Népal

15 octobre - 5 novembre 2005

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Pourquoi aller au Népal ?

Pour un certain nombre de notre petite équipe de cinq personnes, c'était un rêve de longue date qui ne pouvait pas être réalisé durant une activité professionnelle trop prenante. Et puis, qui dit Népal dit sommets. Bruno est très fortement motivé, Henri un petit peu moins pour tenter l'ascension d'un plus-de-six-mille-mètres… N'était-ce pas tentant d'aller faire sa trace sur une belle pente de neige et de glace à plus de 6 000 mètres ? Tous et toutes en tout cas étaient partant pour découvrir ce pays adossé à la barrière himalayenne, au nord de l'Inde.

L'équipe

Henri. - Toujours équipé dernier cri… Parlez-lui du dernier goretex… il faut voir ça ! Il motive à fond le groupe et Anne-Marie en particulier. Grâce à lui, nous avons subi un entraînement sérieux (Ventoux et Oisans)… Il cherche sa voie dans les différentes religions à sa disposition… Peut-être que le bouddhisme lui apportera le nirvana… En tout cas, il rejette plutôt l'islam !… Mais il veut améliorer son karma. Quand il est en forme, attention à ne pas louper l'heure du déjeuner ! S'il n'a pas faim, c'est qu'il est malade.

Anne-Marie. - Le sourire permanent ou presque… il n'y a qu'au col du Thorong qu'il avait disparu, mais bien provisoirement. Au-dessus de 4 000 mètres, la tchatche [Le bagout. - NDLR.] est réduite. En revanche, elle retrouve toute son énergie au-dessous de 2 000 mètres… et encore plus s'il y a des magasins et des autochtones à interviewer ! C'est notre ambassadrice dès qu'il s'agit de négocier. Elle se fait comprendre dans beaucoup de langues, dont le russe.

Nicole. - Comme les deux précédents, elle est toubib. Elle nous a déjà accompagnés au Sinaï et en Jordanie, où nous l'avions appréciée… C'est pourquoi elle est aujourd'hui intégrée à la petite équipe. Aime bien la bonne chère et ne boit pas que de l'eau ! Elle a une volonté farouche qui la fera arriver toujours au bout de ses peines ! La guigne la poursuit un peu.

Nady. - " Je fais ce que je veux… ", ce qui n'est pas toujours facile à gérer ! Ne pas réveiller avant 8 heures sous peine de graves représailles (pour le mari !)… d'où les longues négociations en montagne pour des levers matinaux ! Expression favorite : " c'est pas extraordinaire ! "… traduction : " c'est franchement pas bon ! " Elle monte bien, avec une humeur égale même si Bruno est de mauvaise humeur. Se désintéresse presque systématiquement du nom des montagnes : une pitié. Si elle sait pas, elle dit au hasard : " la Meije " !

Bruno. - C'est lui qui a lancé l'idée du Népal. Le plus vieux du groupe, mais il met son point d'honneur à se balader devant… si possible seul ! " Pas plus vite qu'à fond ", pour reprendre les mots de ses fils. Il est venu pour grimper sur un sommet, le Chulu Far East Peak, un plus-de-six-mille-mètres. La montagne lui fait toujours du bien, mais ne pas tenter la réalisation d'un objectif bien mûri préalablement le rend de mauvais poil. Adore mettre les paysages de montagne et les portraits d'enfants dans sa petite boîte numérique.

Mais c'est avant tout une équipe, et les individualités se sont toujours fondues dans le moule pour le bien de l'ensemble.

1. L'entraînement préalable

Il nous a conduit en Oisans et dans la vallée de Névache :
  • tour de La Villette de Vaujany à La Villette par les cols du Couard et du Sabot : environ 1 100 mètres de dénivelée ;
  • La Villette, le refuge de la Fare, le Plan des Cavales, la piste oubliée, La Villette : environ 1 300 mètres de dénivelée ;
  • La Grenonière, le lac Fourchu, le Taillefer, La Grenonière : environ 1 500 mètres de dénivelée ;
  • la route forestière, Le Chazeau, le lac de Belledonne et retour : 800 mètres de dénivelée ;
  • Oulles, le refuge du Taillefer, le sommet du Cornillon : environ 1 300 mètres de dénivelée ;
  • le lac du Vallon et le col du Rochail : 1 200 mètres de dénivelée ;
  • tour du refuge des Drayères au mont Thabor, la vallée Étroite et Névache : environ 2 500 mètres de dénivelée,

ainsi qu'au Ventoux, où nous avons couché pour tester notre matériel : vestes en duvet, duvets, capes de pluie.

Au total, nous avons fait 10 000 mètres de dénivelée. Seul pépin : Nicole, au Thabor, se casse le poignet gauche… et ce ne sera pas fini…

2. Les préparatifs

Les sacs ont été pesés avec le peson vosgien… Tout est prêt : piolets, crampons, duvets, appareils photo, barres nutritives, Micropure pour l'eau, médicaments pour la turista [" Diarrhée des touristes " en espagnol. - NDLR.]… Il ne reste plus qu'à y aller !

Le stock de médicament est particulièrement important, avec notre équipe faite de trois médecins et d'une pharmacienne. Nous faisons une revue de détail ; tout y est : attelles, injectables, etc.

Nous sommes en partie habillés par nos enfants (vestes en duvet, sous-vêtements chauds, cagoules " Action directe ", gants, coques plastiques, crampons…) et profitons de leur expérience expé pour ajuster nos préparatifs.

13-14 octobre

Bernard et Françoise nous ont déposés au TGV avec nos 54 kilos de bagages (2 × 20 + 2 × 7). Jusque-là, tout va bien… mais c'est ensuite à Paris que nous allons attraper une grosse suée pour rejoindre La Défense avec nos impedimenta ! Les tours de La Défense seront nos premières montagnes… Il est vrai qu'escaliers roulants et ascenseurs facilitent bien les choses. Nous logeons chez Delphine et Damien, au-dessus d'une des casernes des pompiers de Paris.

3. Le voyage et la première prise de contact avec le Népal

15 octobre

Nous rejoignons Charles-de-Gaulle par le RER. Enregistrement, police des frontières, et embarquement à l'heure, direction Doha (émirat arabe). Le temps est clair et la vue sur les Alpes magnifique. Survol de l'Italie, l'Autriche, la Croatie, la Turquie, le Liban, la Syrie. Nous arrivons dans la presqu'île du Qatar à 18 heures… Il fait nuit noire.

Escale à Doha. Diversité de cultures, des mondes vestimentaires, typés djellaba blanche et keffieh pour les hommes et tenue noire avec haïk pour les femmes, sari indien… ou tenues européennes. Il y a beaucoup de Français en tenues typées pour une randonnée : grosses chaussures et sac à dos. Ce hall de Doha, vrai temple de la consommation de luxe (duty free [" Hors taxe " en anglais. - NDLR.]), est une ruche où se rencontrent de très nombreuses nationalités (mais pas de toutes les conditions sociales !…). Cela donne à penser, de voir que tout ce métissage de nations se passe dans une bonne entente. Henri, pour faire couleur locale, a acheté des dattes, qui sont bien appréciées de nous tous ; il a cependant oublié keffieh et djellaba !… L'uniforme peut s'accommoder du voile, témoin celui d'hôtesses dont certaines portent un petit voile qui leur va bien !

Nous devions partir à 23 h 35… mais c'est seulement à 2 h 30 du matin qu'aura lieu le décollage pour Katmandou… Nous aurons essayé de dormir dans le bourdonnement du hall, auquel s'ajoutent les annonces répétées… avec des Choukrane, choukrane, " merci ! merci ! "

Il nous reste 3 350 kilomètres à faire pour atteindre Katmandou, où nous serons à 8 300 kilomètres de Roissy.

À 9 h 30, heure locale, nous arrivons à Katmandou avec une vue splendide sur la barrière himalayenne.

Nous sommes accueillis par Karma, qui nous conduit dans notre petit hôtel du quartier de Thamel. L'équipe se compose de Karma, notre guide francophone, le sirdar [Chef militaire. - NDLR.] Passang, le cuisinier Jetha, et Pemba Tensing, sherpa [Guide népalais. - NDLR.].

Premiers contacts avec les couleurs de Katmandou, les ruelles du quartier de Thamel, ses commerçants et les marchandages… 84 roupies valent 1 euro, et par exemple, un Coca-Cola bu sur place vaut dans Thamel 13 roupies ; pour 45 roupies, on peut déjeuner de chicken momos (" raviolis de poulet ") et boire un Coca !

En déambulant dans Katmandou, Nicole fait sa première chute à cause d'un caniveau et retombe sur la fracture récente ! Il est vrai que la circulation dans les rues étroites avec les motos, voitures, rickshaw [Pousse-pousse locaux. - NDLR.], dans un concert de klaxons, semble périlleuse. Quelle animation et que de couleurs depuis l'habillement jusqu'aux marchandises : piments et épices, tissus !… Premières découvertes de singing bowls [" Grelots " en anglais. - NDLR.] et de prayer wheels [" Moulins à prières " en anglais. - NDLR.].

Nicole est instituée comme notre trésorière et aura la responsabilité de la caisse commune, que nous abonderons régulièrement à sa demande. Elle paiera ce qui n'est pas pris en charge par Atalante, en dehors de nos achats pour cadeaux… qui nous occuperons beaucoup de temps lors de notre retour à Katmandou.

17 octobre

Après un lever très matinal, compensé par un excellent petit déjeuner qui devrait nous permettre de tenir une bonne partie de la journée, nous embarquons dans le car qui nous servira à nous, mais aussi aux porteurs (une quinzaine), à nos bagages et aux bagages collectifs (tentes, matériel de cuisine…), ainsi qu'à la nourriture achetée à Katmandou. La sortie de Katmandou est laborieuse à cause des embouteillages, puis c'est le recrutement des porteurs qui embarquent avec nous, et enfin nous sortons de la périphérie de Katmandou. Nous apercevons nos premières montagnes… le Manaslu. Notre bus est de la marque indienne Tata comme la plupart des camions et bus au Népal.

Les contrôles militaires sont fréquents et parfois longs… mais peut-être est-ce notre mentalité européenne qui nous rend impatients ! La route devient plus difficile et les croisements sont laborieux ; nous avons passé Besishar et arrivons à Khudi (790 mètres), où sera notre premier bivouac. En route, nous avons vu beaucoup de rizières organisées en terrasses, des cultures de millet, des bananiers, des bougainvilliers. Sur certaines parties de la route, l'exploitation du torrent : des casseurs de cailloux, qui utilisent dans ce but de petits mortiers en bois… mais sans lunettes de protection !

4. La randonnée : de Besishar à Jomosom

La journée de voyage avait été un peu plate, disait Henri… mais ce n'était pas fini. Nos tentes sont installées dans la jolie prairie du lodge [" Bungalow " en anglais. - NDLR.] où nous allons dîner. La vue sur le Manaslu est superbe. Notre tranquillité a vite été perturbée par l'intrusion d'un fou furieux (alcool, drogue, ou les deux…) qui en voulait au propriétaire du lodge… Tout y est passé : destruction de la clôture, bris des vitres existantes du lodge, qui était défoncé à l'aide d'envoi de grosses pierres et cailloux. La vaisselle y est passée… Les villageois arrivés en renfort n'arrivent pas à maîtriser le forcené maintenant équipé d'une serpe… et plutôt que de risquer d'être lapidés ou raccourcis, nous fuyons et passons la Khudi-khola (" rivière ") avec tous nos bagages pour aller mettre notre campement dans un endroit plus calme le long du torrent. Le tea-time [" L'heure du thé " en anglais. - NDLR.] nous permet de nous remettre de l'incident ! Le soir, dans une sorte de salle hors sac, nous prenons le dîner : soupe à la coriandre avec des galettes à base de farine de lentilles et du piment. Nous essayons quelques mots de népalais : cana mitossa, " la nourriture est bonne " ; " merci ", dannebat ; aliquetti, " un petit peu ".

Mardi 18 octobre

Lever 6 heures avec le thé brûlant apporté sous la tente ; c'est génial… mais Nady n'apprécie pas ! Ensuite, cuvette d'eau chaude pour se débarbouiller et faire une toilette sommaire… et parfois, pour Henri et moi, pour se raser. Pendant ce temps, les tentes sont démontées et rangées et nos bagages ficelés et répartis par porteur… et tout cela en un temps record.

Nous prenons le chemin en direction de Bhulebule, Nagdi, Jagat (1 300 mètres). Nous avons le chant des cigales. pour progresser parmi les rizières, les bougainvilliers, les magnolias, les hibiscus…

Nouveau malheur pour Nicole… : son appareil photo est " un peu " tombé, et il ne fonctionne plus que partiellement !

Nous nous arrêtons pour le lunch à Bahundanda. En chemin, de jeunes Népalais sont ravis de se faire prendre en photos et de se voir ensuite sur le petit écran… en revanche, les plus anciens refusent la photo. Les montagnes vues sur le chemin sont le Manaslu (8 163 mètres) et l'Annapurna IV (7 500 mètres). C'est une montagne très habitée, fleurie. Les Népalaises sont belles, avec souvent des saris très colorés.

Nouveau malheur pour Nicole, qui, après avoir posé son sac sur une fiente de volaille, le reprend par le fond… Vous imaginez la suite, et encore heureuse de ne s'être pas passé la main sur la figure après tout ça ! Réflexion de Nicole : " il ne m'arrive que des ennuis ! "

Nous arrivons à Syange pour camper au bord de la Marsyangdi-nadi… Nadi signifie déjà un cours d'eau important. Une rivière, c'est khola ; un très grand fleuve, c'est gandi. Au dîner, discussion sur l'itinéraire des jours suivants : nous irons juqu'à Méta, puis Naar, mais pas jusqu'à Phu. La toilette, ce soir, se fait dans la Marsyangdi-nadi… Ici, l'atmosphère est humide, et nous découvrons une sangsue dans notre tente.

Mercredi 19 octobre

Après un lever matinal, notre marche est tranquille. Nous nous arrêtons pour une pause thé à Chyamche, puis pour le repas à Sattale (1 680 mètres). Au passage dans la forêt, nous apercevons des singes au sommet des arbres. Nous nous arrêtons pour la nuit à Khotro (1 850 mètres). La toilette est faite dans une salle de bains qu'il faut voir.

Ce soir, c'est une intense discussion sur la pénibilité du travail des porteurs… Anne-Marie serait bien la madone des porteurs… mais nous risquerions bien, à l'entendre, de tout porter par nous-mêmes ! Alors, ce n'est plus une randonnée que nous ferions, mais plutôt un chemin de croix !

20 octobre

C'est l'orage et la pluie. Nous n'arrivons pas à passer entre les gouttes. Le moral est un peu dans les chaussettes, qui sont vite trempées. Après la pause thé dans la matinée, nous nous arrêtons à Danakyu (2 300 mètres) pour déjeuner. Visiblement, nous n'avons pas de possibilités d'accès au feu pour faire sécher nos chaussettes et chaussures ; aussi, nous continuons bien humides sur le chemin qui s'éboule et est parfois sous les chutes de pierre. Nous n'atteindrons pas ce soir le but fixé, Koto, le chemin ayant été emporté par une coulée de boue. Nous nous arrêtons à la limite pluie-neige. L'inquiétude est maintenant importante pour l'avenir de notre randonnée, car si nous ne passons pas les cols prévus, la randonnée risque de tourner court… Nous aurions à revenir sur nos pas vers Besishar, ce qui ne serait pas drôle ! Avec ces conditions climatiques et sous la neige, la situation devient critique pour les porteurs, dont certains progressent en tongs !

21 octobre

C'est encore une journée galère avec beaucoup de pluie et maintenant de neige. Nous arrivons finalement à Pisang, que les porteurs rejoignent tard, à la nuit tombée. Henri, malade d'un début d'angine, reste au lit le soir. L'orage gronde toujours. Nous nous retrouvons tous plus ou moins frigorifiés autour d'une lampe au kérosène pour récupérer un peu de chaleur.

22 octobre

Dans la nuit, une éclaircie magnifique, avec les montagnes au clair de lune, prémices de beau temps, espérons-le ! Nous sommes à Pisang lower [" Bas " en anglais. - NDLR.] (3 200 mètres). Le peu de vent va-t-il dégager le ciel maintenant bien chargé ? Nous pouvons observer le vol majestueux de deux aigles dans le ciel mi-bleu mi-nuageux.

Plusieurs allers et retours à Pisang upper [" Haut " en anglais. - NDLR.] (3 300 mètres) pour visiter un temple bouddhiste, pour téléphoner. Anne-Marie envoie un message téléphonique à sa maman pour lui dire que tout va bien… lequel message ira ensuite à Hugues, qui diffusera côté Cabane. Le temps est toujours incertain… mais nous apercevons l'Annapurna II… Irions-nous vers le beau ?

Nous modifions nos projets : pas de vallée de Naar par Méta, pas de col de la Kung, pas de Chulu Far East Peak pour Bruno et Henri. C'est la grosse déception, surtout pour Bruno, qui voit s'envoler ses rêves de vallée perdue hors du circuit fréquenté du tour des Annapurnas, mais surtout qui ne fera pas l'ascension d'un beau six-mille-mètres qu'il avait pu entrapercevoir depuis quelques jours. Sur ce dernier point, il a l'air d'être le seul vraiment privé.

23 octobre, dimanche

Enfin le beau temps est revenu, et nous espérons bien laisser derrière nous ces trois jours d'intempéries. On voit le Chulu Far East Peak et à l'ouest le massif de l'Annapurna.

Nous passons le col Nahodara à 3 280 mètres. La vue au nord et à l'ouest est splendide. Vue sur le pic Tilicho et les Annapurnas. Arrivée à Humde après avoir traversé une plaine forestière qui pouvait rappeler le Jura ou les fonts de Cervières. Vue splendide sur l'Annapurna III, qui fume. Je prends des photos du col de la Kung, où nous aurions dû passer après Naar. Notre après-midi est passé à contempler les montagnes : à l'ouest, Annapurna III, au sud, pic de Pisang, et à l'est, col de la Kung… et le Chulu, qui n'est pas loin. Bruno a du mal à faire le deuil du Chulu… Cette privation d'ascension d'un beau sommet lui manquera et fera du séjour au Népal quelque chose d'incomplet ! Henri, lui, pris par ses maux de gorge, était moins motivé et donc moins déçu. Maintenant, il s'agit de passer le col du Thorong, actuellement bloqué à cause des grosses chutes de neige. Puissent les jours de soleil que nous espérons à venir permettre ce franchissement… Nous vivons avec cette interrogation, d'autant plus que nous croisons des randonneurs n'ayant pu franchir ce col et rebroussant chemin… Galère, galère !…

Du coup, nous allons progresser lentement, pour laisser d'une part le beau temps rétablir des conditions nous permettant de passer, et d'autre part pour habituer nos organismes à l'altitude.

Toute la journée, nous avons vu ou entendu gronder les avalanches… Il est sûr qu'il ne doit pas faire bon, après ces trois jours de neige, de se trouver sur certaines pentes !

24 octobre

Nous sommes à Manang à midi.

Nous avons le plaisir de prendre notre première douche chaude depuis le début de la randonnée.

Nous apprenons des bribes de nouvelles d'un accident dans la vallée de Méta, où nous aurions dû passer. Nous apprendrons plus tard que dix-huit personnes dont sept Français sont morts dans une avalanche au camp de base à 5 000 mètres pour tenter un sommet de 6 900 mètres, le Kangaru-Himal. Nous ne nous doutions pas alors du vent de panique qui a soufflé en France parmi nos familles et amis. L'accident s'est produit il y a trois jours, le 21 octobre, après la première journée de neige… Il y aurait aussi une expédition en difficulté au pic Tilicho, au nord-ouest d'ici.

L'après-midi se passe dans une chaise longue en contemplation du Ganggapurna et des 4 500 mètres de glacier et de parois rocheuses qui nous dominent.

Il existe un peu de mécontentement vis-à-vis de l'équipe Atalante. Nous constatons que la qualité des repas a fortement baissé depuis le départ du cuisinier, qui réalisait des prouesses. Karma, à nos airs mécontents, a dû comprendre, car les jours suivants, on nous fait choisir nos repas.

25 octobre

Nous nous arrêtons à Gunsang (3 900 mètres) pour le thé, puis poursuivons jusqu'à Yak-Kharka (4 010 mètres), où nous déjeunons. Nous avons traversé un certain nombre de coulées d'avalanches sur le parcours.

Finalement, nous ferons une halte plus prolongée ici pour une meilleure acclimatation et pour laisser à Anne-Marie le temps de récupérer… Le camp de base (4 925 mètres), ce sera seulement pour demain. Le soir au dîner : riz, omelette, thon, le tout arrosé du maintenant classique citron chaud. Discussion sur le léopard des neiges, qui, d'après Henri, préfère l'homme, et surtout l'homme âgé : alors, seniors, faites gaffe dans ces montagnes ! Les gens du coin disent qu'il y en a deux dans la région. Nous dormons donc à Yak-Kharka pour attaquer les 900 mètres de dénivelée du camp de base demain.

Sabaratre, " bonne nuit " !

26 octobre

Départ à 7 h 45. Nous arrivons pour déjeuner à Thorung-Phedi (4 450 mètres). Il y a beaucoup de neige, mais la trace est bonne. Ceux qui sont devant nous et ont réussi à passer hier ont bien facilité notre tâche aujourd'hui. Nous avons vu une randonneuse dévisser dans la pente en aval de la trace… Heureusement, la chute s'est bien terminée… mais il y a des endroits où il ne faudrait pas se livrer à cet exercice ! En tout cas, c'est impressionnant à voir !

À 14 heures, arrivée au camp de base (4 925 mètres) pour Henri et Bruno. Bruno profite de l'occasion pour monter sur une butte cotée plus de 5 000 mètres, au-dessus du camp de base… Donc, premier cinq-mille-mètres ; c'est bon pour se défouler. Anne-Marie arrive une heure plus tard assez mal en point : crise d'angoisse, spasmes dans la gorge. Elle se met au lit et Henri, inquiet, est aux petits soins pour lui faire revenir la forme… Il est vrai qu'Anne-Marie ne va pas bien, car on ne l'entend plus… C'est grave, docteur !

Nady, elle en pleine forme, lit Le Fils de l'Himalaya de Jacques Lanzmann. Quant à Nicole, elle note dans son journal qu'elle m'a maudit et m'aurait jeté je ne sais où… Brrr… j'en ai des frissons rétrospectifs ! Vraiment, la montée a dû lui paraître dure… La soirée, courte car nous nous couchons toujours très tôt (entre 19 et 20 heures), se passe à essayer de faire sécher chaussettes et chaussures.

27 octobre

Nous démarrons vers 3 h 30 du matin à la frontale. Derrière Passang, durant la première demi-heure, nous avons à assurer la trace encore trop fragile et trop molle de ceux qui nous ont précédés… et ont dû faire un travail fatigant. Mais au fur et à mesure de la montée, la trace est devenue très sûre, facilitant une excellente progression. Nous montons chacun à notre rythme, régulièrement, avec le soleil qui commence à éclairer tous les sommets environnants. Le spectacle est fantastique… et l’on aurait presque envie que cette montée lente vers le soleil dure pour profiter de toute cette beauté.

 Maintenant, les pentes s’adoucissent, le soleil s’est emparé des sommets. Et bientôt, il sera là pour nous réchauffer.

 La neige dans la trace porte bien ; c’est un plaisir d’avancer dans ce calme et avec cette lumière. Il n’y a pas de vent, et au col, le farniente au soleil sera possible en attendant les autres. Il est 7 h 30 au col du Thorong (5 425 mètres) ; Nady suit de près, puis Nicole arrive vers 8 h 40 : « si j’avais su… je ne serais pas venue… C’était trop dur… J’ai cru que j’allais mourir… Je faisais trois pas, puis je m’arrêtais… » Finalement, c’est assez classique comme langage d’arrivée à un but en montagne… Je l’ai souvent entendu… et mieux vaut l’entendre, car s’il n’y a plus de conversation, alors là, c’est plus grave… c’est que la personne n’est vraiment pas bien !

 Vers 9 h 30, Anne-Marie, tirée par Passang, soutenue par Karma, encouragée par Henri, arrive au point culminant de cette randonnée. « Je croyais vraiment mourir à chaque arrêt ; je fermais les yeux… je comptais vingt respirations à l’arrêt avant de repartir… » Et tu es là, arrivée à 5.425 mètres… Bravo, Anne-Marie !

 Dans la descente du col, nous apercevons la belle pyramide du Dhaulagiri I. Nady et moi, après une descente facile (la neige molle fait bien les choses et évite tout mal aux pieds : ampoules, etc.), arrivons vers midi à un lodge boueux… pour déjeuner. Nous allons attendre Nicole et Anne-Marie, qui nous rejoignent plus tard !… Comme quoi, il semblerait que la descente a été différemment appréciée. Les Vaujaniats auraient-ils plus l’habitude des descentes en neige ?!

 Malchance supplémentaire pour Nicole, qui cette fois s’est cassé le poignet droit en tombant dans la neige. Henri, notre spécialiste, met donc une attelle supplémentaire… Attention : ne vous cassez plus rien, car il n’y aura plus assez de matériel pour réparer !

 Nous reprenons la descente vers Muktinath (3.750 mètres), et maintenant, il semblerait qu’avec l’altitude diminuant, Anne-Marie aille de mieux en mieux. Le lodge est crasseux et Nady vaporise l’anti-puces, anti-galle, etc. Mais le panorama sur les montagnes est superbe : Nilgiri, Dhaulagiri, Tukuche.

 Nous marchions dans la neige depuis Chame le 21 octobre, cela faisait donc notre septième jour dans le blanc ! En conditions normales à cette époque de l’année, il nous avait été dit que le parcours était sur sentier !

28 octobre

Journée passée à Muktinath. Nous en profitons pour visiter un monastère. Muktinath est en effet un lieu célèbre de pèlerinage pour hindouistes et pour bouddhistes. La tradition bouddhiste tibétaine dit que le gourou Rimpoché, fondateur du bouddhisme tibétain, a séjourné à Muktinath pour méditer en chemin vers le Tibet. Le sanctuaire est dédié à Vishnou.

Le monastère est entretenu par vingt-cinq moniales, qui prient tout au long de la journée. Elles vivent exclusivement des offrandes des fidèles. Dans l’enceinte se trouvent deux temples hindouistes des dieux Çiva et Vishnou. Le temple de Vishnou est entouré de cent huit orifices de fontaines en forme de tête de vache, d’où s’écoule une eau sacrée. Plus bas, un temple bouddhiste, Jwala-Mai, produit des jets de gaz naturel donnant une flamme sacrée perpétuelle, et avec également une fontaine « miraculeuse ». Cela symbolise la rencontre de la terre, du feu et de l’eau. C’est un haut lieu de pèlerinage hindouiste et bouddhiste. Nous nous aspergeons de l’eau bénéfique et qui guérit tout. Nous voyons la lumière alimentée par une source de gaz naturel : la flamme éternelle. Sans entrer en méditation, nous admirons ces moniales qui restent ici toute l’année pour la prière et l’entretien du sanctuaire.

 À midi, nous mangeons du yack et des frites. Après le repas de yack, réflexion d’Henri à Nicole, handicapée des deux poignets : « C’est dommage que tu ne sois pas un mille-pattes » ; puis à Anne-Marie, crevée : « Tu viens ? Je vais te coucher »… Comme quoi un toubib prend bien soin de ses malades.

 À propos du peuple Newar, où nous sommes : « peuple parlant le langage du silence ».

29 octobre

Nous descendons à Kagbeni, à 2.800 mètres, à la limite du Mustang. Cette fois, Anne-Marie revit et a retrouvé sourire et dynamisme. Le paysage change complètement, il est devenu désertique, coloré, plus proche des paysages tibétains. Après notre installation dans un lodge où nous avons chacun une salle de bains, nous partons à la découverte de ce petit village fortifié à la frontière du Mustang.

 L’après-midi, nous visitons un ancien monastère bouddhiste. Visite du temple Kag-Chode et d’un monastère construit en 1429.

 Om Mani Padme Hom, « Oh, mon maître, qui es assis sur le lotus, je ne fais que du bien pour les êtres vivants en suivant tes enseignements. » « Cette psalmodie qui invite chacun de nous à atteindre à un niveau de conscience aussi lumineux que celui du joyau dans le lotus » (Jacques Lanzmann).

 Kagbeni, cité médiévale, a eu un rôle historique important le long de la route du sel. C’était un village fortifié, où l’on voit encore quelques murs d’enceinte. On peut voir aussi dans le village nombre de vieilles fenêtres sculptées dans le bois. À l’entrée du village, un beau chorten [Monument du bouddhisme tibétain. — NDLR.] avec à l’intérieur, au plafond, un mandala [Symbole hindou et bouddhique de l’univers. — NDLR.] datant de 1665. Kagbeni est à la frontière du Mustang… à l’accès très réglementé. Le soir dans le lodge de Kagbeni, nous goûtons l’alcool de riz. Le riz est cuit, puis empâté avec de l’eau et ensemencé avec de la levure. L’ensemble va fermenter, puis sera distillé. Les doses distribuées sont importantes… et monteraient vite à la tête si nous n’y prenions pas garde.

30 octobre

En route pour Jomosom, nous sommes maintenant dans le lit de la Kali-Gandaki, où l’on trouve dans certains galets de schiste des fossiles d’ammonite (saligrams) ou des rostres de bélemnites. Les saligrams, ces galets noirs (schisteux) contenant (parfois…) des fossiles d’ammonites, sont considérés comme des pierres sacrées. Ils datent d’environ 140 millions d’années. Ils sont placés dans les temples, monastères, maisons particulières comme emblèmes du dieu Vishnou. Ils sont utilisés aussi dans des rites religieux : mariage, funérailles… La légende dit que le dieu Vishnou serait venu sur terre sous forme de saligram… On trouve ces fossiles en fouillant bien le lit de la rivière… Nous en avons trouvé quelques-uns.

 Nous finissons par arriver à Jomosom, où nous sommes installés dans un lodge sur les bord de la piste d’envol de l’aéroport, dont nous partirons après-demain (deux vols par semaine).

31 octobre

Journée passée à Jomosom, où nous faisons des courses, mangeons des gâteaux, mais aussi allons visiter un monastère où a lieu une fête des masques. Ce monastère Dhumba est situé au-dessus de la vallée de la Kali-Gandaki, au pied du Nilgiri. À l’intérieur du sanctuaire, nous sommes accueillis avec un thé au lait de yack qui est le bienvenu. La fête a lieu dans la cour : défilé de tambours, de trompes longues et d’instruments faits à partir de coquillages. Nous quittons la fête avant la fin… Nicole serait bien restée, mais en plein courant d’air !…

 Le soir, nous changeons d’hôtel pour nous installer dans le palace de Jomosom. Pourquoi ce choix de la part d’Atalante, qui semble abonné à cet hôtel ?… Pour nous faire terminer sur ce qu’ils croient être un point fort. Cela ne l’est pas pour nous, dans cette espèce de cathédrale sans âme où il n’y a que nous cinq pour plus d’une centaine de chambres ; mais nous apprécions la salle de bain et la douche chaude, ainsi que le repas… Tout n’est pas négatif ! Pour rejoindre l’hôtel depuis Jomosom-Bas, nous avons été véhiculés avec nos bagages dans une remorque de tracteur sur un chemin impossible… Nady, terrorisée, réclamait de monter à pied !

1er novembre, jour de la Toussaint : Jomosom, Pokhara, Katmandou

Après un solide petit déjeuner, nous redescendons avec l’équipage tracteur-remorque dans la scabreuse piste pour rejoindre — ouf, sans encombres — l’aérodrome.

 De l’avion, vue splendide à l’est sur la chaîne des Annapurnas, le Machhapuchhare, ce Cervin de l’Himalaya, qui culmine à près de 7 000 mètres. À l’ouest apparaît, majestueuse, le Dhaulagiri I, à plus de 8 000 mètres.

 Escale rapide à Pokhara, pour repartir sur Katmandou. Et là aussi, un spectacle grandiose sur la chaîne himalayenne depuis l’avion… Nous en prenons plein les yeux et aurons notre réserve de sommets dans la tête pour un certain temps.

5. Histoire et culture : Bhaktapur, Patan, Katmandou

 2 novembre

Bhaktapur (Bhatgaon, « la cité des dévots »). — Cette ville a été fondée au IXe siècle par le roi Ananda Deva Malla. C’est une petite ville médiévale remplie de palais, de temples, et de maisons superbes. Bhaktapur a dominé politiquement tout le Népal jusqu’au XVIe siècle. La langue y est le newari le plus pur que l’on puisse trouver au Népal.

 C’est superbe : vieilles façades de bois sculpté, Durbar, square aux temples à toiture en pagode à plusieurs niveaux, palais, sculptures sur bois… C’est une fenêtre ouverte sur un petit bout de Moyen Âge.

 Beaucoup d’activités sont réalisées dans la rue, le sol est partout recouvert de riz qui sèche et de paille de riz.

 Ce qui frappe là encore, comme au cours de la randonnée, c’est le sourire des Népalais, leur gentillesse, malgré une grande pauvreté.

 Nous allons de merveilles en merveilles, Durbar Square, le palais royal avec la porte d’or, chef-d’œuvre d’orfèvrerie du XVIIe siècle, le bassin royal entouré de cobras sacrés, la statue du roi Bhupatindra Malla agenouillé et les mains jointes (on lui doit la majorité des extraordinaires monuments de la ville).

Patan. — Ancienne ville royale, autrefois capitale et ville d’art, Latitpur, « la cité de la beauté », est située dans les faubourgs de Katmandou. Cette ville était anciennement un grand centre d’enseignement bouddhique, comme en témoignent les nombreux monastère éparpillés dans la ville.

Le temple d’or : c’est une gigantesque pièce d’orfèvrerie, dont les origines remontent au xiie siècle. Tout est gravé et ciselé. Le travail des portes d’accès, avec les éléphants, est remarquable. Les treize stûpas [Monuments reliquaires bouddhiques. — NDLR.] au sommet du temple représentent les treize niveaux pour atteindre le nirvana.

3 novembre 2005

Visite du vieux Katmandou.

Le stûpa blanc est la forme qui rappelle Bouddha.

Nous visitons le temple aux pigeons… une multitude de pigeons qui dégradent les bâtiments, mais sont attirés par les fidèles qui leur distribuent des graines. Explications des « bas-reliefs » de fleurs de lotus et de flammes. Pour arriver au nirvana, nécessité d’éviter les trois poisons : désir, haine, ignorance.

Maison de la kumari, déesse royale vivante. Chaque ville royale a sa kumari (Patan, Bhaktapur, Katmandou). C’est une enfant (fille) choisie sur des critères de beauté dès l’âge de 4 à 5 ans (trente-deux critères de choix…). Elle sera éduquée et recevra un salaire d’environ 3.000 roupies par mois. Elle est donc considérée comme riche. Elle vit cloîtrée dans la maison de la kumari avec ses parents… qui veillent à ce que les offrandes rentrent comme il faut lors de ses rares apparitions en public !… Nous avons eu une « apparition » de la kumari, mais avons été chassés de la maison par son père, car, semble-t-il, nous n’avions pas mis notre obole !… Le changement de kumari se fait lorsqu’elle atteint l’âge de la puberté, ou à la mort du roi, ou si elle est gravement malade.

[Une belle aventure]

En matière de conclusion, ce fut une belle aventure : un peu sportive, culturelle avec la découverte des traditions religieuses bouddhistes et hindoues, mais surtout humaine par la connaissance des Népalais et le renforcement de notre amitié de tous les instants.

Bruno [CABANE].

14 novembre 2005.

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In La gazette de l'île Barbe n° 70, 71 et 72

Automne 2007, Hiver 2007 et Printemps 2008

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