Henri. - Toujours équipé dernier cri…
Parlez-lui du dernier goretex… il faut voir ça ! Il motive
à fond le groupe et Anne-Marie en particulier. Grâce
à lui, nous avons subi un entraînement sérieux
(Ventoux et Oisans)… Il cherche sa voie dans les différentes
religions à sa disposition… Peut-être que le bouddhisme
lui apportera le nirvana… En tout cas, il rejette plutôt
l'islam !… Mais il veut améliorer son karma. Quand il est en
forme, attention à ne pas louper l'heure du déjeuner !
S'il n'a pas faim, c'est qu'il est malade. Anne-Marie. - Le sourire permanent ou presque… il n'y a
qu'au col du Thorong qu'il avait disparu, mais bien provisoirement.
Au-dessus de 4 000 mètres, la tchatche [Le bagout. -
NDLR.] est réduite. En revanche, elle retrouve toute son
énergie au-dessous de 2 000 mètres… et encore plus s'il
y a des magasins et des autochtones à interviewer ! C'est
notre ambassadrice dès qu'il s'agit de négocier. Elle
se fait comprendre dans beaucoup de langues, dont le russe. Nicole. - Comme les deux précédents, elle est
toubib. Elle nous a déjà accompagnés au
Sinaï et en Jordanie, où nous l'avions
appréciée… C'est pourquoi elle est aujourd'hui
intégrée à la petite équipe. Aime bien la
bonne chère et ne boit pas que de l'eau ! Elle a une
volonté farouche qui la fera arriver toujours au bout de ses
peines ! La guigne la poursuit un peu. Nady. - " Je fais ce que je veux… ", ce qui n'est pas
toujours facile à gérer ! Ne pas réveiller avant
8 heures sous peine de graves représailles (pour le mari !)…
d'où les longues négociations en montagne pour des
levers matinaux ! Expression favorite : " c'est pas extraordinaire !
"… traduction : " c'est franchement pas bon ! " Elle monte bien, avec
une humeur égale même si Bruno est de mauvaise humeur.
Se désintéresse presque systématiquement du nom
des montagnes : une pitié. Si elle sait pas, elle dit au
hasard : " la Meije " ! Bruno. - C'est lui qui a lancé l'idée du
Népal. Le plus vieux du groupe, mais il met son point
d'honneur à se balader devant… si possible seul ! " Pas plus
vite qu'à fond ", pour reprendre les mots de ses fils. Il est
venu pour grimper sur un sommet, le Chulu Far East Peak, un
plus-de-six-mille-mètres. La montagne lui fait toujours du
bien, mais ne pas tenter la réalisation d'un objectif bien
mûri préalablement le rend de mauvais poil. Adore mettre
les paysages de montagne et les portraits d'enfants dans sa petite
boîte numérique. Mais c'est avant tout une équipe, et les
individualités se sont toujours fondues dans le moule pour le
bien de l'ensemble. Il nous a conduit en Oisans et dans la vallée de
Névache :
ainsi qu'au Ventoux, où nous avons couché pour
tester notre matériel : vestes en duvet, duvets, capes de
pluie. Au total, nous avons fait 10 000 mètres de
dénivelée. Seul pépin : Nicole, au Thabor, se
casse le poignet gauche… et ce ne sera pas fini… Les sacs ont été pesés avec le peson vosgien…
Tout est prêt : piolets, crampons, duvets, appareils photo,
barres nutritives, Micropure pour l'eau, médicaments pour la
turista [" Diarrhée des touristes " en espagnol. -
NDLR.]… Il ne reste plus qu'à y aller ! Le stock de médicament est particulièrement
important, avec notre équipe faite de trois médecins et
d'une pharmacienne. Nous faisons une revue de détail ; tout y
est : attelles, injectables, etc. Nous sommes en partie habillés par nos enfants (vestes en
duvet, sous-vêtements chauds, cagoules " Action directe ",
gants, coques plastiques, crampons…) et profitons de leur
expérience expé pour ajuster nos
préparatifs. Bernard et Françoise nous ont déposés au TGV
avec nos 54 kilos de bagages (2 × 20 + 2 × 7).
Jusque-là, tout va bien… mais c'est ensuite à Paris que
nous allons attraper une grosse suée pour rejoindre La
Défense avec nos impedimenta ! Les tours de La
Défense seront nos premières montagnes… Il est vrai
qu'escaliers roulants et ascenseurs facilitent bien les choses. Nous
logeons chez Delphine et Damien, au-dessus d'une des casernes des
pompiers de Paris. Nous rejoignons Charles-de-Gaulle par le RER. Enregistrement,
police des frontières, et embarquement à l'heure,
direction Doha (émirat arabe). Le temps est clair et la vue
sur les Alpes magnifique. Survol de l'Italie, l'Autriche, la Croatie,
la Turquie, le Liban, la Syrie. Nous arrivons dans la
presqu'île du Qatar à 18 heures… Il fait nuit noire.
Escale à Doha. Diversité de cultures, des mondes
vestimentaires, typés djellaba blanche et keffieh pour les
hommes et tenue noire avec haïk pour les femmes, sari indien… ou
tenues européennes. Il y a beaucoup de Français en
tenues typées pour une randonnée : grosses chaussures
et sac à dos. Ce hall de Doha, vrai temple de la consommation
de luxe (duty free [" Hors taxe " en anglais. - NDLR.]), est
une ruche où se rencontrent de très nombreuses
nationalités (mais pas de toutes les conditions sociales !…).
Cela donne à penser, de voir que tout ce métissage de
nations se passe dans une bonne entente. Henri, pour faire couleur
locale, a acheté des dattes, qui sont bien
appréciées de nous tous ; il a cependant oublié
keffieh et djellaba !… L'uniforme peut s'accommoder du voile,
témoin celui d'hôtesses dont certaines portent un petit
voile qui leur va bien ! Nous devions partir à 23 h 35… mais c'est seulement
à 2 h 30 du matin qu'aura lieu le décollage pour
Katmandou… Nous aurons essayé de dormir dans le bourdonnement
du hall, auquel s'ajoutent les annonces
répétées… avec des Choukrane, choukrane,
" merci ! merci ! " Il nous reste 3 350 kilomètres à faire pour
atteindre Katmandou, où nous serons à 8 300
kilomètres de Roissy. À 9 h 30, heure locale, nous arrivons à Katmandou
avec une vue splendide sur la barrière himalayenne. Nous sommes accueillis par Karma, qui nous conduit dans notre
petit hôtel du quartier de Thamel. L'équipe se compose
de Karma, notre guide francophone, le sirdar [Chef militaire. -
NDLR.] Passang, le cuisinier Jetha, et Pemba Tensing, sherpa
[Guide népalais. - NDLR.]. Premiers contacts avec les couleurs de Katmandou, les ruelles du
quartier de Thamel, ses commerçants et les marchandages… 84
roupies valent 1 euro, et par exemple, un Coca-Cola bu sur place vaut
dans Thamel 13 roupies ; pour 45 roupies, on peut déjeuner de
chicken momos (" raviolis de poulet ") et boire un Coca ! En déambulant dans Katmandou, Nicole fait sa
première chute à cause d'un caniveau et retombe sur la
fracture récente ! Il est vrai que la circulation dans les
rues étroites avec les motos, voitures, rickshaw
[Pousse-pousse locaux. - NDLR.], dans un concert de klaxons,
semble périlleuse. Quelle animation et que de couleurs depuis
l'habillement jusqu'aux marchandises : piments et épices,
tissus !… Premières découvertes de singing bowls ["
Grelots " en anglais. - NDLR.] et de prayer wheels [" Moulins
à prières " en anglais. - NDLR.]. Nicole est instituée comme notre trésorière
et aura la responsabilité de la caisse commune, que nous
abonderons régulièrement à sa demande. Elle
paiera ce qui n'est pas pris en charge par Atalante, en dehors de nos
achats pour cadeaux… qui nous occuperons beaucoup de temps lors de
notre retour à Katmandou. Après un lever très matinal, compensé par un
excellent petit déjeuner qui devrait nous permettre de tenir
une bonne partie de la journée, nous embarquons dans le car
qui nous servira à nous, mais aussi aux porteurs (une
quinzaine), à nos bagages et aux bagages collectifs (tentes,
matériel de cuisine…), ainsi qu'à la nourriture
achetée à Katmandou. La sortie de Katmandou est
laborieuse à cause des embouteillages, puis c'est le
recrutement des porteurs qui embarquent avec nous, et enfin nous
sortons de la périphérie de Katmandou. Nous apercevons
nos premières montagnes… le Manaslu. Notre bus est de la
marque indienne Tata comme la plupart des camions et bus au
Népal. Les contrôles militaires sont fréquents et parfois
longs… mais peut-être est-ce notre mentalité
européenne qui nous rend impatients ! La route devient plus
difficile et les croisements sont laborieux ; nous avons passé
Besishar et arrivons à Khudi (790 mètres), où
sera notre premier bivouac. En route, nous avons vu beaucoup de
rizières organisées en terrasses, des cultures de
millet, des bananiers, des bougainvilliers. Sur certaines parties de
la route, l'exploitation du torrent : des casseurs de cailloux, qui
utilisent dans ce but de petits mortiers en bois… mais sans lunettes
de protection ! La journée de voyage avait été un peu plate,
disait Henri… mais ce n'était pas fini. Nos tentes sont
installées dans la jolie prairie du lodge [" Bungalow " en
anglais. - NDLR.] où nous allons dîner. La vue sur
le Manaslu est superbe. Notre tranquillité a vite
été perturbée par l'intrusion d'un fou furieux
(alcool, drogue, ou les deux…) qui en voulait au propriétaire
du lodge… Tout y est passé : destruction de la
clôture, bris des vitres existantes du lodge, qui
était défoncé à l'aide d'envoi de grosses
pierres et cailloux. La vaisselle y est passée… Les villageois
arrivés en renfort n'arrivent pas à maîtriser le
forcené maintenant équipé d'une serpe… et
plutôt que de risquer d'être lapidés ou
raccourcis, nous fuyons et passons la Khudi-khola ("
rivière ") avec tous nos bagages pour aller mettre notre
campement dans un endroit plus calme le long du torrent. Le
tea-time [" L'heure du thé " en anglais. - NDLR.] nous
permet de nous remettre de l'incident ! Le soir, dans une sorte de
salle hors sac, nous prenons le dîner : soupe à la
coriandre avec des galettes à base de farine de lentilles et
du piment. Nous essayons quelques mots de népalais : cana
mitossa, " la nourriture est bonne " ; " merci ", dannebat ;
aliquetti, " un petit peu ". Lever 6 heures avec le thé brûlant apporté
sous la tente ; c'est génial… mais Nady n'apprécie pas
! Ensuite, cuvette d'eau chaude pour se débarbouiller et faire
une toilette sommaire… et parfois, pour Henri et moi, pour se raser.
Pendant ce temps, les tentes sont démontées et
rangées et nos bagages ficelés et répartis par
porteur… et tout cela en un temps record. Nous prenons le chemin en direction de Bhulebule, Nagdi, Jagat (1
300 mètres). Nous avons le chant des cigales. pour progresser
parmi les rizières, les bougainvilliers, les magnolias, les
hibiscus… Nouveau malheur pour Nicole… : son appareil photo est " un peu "
tombé, et il ne fonctionne plus que partiellement ! Nous nous arrêtons pour le lunch à Bahundanda. En
chemin, de jeunes Népalais sont ravis de se faire prendre en
photos et de se voir ensuite sur le petit écran… en revanche,
les plus anciens refusent la photo. Les montagnes vues sur le chemin
sont le Manaslu (8 163 mètres) et l'Annapurna IV (7 500
mètres). C'est une montagne très habitée,
fleurie. Les Népalaises sont belles, avec souvent des saris
très colorés. Nouveau malheur pour Nicole, qui, après avoir posé
son sac sur une fiente de volaille, le reprend par le fond… Vous
imaginez la suite, et encore heureuse de ne s'être pas
passé la main sur la figure après tout ça !
Réflexion de Nicole : " il ne m'arrive que des ennuis ! " Nous arrivons à Syange pour camper au bord de la
Marsyangdi-nadi… Nadi signifie déjà un cours
d'eau important. Une rivière, c'est khola ; un
très grand fleuve, c'est gandi. Au dîner,
discussion sur l'itinéraire des jours suivants : nous irons
juqu'à Méta, puis Naar, mais pas jusqu'à Phu. La
toilette, ce soir, se fait dans la Marsyangdi-nadi… Ici,
l'atmosphère est humide, et nous découvrons une sangsue
dans notre tente. Après un lever matinal, notre marche est tranquille. Nous
nous arrêtons pour une pause thé à Chyamche, puis
pour le repas à Sattale (1 680 mètres). Au passage dans
la forêt, nous apercevons des singes au sommet des arbres. Nous
nous arrêtons pour la nuit à Khotro (1 850
mètres). La toilette est faite dans une salle de bains qu'il
faut voir. Ce soir, c'est une intense discussion sur la
pénibilité du travail des porteurs… Anne-Marie serait
bien la madone des porteurs… mais nous risquerions bien, à
l'entendre, de tout porter par nous-mêmes ! Alors, ce n'est
plus une randonnée que nous ferions, mais plutôt un
chemin de croix ! C'est l'orage et la pluie. Nous n'arrivons pas à passer
entre les gouttes. Le moral est un peu dans les chaussettes, qui sont
vite trempées. Après la pause thé dans la
matinée, nous nous arrêtons à Danakyu (2 300
mètres) pour déjeuner. Visiblement, nous n'avons pas de
possibilités d'accès au feu pour faire sécher
nos chaussettes et chaussures ; aussi, nous continuons bien humides
sur le chemin qui s'éboule et est parfois sous les chutes de
pierre. Nous n'atteindrons pas ce soir le but fixé, Koto, le
chemin ayant été emporté par une coulée
de boue. Nous nous arrêtons à la limite pluie-neige.
L'inquiétude est maintenant importante pour l'avenir de notre
randonnée, car si nous ne passons pas les cols prévus,
la randonnée risque de tourner court… Nous aurions à
revenir sur nos pas vers Besishar, ce qui ne serait pas drôle !
Avec ces conditions climatiques et sous la neige, la situation
devient critique pour les porteurs, dont certains progressent en
tongs ! C'est encore une journée galère avec beaucoup de
pluie et maintenant de neige. Nous arrivons finalement à
Pisang, que les porteurs rejoignent tard, à la nuit
tombée. Henri, malade d'un début d'angine, reste au lit
le soir. L'orage gronde toujours. Nous nous retrouvons tous plus ou
moins frigorifiés autour d'une lampe au kérosène
pour récupérer un peu de chaleur. Dans la nuit, une éclaircie magnifique, avec les montagnes
au clair de lune, prémices de beau temps, espérons-le !
Nous sommes à Pisang lower [" Bas " en anglais. -
NDLR.] (3 200 mètres). Le peu de vent va-t-il
dégager le ciel maintenant bien chargé ? Nous pouvons
observer le vol majestueux de deux aigles dans le ciel mi-bleu
mi-nuageux. Plusieurs allers et retours à Pisang upper [" Haut " en
anglais. - NDLR.] (3 300 mètres) pour visiter un temple
bouddhiste, pour téléphoner. Anne-Marie envoie un
message téléphonique à sa maman pour lui dire
que tout va bien… lequel message ira ensuite à Hugues, qui
diffusera côté Cabane. Le temps est toujours incertain…
mais nous apercevons l'Annapurna II… Irions-nous vers le beau ? Nous modifions nos projets : pas de vallée de Naar par
Méta, pas de col de la Kung, pas de Chulu Far East Peak pour
Bruno et Henri. C'est la grosse déception, surtout pour Bruno,
qui voit s'envoler ses rêves de vallée perdue hors du
circuit fréquenté du tour des Annapurnas, mais surtout
qui ne fera pas l'ascension d'un beau six-mille-mètres qu'il
avait pu entrapercevoir depuis quelques jours. Sur ce dernier point,
il a l'air d'être le seul vraiment privé. Enfin le beau temps est revenu, et nous espérons bien
laisser derrière nous ces trois jours d'intempéries. On
voit le Chulu Far East Peak et à l'ouest le massif de
l'Annapurna. Nous passons le col Nahodara à 3 280 mètres. La vue
au nord et à l'ouest est splendide. Vue sur le pic Tilicho et
les Annapurnas. Arrivée à Humde après avoir
traversé une plaine forestière qui pouvait rappeler le
Jura ou les fonts de Cervières. Vue splendide sur l'Annapurna
III, qui fume. Je prends des photos du col de la Kung, où nous
aurions dû passer après Naar. Notre après-midi
est passé à contempler les montagnes : à
l'ouest, Annapurna III, au sud, pic de Pisang, et à l'est, col
de la Kung… et le Chulu, qui n'est pas loin. Bruno a du mal à
faire le deuil du Chulu… Cette privation d'ascension d'un beau sommet
lui manquera et fera du séjour au Népal quelque chose
d'incomplet ! Henri, lui, pris par ses maux de gorge, était
moins motivé et donc moins déçu. Maintenant, il
s'agit de passer le col du Thorong, actuellement bloqué
à cause des grosses chutes de neige. Puissent les jours de
soleil que nous espérons à venir permettre ce
franchissement… Nous vivons avec cette interrogation, d'autant plus
que nous croisons des randonneurs n'ayant pu franchir ce col et
rebroussant chemin… Galère, galère !… Du coup, nous allons progresser lentement, pour laisser d'une part
le beau temps rétablir des conditions nous permettant de
passer, et d'autre part pour habituer nos organismes à
l'altitude. Toute la journée, nous avons vu ou entendu gronder les
avalanches… Il est sûr qu'il ne doit pas faire bon,
après ces trois jours de neige, de se trouver sur certaines
pentes ! Nous sommes à Manang à midi. Nous avons le plaisir de prendre notre première douche
chaude depuis le début de la randonnée. Nous apprenons des bribes de nouvelles d'un accident dans la
vallée de Méta, où nous aurions dû passer.
Nous apprendrons plus tard que dix-huit personnes dont sept
Français sont morts dans une avalanche au camp de base
à 5 000 mètres pour tenter un sommet de 6 900
mètres, le Kangaru-Himal. Nous ne nous doutions pas alors du
vent de panique qui a soufflé en France parmi nos familles et
amis. L'accident s'est produit il y a trois jours, le 21 octobre,
après la première journée de neige… Il y aurait
aussi une expédition en difficulté au pic Tilicho, au
nord-ouest d'ici. L'après-midi se passe dans une chaise longue en
contemplation du Ganggapurna et des 4 500 mètres de glacier et
de parois rocheuses qui nous dominent. Il existe un peu de mécontentement vis-à-vis de
l'équipe Atalante. Nous constatons que la qualité des
repas a fortement baissé depuis le départ du cuisinier,
qui réalisait des prouesses. Karma, à nos airs
mécontents, a dû comprendre, car les jours suivants, on
nous fait choisir nos repas. Nous nous arrêtons à Gunsang (3 900 mètres)
pour le thé, puis poursuivons jusqu'à Yak-Kharka (4 010
mètres), où nous déjeunons. Nous avons
traversé un certain nombre de coulées d'avalanches sur
le parcours. Finalement, nous ferons une halte plus prolongée ici pour
une meilleure acclimatation et pour laisser à Anne-Marie le
temps de récupérer… Le camp de base (4 925
mètres), ce sera seulement pour demain. Le soir au dîner
: riz, omelette, thon, le tout arrosé du maintenant classique
citron chaud. Discussion sur le léopard des neiges, qui,
d'après Henri, préfère l'homme, et surtout
l'homme âgé : alors, seniors, faites gaffe dans ces
montagnes ! Les gens du coin disent qu'il y en a deux dans la
région. Nous dormons donc à Yak-Kharka pour attaquer
les 900 mètres de dénivelée du camp de base
demain. Sabaratre, " bonne nuit " ! Départ à 7 h 45. Nous arrivons pour déjeuner
à Thorung-Phedi (4 450 mètres). Il y a beaucoup de
neige, mais la trace est bonne. Ceux qui sont devant nous et ont
réussi à passer hier ont bien facilité notre
tâche aujourd'hui. Nous avons vu une randonneuse
dévisser dans la pente en aval de la trace… Heureusement, la
chute s'est bien terminée… mais il y a des endroits où
il ne faudrait pas se livrer à cet exercice ! En tout cas,
c'est impressionnant à voir ! À 14 heures, arrivée au camp de base (4 925
mètres) pour Henri et Bruno. Bruno profite de l'occasion pour
monter sur une butte cotée plus de 5 000 mètres,
au-dessus du camp de base… Donc, premier cinq-mille-mètres ;
c'est bon pour se défouler. Anne-Marie arrive une heure plus
tard assez mal en point : crise d'angoisse, spasmes dans la gorge.
Elle se met au lit et Henri, inquiet, est aux petits soins pour lui
faire revenir la forme… Il est vrai qu'Anne-Marie ne va pas bien, car
on ne l'entend plus… C'est grave, docteur ! Nady, elle en pleine forme, lit Le Fils de l'Himalaya de
Jacques Lanzmann. Quant à Nicole, elle note dans son journal
qu'elle m'a maudit et m'aurait jeté je ne sais où…
Brrr… j'en ai des frissons rétrospectifs ! Vraiment, la
montée a dû lui paraître dure… La soirée,
courte car nous nous couchons toujours très tôt (entre
19 et 20 heures), se passe à essayer de faire sécher
chaussettes et chaussures. Nous démarrons vers 3 h 30 du matin à la frontale.
Derrière Passang, durant la première demi-heure, nous
avons à assurer la trace encore trop fragile et trop molle de
ceux qui nous ont précédés… et ont dû
faire un travail fatigant. Mais au fur et à mesure de la
montée, la trace est devenue très sûre,
facilitant une excellente progression. Nous montons chacun à
notre rythme, régulièrement, avec le soleil qui
commence à éclairer tous les sommets environnants. Le
spectacle est fantastique… et l’on aurait presque envie que cette
montée lente vers le soleil dure pour profiter de toute cette
beauté. Maintenant, les pentes s’adoucissent, le soleil s’est
emparé des sommets. Et bientôt, il sera là pour
nous réchauffer. La neige dans la trace porte bien ; c’est un plaisir
d’avancer dans ce calme et avec cette lumière. Il n’y a pas de
vent, et au col, le farniente au soleil sera possible en attendant
les autres. Il est 7 h 30 au col du Thorong (5 425 mètres) ;
Nady suit de près, puis Nicole arrive vers 8 h 40 : « si
j’avais su… je ne serais pas venue… C’était trop dur… J’ai cru
que j’allais mourir… Je faisais trois pas, puis je m’arrêtais…
» Finalement, c’est assez classique comme langage
d’arrivée à un but en montagne… Je l’ai souvent
entendu… et mieux vaut l’entendre, car s’il n’y a plus de
conversation, alors là, c’est plus grave… c’est que la
personne n’est vraiment pas bien ! Vers 9 h 30, Anne-Marie, tirée par Passang, soutenue
par Karma, encouragée par Henri, arrive au point culminant de
cette randonnée. « Je croyais vraiment mourir à
chaque arrêt ; je fermais les yeux… je comptais vingt
respirations à l’arrêt avant de repartir… » Et tu
es là, arrivée à 5.425 mètres… Bravo,
Anne-Marie ! Dans la descente du col, nous apercevons la belle pyramide
du Dhaulagiri I. Nady et moi, après une descente facile (la
neige molle fait bien les choses et évite tout mal aux pieds :
ampoules, etc.), arrivons vers midi à un lodge boueux…
pour déjeuner. Nous allons attendre Nicole et Anne-Marie, qui
nous rejoignent plus tard !… Comme quoi, il semblerait que la
descente a été différemment
appréciée. Les Vaujaniats auraient-ils plus
l’habitude des descentes en neige ?! Malchance supplémentaire pour Nicole, qui cette fois
s’est cassé le poignet droit en tombant dans la neige. Henri,
notre spécialiste, met donc une attelle supplémentaire…
Attention : ne vous cassez plus rien, car il n’y aura plus assez de
matériel pour réparer ! Nous reprenons la descente vers Muktinath (3.750
mètres), et maintenant, il semblerait qu’avec l’altitude
diminuant, Anne-Marie aille de mieux en mieux. Le lodge est crasseux
et Nady vaporise l’anti-puces, anti-galle, etc. Mais le panorama sur
les montagnes est superbe : Nilgiri, Dhaulagiri, Tukuche. Nous marchions dans la neige depuis Chame le 21 octobre,
cela faisait donc notre septième jour dans le blanc ! En
conditions normales à cette époque de l’année,
il nous avait été dit que le parcours était sur
sentier ! Journée passée à Muktinath. Nous en profitons
pour visiter un monastère. Muktinath est en effet un lieu
célèbre de pèlerinage pour hindouistes et pour
bouddhistes. La tradition bouddhiste tibétaine dit que le
gourou Rimpoché, fondateur du bouddhisme tibétain, a
séjourné à Muktinath pour méditer en
chemin vers le Tibet. Le sanctuaire est dédié à
Vishnou. Le monastère est entretenu par vingt-cinq moniales, qui
prient tout au long de la journée. Elles vivent exclusivement
des offrandes des fidèles. Dans l’enceinte se trouvent deux
temples hindouistes des dieux Çiva et Vishnou. Le temple de
Vishnou est entouré de cent huit orifices de fontaines en
forme de tête de vache, d’où s’écoule une eau
sacrée. Plus bas, un temple bouddhiste, Jwala-Mai, produit des
jets de gaz naturel donnant une flamme sacrée
perpétuelle, et avec également une fontaine «
miraculeuse ». Cela symbolise la rencontre de la terre, du feu
et de l’eau. C’est un haut lieu de pèlerinage hindouiste et
bouddhiste. Nous nous aspergeons de l’eau bénéfique et
qui guérit tout. Nous voyons la lumière
alimentée par une source de gaz naturel : la flamme
éternelle. Sans entrer en méditation, nous admirons ces
moniales qui restent ici toute l’année pour la prière
et l’entretien du sanctuaire. À midi, nous mangeons du yack et des frites.
Après le repas de yack, réflexion d’Henri à
Nicole, handicapée des deux poignets : « C’est dommage
que tu ne sois pas un mille-pattes » ; puis à Anne-Marie,
crevée : « Tu viens ? Je vais te coucher »… Comme
quoi un toubib prend bien soin de ses malades. À propos du peuple Newar, où nous sommes :
« peuple parlant le langage du silence ». Nous descendons à Kagbeni, à 2.800 mètres,
à la limite du Mustang. Cette fois, Anne-Marie revit et a
retrouvé sourire et dynamisme. Le paysage change
complètement, il est devenu désertique, coloré,
plus proche des paysages tibétains. Après notre
installation dans un lodge où nous avons chacun une
salle de bains, nous partons à la découverte de ce
petit village fortifié à la frontière du
Mustang. L’après-midi, nous visitons un ancien
monastère bouddhiste. Visite du temple Kag-Chode et d’un
monastère construit en 1429. Om Mani Padme Hom, « Oh, mon maître, qui
es assis sur le lotus, je ne fais que du bien pour les êtres
vivants en suivant tes enseignements. » « Cette psalmodie
qui invite chacun de nous à atteindre à un niveau de
conscience aussi lumineux que celui du joyau dans le lotus »
(Jacques Lanzmann). Kagbeni, cité médiévale, a eu un
rôle historique important le long de la route du sel.
C’était un village fortifié, où l’on voit encore
quelques murs d’enceinte. On peut voir aussi dans le village nombre
de vieilles fenêtres sculptées dans le bois. À
l’entrée du village, un beau chorten [Monument du
bouddhisme tibétain. — NDLR.] avec à
l’intérieur, au plafond, un mandala [Symbole hindou et
bouddhique de l’univers. — NDLR.] datant de 1665. Kagbeni est
à la frontière du Mustang… à l’accès
très réglementé. Le soir dans le lodge de
Kagbeni, nous goûtons l’alcool de riz. Le riz est cuit, puis
empâté avec de l’eau et ensemencé avec de la
levure. L’ensemble va fermenter, puis sera distillé. Les doses
distribuées sont importantes… et monteraient vite à la
tête si nous n’y prenions pas garde. En route pour Jomosom, nous sommes maintenant dans le lit de la
Kali-Gandaki, où l’on trouve dans certains galets de schiste
des fossiles d’ammonite (saligrams) ou des rostres de
bélemnites. Les saligrams, ces galets noirs (schisteux)
contenant (parfois…) des fossiles d’ammonites, sont
considérés comme des pierres sacrées. Ils datent
d’environ 140 millions d’années. Ils sont placés dans
les temples, monastères, maisons particulières comme
emblèmes du dieu Vishnou. Ils sont utilisés aussi dans
des rites religieux : mariage, funérailles… La légende
dit que le dieu Vishnou serait venu sur terre sous forme de saligram…
On trouve ces fossiles en fouillant bien le lit de la rivière…
Nous en avons trouvé quelques-uns. Nous finissons par arriver à Jomosom, où nous
sommes installés dans un lodge sur les bord de la piste
d’envol de l’aéroport, dont nous partirons après-demain
(deux vols par semaine). Journée passée à Jomosom, où nous
faisons des courses, mangeons des gâteaux, mais aussi allons
visiter un monastère où a lieu une fête des
masques. Ce monastère Dhumba est situé au-dessus de la
vallée de la Kali-Gandaki, au pied du Nilgiri. À
l’intérieur du sanctuaire, nous sommes accueillis avec un
thé au lait de yack qui est le bienvenu. La fête a lieu
dans la cour : défilé de tambours, de trompes longues
et d’instruments faits à partir de coquillages. Nous quittons
la fête avant la fin… Nicole serait bien restée, mais en
plein courant d’air !… Le soir, nous changeons d’hôtel pour nous installer
dans le palace de Jomosom. Pourquoi ce choix de la part
d’Atalante, qui semble abonné à cet hôtel ?… Pour
nous faire terminer sur ce qu’ils croient être un point fort.
Cela ne l’est pas pour nous, dans cette espèce de
cathédrale sans âme où il n’y a que nous cinq
pour plus d’une centaine de chambres ; mais nous apprécions la
salle de bain et la douche chaude, ainsi que le repas… Tout n’est pas
négatif ! Pour rejoindre l’hôtel depuis Jomosom-Bas,
nous avons été véhiculés avec nos bagages
dans une remorque de tracteur sur un chemin impossible… Nady,
terrorisée, réclamait de monter à pied ! Après un solide petit déjeuner, nous redescendons
avec l’équipage tracteur-remorque dans la scabreuse piste pour
rejoindre — ouf, sans encombres — l’aérodrome. De l’avion, vue splendide à l’est sur la chaîne
des Annapurnas, le Machhapuchhare, ce Cervin de l’Himalaya, qui
culmine à près de 7 000 mètres. À l’ouest
apparaît, majestueuse, le Dhaulagiri I, à plus de 8 000
mètres. Escale rapide à Pokhara, pour repartir sur Katmandou.
Et là aussi, un spectacle grandiose sur la chaîne
himalayenne depuis l’avion… Nous en prenons plein les yeux et aurons
notre réserve de sommets dans la tête pour un certain
temps. Bhaktapur (Bhatgaon, « la cité des
dévots »). — Cette ville a été
fondée au IXe siècle par le roi Ananda Deva
Malla. C’est une petite ville médiévale remplie de
palais, de temples, et de maisons superbes. Bhaktapur a dominé
politiquement tout le Népal jusqu’au XVIe
siècle. La langue y est le newari le plus pur que l’on puisse
trouver au Népal. C’est superbe : vieilles façades de bois
sculpté, Durbar, square aux temples à toiture en pagode
à plusieurs niveaux, palais, sculptures sur bois… C’est une
fenêtre ouverte sur un petit bout de Moyen Âge. Beaucoup d’activités sont réalisées
dans la rue, le sol est partout recouvert de riz qui sèche et
de paille de riz. Ce qui frappe là encore, comme au cours de la
randonnée, c’est le sourire des Népalais, leur
gentillesse, malgré une grande pauvreté. Nous allons de merveilles en merveilles, Durbar Square, le
palais royal avec la porte d’or, chef-d’œuvre d’orfèvrerie du
XVIIe siècle, le bassin royal entouré de
cobras sacrés, la statue du roi Bhupatindra Malla
agenouillé et les mains jointes (on lui doit la
majorité des extraordinaires monuments de la ville). Patan. — Ancienne ville royale, autrefois capitale et ville
d’art, Latitpur, « la cité de la beauté »,
est située dans les faubourgs de Katmandou. Cette ville
était anciennement un grand centre d’enseignement bouddhique,
comme en témoignent les nombreux monastère
éparpillés dans la ville. Le temple d’or : c’est une gigantesque pièce
d’orfèvrerie, dont les origines remontent au xiie
siècle. Tout est gravé et ciselé. Le travail des
portes d’accès, avec les éléphants, est
remarquable. Les treize stûpas [Monuments reliquaires
bouddhiques. — NDLR.] au sommet du temple représentent les
treize niveaux pour atteindre le nirvana. Visite du vieux Katmandou. Le stûpa blanc est la forme qui rappelle Bouddha.
Nous visitons le temple aux pigeons… une multitude de pigeons qui
dégradent les bâtiments, mais sont attirés par
les fidèles qui leur distribuent des graines. Explications des
« bas-reliefs » de fleurs de lotus et de flammes. Pour
arriver au nirvana, nécessité d’éviter les trois
poisons : désir, haine, ignorance. Maison de la kumari, déesse royale vivante. Chaque
ville royale a sa kumari (Patan, Bhaktapur, Katmandou). C’est
une enfant (fille) choisie sur des critères de beauté
dès l’âge de 4 à 5 ans (trente-deux
critères de choix…). Elle sera éduquée et
recevra un salaire d’environ 3.000 roupies par mois. Elle est donc
considérée comme riche. Elle vit cloîtrée
dans la maison de la kumari avec ses parents… qui veillent à
ce que les offrandes rentrent comme il faut lors de ses rares
apparitions en public !… Nous avons eu une « apparition »
de la kumari, mais avons été chassés de la
maison par son père, car, semble-t-il, nous n’avions pas mis
notre obole !… Le changement de kumari se fait lorsqu’elle atteint
l’âge de la puberté, ou à la mort du roi, ou si
elle est gravement malade. En matière de conclusion, ce fut une belle aventure : un
peu sportive, culturelle avec la découverte des traditions
religieuses bouddhistes et hindoues, mais surtout humaine par la
connaissance des Népalais et le renforcement de notre
amitié de tous les instants. Bruno [CABANE]. 14 novembre 2005. In La gazette de l'île Barbe n° 70, 71 et 72 Automne
2007, Hiver 2007 et Printemps 2008