Voilà donc ce nouveau projet de " traité
constitutionnel " sur la table. Que faut-il en penser ? Comment et
quand le ratifier ? Pour ce qui est du fonctionnement propre de l'Union, l'abandon du
" droit de veto ", qui permettait à Malte ou au
Luxembourg par exemple, par un vote négatif, de bloquer 400
millions d'Européens dans toutes les politiques menées
par l'Union, est plutôt une bonne chose. Voilà donc un
certain nombre de domaines où cette règle de
l'unanimité tombe, au profit de la majorité
qualifiée. Mais il semble que l'on aurait pu aller beaucoup
plus loin en mettant en sourdine des intérêts nationaux
égoïstes pour aller vers ce même abandon pour la
politique étrangère, et pourquoi pas la politique de
défense et de sécurité commune, quoique… la
France et le Royaume-Uni auraient posé beaucoup de
problèmes avec leur force de dissuasion nucléaire.
Quant à la fiscalité, la normalisation
européenne dans ce registre est encore du domaine du
rêve… C'est une très bonne chose que le nombre de
commissaires soit réduit aux deux tiers du nombre des
États membres. Et que le Parlement européen voie le
nombre des députés définitivement
limité. Car comment peut-on fonctionner avec des
assemblées pléthoriques ? Chaque commissaire ne
représentant plus son propre pays quand il accède
à ce poste mais les intérêts de l'Union dans le
domaine qui le concerne, il n'y a pas de problème majeur
à ce que tous les pays ne soient pas représentés
au sein de la Commission. D'autre part, un pays - quelle que soit son
importance - a-t-il vraiment besoin de 99 ou de 78
députés ? L'élection par ses pairs d'un Président de
l'Union est également un énorme progrès.
D'autant que son mandat sera de deux ans et demi, renouvelable une
fois. De même que la nomination d'un Haut
Représentant pour la politique étrangère et de
sécurité. En effet, pour la première fois,
il n'y aura qu'une personne qui représentera l'Union
européenne dans le monde, qu'une seule personne à qui
nos partenaires ou autres pays plus éloignés de nous
auront à s'adresser : le Président ou le Haut
Représentant. Notre Union européenne aura acquis une
beaucoup plus grande visibilité au niveau mondial, et
vraisemblablement une plus grande crédibilité, car cela
devrait éviter que chaque État membre ne parte en ordre
dispersé en cas de crise, comme cela s'est vu pour l'Irak.
L'Union arrivera-t-elle enfin à parler d'une seule et
même voix par l'intermédiaire de ce Haut
Représentant ? On peut l'espérer. Que le Haut
Représentant soit également vice-président de la
Commission européenne est également une excellente
chose, dans la mesure où cela pourra mettre du " liant " entre
les diverses institutions en cause : Parlement européen,
Conseil européen, Conseil des ministres et Commission
européenne. On peut, à partir de là,
espérer que l'Union européenne acquerra un jour la
personnalité juridique qui lui fait tant défaut…
Elle pourra alors être représentée dans chaque
institution internationale en tant que telle et prendre ainsi toute
sa place. Enfin apparaît une nouveauté : chaque parlement
national devra être consulté avant l'adoption d'une
nouvelle loi européenne : cela permettra aux citoyens de
chaque pays de se sentir plus partie prenante, plus concerné
par les décisions européennes, même si c'est par
l'intermédiaire de leurs députés. Le fait que
l'adoption d'une décision à la majorité
qualifiée doive recueillir 55 % des pays
représentant 65 % de la population est déjà,
semble-t-il, une garantie en soi. Bien entendu, il y a des pays exceptions : le Royaume-Uni, et,
chose un peu nouvelle, la Pologne et l'Irlande. Mais il faudra de
plus en plus s'habituer à ce genre de chose, car il devient
inconcevable que l'opposition d'un ou deux pays empêche les
autres ou un groupe d'autres d'aller de l'avant. Enfin, la " charte des droits fondamentaux " : elle prend
force de loi et devient contraignante - sauf… au Royaume-Uni et en
Pologne… peu importe ! On attendait ce moment avec impatience depuis
le sommet de Nice, au cours duquel cette charte avait
été proclamée (et seulement proclamée !).
Ces droits fondamentaux (de la charte), venant judicieusement
compléter la déclaration des droits de l'homme,
s'imposent enfin à environ 400 millions de citoyens, les
mettant tous, en principe, à égalité de droits
dans l'Union !… Historique ! Notre président voudrait que la France soit le premier pays
européen à ratifier ce nouveau traité, afin de
laver " l'affront " du " non " d'il y a deux ans. Très bien…
Mais comment le ratifier ? En France, la Constitution met deux voies
de ratification à la disposition du président : le
référendum ou la voie parlementaire, par
l'intermédiaire du Congrès (l'Assemblée
nationale et le Sénat ensemble) réuni à
Versailles. Chacune de ces deux voies de ratification est aussi
démocratique l'une que l'autre. Nicolas Sarkozy a, semble-t-il, opté pour la voie
parlementaire, et le passé lui donne vraisemblablement raison.
Faut-il, en effet, s'embourber dans un nouveau débat
stérile comme celui ayant présidé au
référendum d'il y a deux ans, dans des disputes entre
les citoyens sur le sens de certains mots, de certaines phrases,
alors que juridiquement, ces mots et phrases n'ont qu'un seul sens ?
Faut-il provoquer encore une fois la mauvaise foi des uns et des
autres sur des interprétations faites en fonction
d'intérêts partisans discutables de nos jours, et
laisser se développer des rancœurs et des rancunes qui ne
mènent à rien, sinon à des débats
interminables qui laissent les citoyens de base sur leur faim, faute
de formation et de volonté (possibilité ?)
d'écoute du voisin ? J'ai personnellement animé environ
soixante-dix débats de ce genre pendant la campagne du
référendum ; je ne représentais ni le " oui " ni
le " non " ; je présentais simplement le texte du
traité, le plus objectivement possible. Mais combien de fois
ai-je été injurié, calomnié,
condamné d'avance, alors même que je n'étais pas
encore entré dans la salle ? Alors, non ! Si un nouveau débat " citoyen " de ce genre
doit encore une fois apparaître lors d'une nouvelle campagne
semblable à la première, alors mieux vaut renoncer tout
de suite. Ce serait de la perte de temps et d'énergie. On a
déjà eu ce débat. La seule chose qui change
vraiment, c'est que la partie concernant ce qui reste des
différents traités précédents depuis le
début de la " Communauté ", c'est-à-dire depuis
le traité de Paris, ne figure plus dans ce nouveau texte. Mais
cela ne change rien, car tous ces textes sont encore en vigueur. Ils
ne sont pas gravés dans le marbre - comme disaient certains -,
mais on ne revient pas comme ça sur un traité
signé… ce serait un parjure. Alors, laissons nos parlementaires débattre ensemble, entre
élus vraisemblablement mieux formés que nous à
ces disciplines trop complexes pour le commun des mortels que sont le
droit constitutionnel et de droit communautaire. Après tout,
députés et sénateurs ne sont-ils pas nos
représentants élus, directement ou indirectement ?
Laissons-les faire ce pour quoi ils ont été
élus. Et nous les jugerons en temps voulu, par notre bulletin
de vote. La voie parlementaire, outre un nouveau risque politiquement
inacceptable au niveau européen pour la France, nous
évitera toute surprise. Voilà ce que l'on peut dire de ce nouveau texte, qui a
été adopté à l'unanimité des chefs
d'États et de gouvernements. Faisons vite nos modifications
constitutionnelles et ratifions-le vite, afin que l'on puisse enfin
passer à des choses plus importantes et infiniment plus
complexes et problématiques pour les citoyens européens
que nous sommes. Un haut responsable slovène - la Slovénie aura la
présidence de l'Union à partir du 1er
janvier 2008 - disait il y a peu : " Nous devons faire attention
à ne pas remuer certaines questions importantes pour certains
pays. " Gageons qu'il devait parler du budget européen
(thème très populaire au Royaume-Uni) ou de la
politique agricole commune (la PAC si chère aux
Français dans tous les sens du terme…), et qu'ils ne donneront
pas de grain à moudre aux " nonistes " potentiels. " Avec une telle tactique, les risques sont limités " d'un
rejet du nouveau texte, estime l'euro-député italien
Monica Frassoni, vice-présidente des Verts au Parlement
européen. En attendant, il faudra bien vivre avec cette ratification du
projet de " traité constitutionnel " sur la tête, tant
qu'il ne sera pas ratifié par les vingt-sept pays à
l'unanimité, quel que soit le mode de ratification choisi par
les uns ou les autres. Christian JAILLARD. Approuvé par les vingt-sept pays membres au sommet de
Lisbonne (Portugal). Il doit être ratifié par les
vingt-sept pays membres. Élu par les chefs d'États et de gouvernements.
Mandat de deux ans et demi. Représente l'Union
européenne sur la scène mondiale. Même mandat que le Président. Également
vice-président de la Commission européenne. Coordonne
l'action extérieure de l'Union européenne. Nombre de commissaires réduit aux deux tiers du nombre des
pays membres à partir de 2014. Parlement européen. - Assemblée au nombre
réduit. Plus de pouvoirs, notamment sur la justice, la
sécurité et l'immigration légale. Parlements nationaux. - Ils seront consultés avant
chaque vote de loi européenne. Limitation du droit de véto. - La majorité
qualifiée sera requise pour la coopération
policière et judiciaire. L'unanimité sera
requise pour la politique étrangère, la politique
sociale et la fiscalité. Exceptions : Royaume-Uni et
Irlande. Vote. - Approbation des lois par au moins 55 % des
États membres représentant au moins 65 % de la
population. Nouveaux droits. - La " Charte des droits fondamentaux ",
adoptée au traité de Nice, devient
contraignante. Exceptions : Pologne et Royaume-Uni.
Nouvelles politiques communes. - Elles concernent :
l'énergie, le réchauffement climatique, la concurrence,
l'aide aux pays européens touchés par le terrorisme ou
les catastrophes naturelles. Un pays membre aura dorénavant la possibilité de
sortir de l'Union européenne, après négociation
avec ses partenaires. In La gazette de l'île Barbe n° 71 Hiver
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