[José Pariset.]
Est-ce que tu connaissais ? Si oui,
il y a plus amusant : la traduction officielle de l’époque en
créole… signée « Pariset » ! Bonne
lecture en créole et à bientôt. Claude [Pariset].
Cayenne, le 15 juillet
1848. [Aimé] Pariset
Mes amis, Dans quelques semaines, l’esclavage va
cesser à la Guyane. Le 10 août prochain, vous entrerez
dans un nouvel ordre social. Vous serez tous libres. Les magistrats
qui ont été récemment dans les quartiers vous
ont expliqué quelle sera votre position dans cet état
de choses. Être libre, ce n’est pas être
indépendant de toute obligation ; au contraire, comme tout le
monde, vous dépendrez désormais, pour votre conduite et
pour vos besoins, de la société et des lois. C’est Dieu
lui-même qui a créé l’homme pour vivre en
société et qui ne permet pas que chacun puisse faire,
sans règle, toutes ses volontés. En même temps qu’il nous a
donné notre libre arbitre, qu’il nous a accordé des
droits, il nous a imposé des devoirs auxquels il faut savoir
nous plier, et vous aurez à respecter les droits chez les
autres comme il les respecteront chez vous. Déjà, vous
avez vu vos anciens maîtres, dans cet esprit de
fraternité et de conciliation, venir au-devant de vous pour
traiter des conditions auxquelles vous pourriez consentir à
leur louer votre travail. C’est la reconnaissance de votre droit.
Devenus libres, votre travail vous appartient, personne ne peut
l’exiger sans être préalablement convenu avec vous d’un
juste paiement ; vous ne serez plus obligés de le donner
à un maître. Mais votre travail n’a de valeur qu’autant
que vous pourrez l’appliquer, et pour l’appliquer, il faut des
propriétés disposées pour le recevoir et
l’utiliser. Or, les propriétés appartiennent toutes
à des habitants. Il faut donc, pour mettre en œuvre le travail
qui vous appartient, que vous vous entendiez avec ceux à qui
appartient la terre. Sur les habitations où vous
êtes actuellement, il existe des cases, des terrains à
vivre sur lesquels le propriétaire doit compter pour loger et
établir les travailleurs nécessaires à son
exploitation ; ces cases, ces terrains ont une valeur proportionnelle
dans l’ensemble de la propriété ; si vous y demeurez,
vous devrez en compensation au propriétaire un loyer ou un
certain temps de travail ; la justice le veut ainsi, et comme,
quelque part que vous alliez, vous aurez toujours à envisager
en première ligne cette obligation, je vous engage à
examiner, avant de changer de lieu, si vous y avez avantage, s’il ne
vaut pas encore mieux conserver des cases et des abatis auxquels vous
êtes habitués plutôt que d’aller faire des essais
ailleurs, où les premiers temps seront nécessairement
difficiles puisque tout y sera à créer. Il faut vous
dire que sur ces biens se trouvent des vieillards, des infirmes qui
ne peuvent se déplacer comme vous. Ces vieillards et ces
infirmes ont travaillé dans leur temps et ont aidé
à vous élever. L’humanité vous fait un devoir,
de concert avec vos anciens maîtres, de leur prêter
aujourd’hui aide et assistance ; c’est là une charge de chaque
communauté, et si vous ne prenez à cet égard des
arrangements en restant sur vos habitations respectives, si vous les
quittez, comment pourrez-vous faire que le propriétaire, qui
n’aura plus de revenus, ne les abandonne pas aussi à son tour
? Je dois vous présenter toutes ces choses, comme votre ami,
parce que je vous porte un grand intérêt, comme à
des hommes qui sentent le prix du bienfait dont ils sont l’objet, qui
sont capables d’entendre la voix de la raison, et qui, libres
désormais, ne voudront pas rétrograder dans les voies
de la civilisation. Ainsi, encore, je dois vous
prémunir contre l’abandon des travaux de grande culture pour
aller, sur de petites habitations, vous borner à faire des
vivres. Le couac [Cassave
boucanée : cf. inf. — NDLR.], la cassave [« Farine faite de la racine de manioc
séchée. Il se dit aussi du pain que l’on fait avec
cette farine » (Dictionnaire de l’Académie
française, 6e
édition, 1835). — NDLR.], les bananes ne peuvent se vendre que dans la
colonie. Les bâtiments de France n’en prennent pas. Si donc il
en vient beaucoup sur le marché, vous en ferez baisser le
prix, à peine même trouverez-vous à les vendre,
et vous n’aurez pas d’argent nécessaire pour acheter les
provisions et les effets d’habillement dont vous aurez besoin. Les
marchands du dehors ne peuvent apporter des salaisons, de la
vaisselle, des étoffes, des vestes, des chapeaux, des chemises
qu’à la condition de trouver dans la colonie du sucre, du
café, du coton, du rocou, du girofle à acheter en
retour, et c’est, de leur côté, avec la vente de ces
produits que les propriétaires auront de quoi vous payer vos
journées, ou que vous pourrez vous-mêmes procurer de
l’argent. Vous comprenez bien cette combinaison qui fait que votre
travail a besoin de terres et des usines de l’habitant, tout comme
l’habitant a besoin de votre travail pour mettre ses terres et ses
usines en rapport, et que, sans ce double concours, la colonie serait
condamnée à ne plus faire de denrées pour
l’exportation et retournerait à l’état sauvage.
Vous avez encore quelques jours devant
vous. Vous y pèserez ces réflexions. Ceux qui voudront
quitter les propriétés où ils ont
été jusqu’à présent pourront le faire. Je
vous le répète, mes amis, vous serez libres, mais vous
devrez vous entendre avec les habitants chez lesquels vous voudrez
vous transporter. Des ateliers nationaux seront ouverts sur les
propriétés domaniales, à la Gabrielle notamment,
pour ceux qui ne trouveraient pas à s’employer sur les
habitations particulières et, suivant leur force et leur
travail, il leur sera accordé une rétribution
convenable. Le Gouvernement vous donnera tous les moyens de vous
utiliser, mais il ne veut pas de vagabondage, et les individus qui
s’abandonneraient à l’indolence et à l’oisiveté,
qui croiraient pouvoir passer leur temps en courses dans les
quartiers ou en canot sur les rivières, ou qui iraient
s’établir sur les terrains de l’État, seront
arrêtés par la police et seront livrés aux
tribunaux, qui les enverront aux ateliers de discipline. Il en serait
de même de ceux qui commettraient des désordres, qui se
livreraient au vol ou à des dégradations. La Guyane ne
doit compter que des citoyens honnêtes et utiles, pouvant
toujours justifier de leur domicile et du travail qui les fait vivre,
et toutes les mesures seront prises pour les encourager et les
protéger. Je ne vous parle pas de la
rémunération de votre travail. Divers arrangements
peuvent être faits à cet égard, soit que vous
entriez en association avec les propriétaires chez lesquels
vous vous placerez, à la condition d’une part dans la
récolte, soit que vous affermiez des terrains à
cultiver à moitié fruits, soit que vous travailliez
moyennant des salaires à la tâche ou à la
journée. C’est un objet à débattre entre vous et
les propriétaires et dans lequel le respect même de
votre libre arbitre fait un devoir au Gouvernement de ne pas
intervenir. La diversité des cultures, la diversité des
localités dont est favorisé ce beau pays de la Guyane,
comporte d’ailleurs tous ces divers modes. Mais une fois les
conditions arrêtées, les conventions passées, il
faudra les exécuter avec loyauté, et
persévérance, sans se laisser rebuter par quelques
mécomptes tenant quelquefois aux intempéries des
saisons ou à des premiers essais. S’il s’élevait des
difficultés entre vous et ceux qui vous emploieront, des jurys
seraient institués à portée des justiciables
dans les cantons pour entendre les plaintes, pour prononcer avec
équité et rendre à chacun suivant son droit.
Mes amis, vous êtes sur le point
d’aborder une grande épreuve. La République vous a
appelés sans transition de l’esclavage à la
liberté. Les colonies étrangères contemplent ce
spectacle avec étonnement. Ne cédez pas à un
premier entraînement. Réfléchissez, et
prouvez-leur que, pour vous comme pour vos frères d’Europe,
vous saurez garder la noble devise de la France : la Liberté,
l’Égalité, la Fraternité, dans un travail
fructueux et honorable, dans la paix publique, dans les liens de la
famille, dans l’obéissance aux lois de la religion et de la
patrie. Cayenne, le 15 juillet
1848. Le Commissaire
général de la République, [Aimé] Pariset
À la Guyane
française. Habitants de la Guyane
française, Il appartenait au mouvement social et
religieux de notre époque de consacrer la glorieuse
régénération de la liberté dans nos
colonies. À peine nous apprenions l’avènement de la
République en France, et déjà avait retenti son
généreux principe que nulle terre française ne
peut porter d’esclaves. Les événements, depuis lors, se
sont succédés, se sont multipliés ; mais
grâce au bon esprit et aux sentiments d’union fraternelle de
toutes les classes de la population, l’ordre et la
tranquillité n’ont pas cessé un moment de régner
dans le pays ; je mets orgueil à m’en féliciter avec
vous, habitants de la Guyane ; honneur à vous ! Honneur à vous surtout, vous qui
naissez aujourd’hui à la liberté ! Mes amis, je suis
content de vous : vous avez montré une fois de plus, par votre
soumission aux lois, par votre sagesse, combien la République
avait eu raison de compter sur votre intelligence et votre
patriotisme. Le terme fixé à votre attente est
arrivé. Continuez ; désormais enfants de la France,
vous justifierez ce noble titre, j’en ai la confiance, par vos
progrès dans la civilisation, par votre dévouement
à nos institutions, par votre attachement au sol où
vous vivez, en le fécondant par votre travail, pour
vous-mêmes et pour vos familles, et aussi pour assurer la
prospérité de cette belle colonie, pour la rendre de
plus en plus utile et précieuse à la métropole.
Citoyens, En vertu du décret de la
République du 27 avril 1848, au nom du peuple français,
nous proclamons l’abolition de l’esclavage à la Guyane
française. Vive la République !
À Cayenne, le 10
août 1848. Le Commissaire
général de la République, [Aimé]
Pariset in La gazette de l'île Barbe n° 67, hiver 2007
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Liberté, Égalité, Fraternité