Journal de Delphine Rivet-Bravais

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[La Première Guerre mondiale]

19 septembre 1914.

Constance reviendra bientôt à Lyon pour s'occuper de l'ambulance de la rue Boissac qu'Auguste organise en ce moment.

1er avril 1915, Jeudi saint.

Je vois de temps en temps Luisa et Constance. Henry Jaillard s'est engagé comme artilleur. Il a 17 ans et demi, on lui en donnerait 15. Gonzague (Gignoux) est en Alsace et se bat souvent. Sa pauvre mère se tourmente. Les deux fillettes Jaillard, après divers rhumes cet hiver, vont passer deux à trois semaines à Marseille chez les Dames de la Retraite.

3 mai 1915.

Pauvre Constance ! Quel affreux malheur vient encore la briser, lui broyer le cœur ! Dans la nuit du 27 au 28 avril, le croiseur Léon-Gambetta a été torpillé par un sous-marin autrichien et a coulé en dix minutes (vers le canal d'Otrante). Sur les 700 à 800 hommes qu'il contenait, environ 120 à 130 ont été sauvés, les autres ont été noyés. Tous les officiers ont péri, ne cherchant pas à se sauver aux dépens des matelots. Leur dernier cri a été " Vive la France ! " Pierre Jaillard était enseigne sur ce navire.

On peut juger du désespoir de Constance, déjà si cruellement éprouvée. Tout en ressentant vivement la première blessure, elle semblait se rattacher à la vie. Elle s'intéressait à ses enfants, elle cherchait à les rendre heureux. Ce fils aîné lui donnait beaucoup de consolations. Très affectueux pour sa mère, il cherchait à remplir auprès de ses frères et sœurs son rôle de chef de famille. Constance espérait que Dieu ne lui demanderait pas un nouveau sacrifice ! Son premier désir a été de se rendre à Santa Maria di Leuca, où on dit qu'il a été inhumé. Elle aurait voulu vérifier ce pauvre corps, puis le ramener. On la détourne de ce projet, qui présente tant de difficultés ; que va-t-elle faire ?

14 juin 1915.

Le 9 mai 1915, Louis Rivet, s[ociété de] J[ésus] (lieutenant au 1er régiment étranger), est tué à la cote 140, après un héroïque effort… (près de Neuville-Saint-Vaast, région d'Arras).

Le jeudi 27 mai, Constance est venue, nous avons pleuré ensemble : deux pauvres mères à la recherche du cadavre de leur fils !

Le mardi 1er juin avait lieu à Saint-François un service très solennel pour Pierre Jaillard.

Mme Théodore RIVET, née Delphine BRAVAIS.

Journal.

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Constance Jaillard avait reçu de Louis Rivet une lettre écrite quelques jours avant sa mort et que Madeleine Lepercq a conservée.

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in La gazette de l'île Barbe n° 65, été 2006

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