants vont rêver encore longtemps de revenir en se rappelant les si bons moments passés auprès de leur Mamoune.

C'est incontestablement Naday que l'on retrouve en toi, non seulement dans les traits, mais aussi dans la manière d'être : ce pouvoir magique de tout faire converger vers toi pour le redistribuer, d'être le pôle d'attraction incontournable pour tes enfants, tes petits-enfants, tes frères et sœurs, et tes amis. Tu restes le pilier de la tribu Caillet-Pascalon.

Une pensée très spéciale pour toi, Pierre, et pour tous ceux qui t'aiment, à qui nous avons de la peine à exprimer notre émotion. Aussi, nous comptons sur Nicolas, au cours de cet office, pour t'aider à accepter le départ de Jacquette, si brutal, qui correspond peut-être à un appel de "Pate", partie elle aussi un 27 octobre.

Ses frères et sœurs.

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Homélie

Marthe et Marie : Jacquette, c'est un peu les deux. Ce que l'on voyait d'elle, c'était d'abord et surtout Marthe. Et on la plaisantait souvent à ce sujet : Tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup. Mais il y avait aussi en elle une nature contemplative, une intimité avec Dieu qui a marqué son existence.

Tous ceux qui ont connu Jacquette ont remarqué sa présence. Au cœur du foyer qu'elle avait fondé avec Pierre, elle était la mère, cette présence maternelle et affectueuse, de service, de dévouement, d'attention aux autres. C'était Mamounette. En cela elle était semblable à Marthe.

Mais une autre forme de présence la rendait semblable à Marie, assise aux pieds du Seigneur, pôle de la maisonnée, point de convergence et de ralliement qui assure la cohésion de la tribu.

Ces deux formes de présence vont nous manquer terriblement à tous. Plus spécialement à Pierre, à Laurence, à Domène, à Patrick, à Titiche, à Mireille, à Belette. Que nous dit ce sentiment de grand vide, cet immense espace blanc laissé par la disparition brutale de Jacquette ? D'abord, on a de la peine à y croire. Comment ce qui, hier, était là, si plein de présence, peut-il se trouver d'un coup vide ? Où est passée… l'âme de Jacquette, ce qui constituait son mode de présence unique, irremplaçable ?

C'est un mystère… Et ce mystère est celui de chacune de nos existences. En fait, nous prenons conscience subitement, dans un événement comme celui-là, du poids mystérieux de la vie, de toute vie humaine. Le quotidien le plus banal (les carottes à éplucher, les draps à étendre, les enfants à conduire à l'école, le jardin à arroser, le linge à laver, les courses à faire parce que la maison va se remplir pour les vacances), ce quotidien tellement banal est sacré. Il est lourd d'une présence qui n'est pas la nôtre : la présence de Dieu. Pour ceux qui croient que Jésus de Nazareth est le Dieu fait homme, il est clair qu'il n'a pas cessé d'être Dieu quand il était homme, en Galilée. En Jésus Christ, nous avons l'expression la plus parfaite du mystère de l'existence humaine et de sa profondeur insondable.

Une heure d'existence ! On aimerait tant parfois pouvoir demander à vivre une heure de plus ! Encore une heure, encore un jour… ne serait-ce que pour embrasser les siens avant de partir… Quel poids de gloire divine est caché dans chacune de nos journées, dans chaque heure qui passe ! Ces journées qu'on enfile comme des perles, si vite, si distraitement, nous oublions trop souvent la valeur infinie d'une seule d'entre elles.

Jacquette a bien rempli ses journées de vie terrestre. Elle a toujours cherché à être utile aux autres. Trop peut-être. On aurait aimé, parfois, qu'elle pense un peu plus à elle. Mais n'était-ce pas sa vocation, sa grâce ? N'a-t-elle pas été utile dès le départ, dès sa naissance ? En effet, c'est la naissance de Jacquette qui a permis le retour de captivité de papa. Il y avait des accords entre l'Allemagne et la France qui permettaient à un prisonnier de guerre chef de famille d'être libéré à partir de quatre enfants. Or Naday était enceinte de Jacquette durant l'été 1939, et sa naissance en février 1940 a permis à papa de rentrer tout de suite au lieu d'attendre 1945. Ceux qui sont nés dans cet intervalle, Françoise et Loup, d'une certaine façon, vous devez votre existence à Jacquette…

Déjà utile aux autres à sa naissance, elle a continué, plus tard, à Nouméa en découvrant sa vocation d'infirmière. Car c'est bien comme une vocation qu'elle a vécu ce métier. Il y a eu les études en Australie et en Nouvelle-Zélande. Puis le retour en France, un peu douloureux jusqu'au jour où Pierre est entré dans sa vie. A commencé alors la grande aventure des six rejetons à faire naître et grandir. Il y aurait trop à dire sur ces quarante-et-une années et demie que d'autres connaissent mieux que moi. Lyon, Champagne, Saint-Priest, Le Creusot, Strasbourg, Toulouse, et bien sûr Meyssiès. Ces noms de lieux sont pleins de souvenirs. Ils ont jalonné l'existence terrestre de Jacquette, comme celle de Jésus a été marquée par la géographie de la terre d'Israël : Bethléhem, Nazareth, Cana, Jérusalem… ces noms de lieux de notre terre sont inscrits à jamais en Dieu dans la Trinité sainte.

Son existence terrestre, aujourd'hui, Jacquette peut la contempler avec les yeux de Dieu, y découvrir la gloire cachée qu'elle a semée sans le savoir, dans le feu de l'action. Elle comprend maintenant à quel point tout ce qu'elle a vécu sur terre préparait sa place au Ciel. Notre vie ici-bas est la gestation de notre vie au Ciel. Il y a une grande continuité entre les deux. On appelle cela la communion des saints. Demain, nous fêterons la Toussaint, la fête de tous les saints. Jacquette vivra sa première Toussaint au Ciel, en grande communion avec chacun d'entre nous.

Elle qui a été utile aux autres dès sa naissance, elle le sera encore dans sa mort, qui est sa naissance au Ciel. Oui, la mort de Jacquette peut nous être utile. Elle peut nous rappeler que c'est un cadeau fabuleux que de se réveiller vivant le matin pour une journée complète d'existence.

Et je ne doute pas que ce que Jacquette attend de nous maintenant, c'est que nous ayons le courage de continuer à être des vivants. À être à la fois Marthe et Marie, à assumer le quotidien de façon active et efficace, mais avec une conscience plus vive du poids de gloire qui l'habite. N'oublions jamais que dans chaque journée, dans chaque heure qui passe, nous sommes en gestation d'éternité.

Amen !

 

Frère Michel-Marie (Nicolas PASCALON).

31 octobre 2005.

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Mamoune,
 
Tel naguère à sept heures, en guise de repos,
Dans son beau potager, la voilà qui désherbe,
Elle retourne, bine, entretien son terreau,
Un chignon impeccable, une allure superbe,
 
Tel, ce matin-là, vous alliez à Meyssiès,
Vous êtes partie trop vite et voilà qu'on vous pleure,
Et l'on entend encore la porte se fermer,
Et vos petits-enfants vous dire : "à tout à l'heure !"
 
Mais non, car ici-bas, son sillon est fini,
La famille est unie et la moisson est belle,
Tout ce qu'elle a semé, le bon Dieu l'a béni,
Et son grenier est plein pour la vie éternelle.
 
Pour ne s'éveiller plus, vous dormez cette fois,
Vêtue d'un chemisier, d'un jean et de claquettes,
Entourée de nous tous et bien sûr de papa,
Dormez dans la fierté d'une tâche bien faite,
 
Et même si aujourd'hui, la douleur nous assomme,
Vous resterez pour nous la lumière qui nous guide,
Vous nous avez permis d'être ce que nous sommes,
Merci encore pour tout, Mamounette splendide.
 
Préparez-nous la place pour qu'à notre heure dernière,
On se retrouve unis, dans la maison du Père.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Kikou (Patrick [CAILLET]).

Le 29 octobre 2005.

 

in La gazette de l'île Barbe n° 63, hiver 2005

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