Au revoir « bonne-maman »

*

Le 16 avril dernier, en l'abbaye de Nouaillé-Maupertuis, avaient lieu les obsèques de Mme Henri Poncelin de Raucourt (née Louise Marie Jaillard), rappelée à Dieu à l'âge de 96 ans.

Louise Marie de Raucourt avait dix enfants, quarante-huit petits-enfants, cent sept arrière petits-enfants, trois arrière arrière petits-enfant.


*

Née « de l'autre siècle » comme elle disait plaisamment, Louise Marie Jaillard était issue de familles lyonnaises et savoyardes où l'on rencontrait des prêtres (Mgr Neyrat), des savants (les frères Montgolfier, Victor Bravais), des militaires, des ingénieurs et des artistes (sa mère peignait, son père faisait de la musique), familles où l'on vivait au quotidien les trois vertus théologales.

Entourée de ses parents et de ses quatre frères et soeurs, Louise Marie eut une enfance heureuse. En garnison à Angoulême, son père, le commandant Jaillard, tenait les orgues de Saint-Martial après celles de la cathédrale de Clermont-Ferrand. Il se dépensait beaucoup pour la conférenoe de Saint-Vinvent-de-Paul. Les trois frères de Louise Marie allaient à l'école Saint-Paul. Le cadet (Charles) y avait un grand ami en la personne de Joseph Puymoyen ; Joseph a écrit un livre sur Charles, « grand animateur, grand chrétien, plein de fougue et qui entraînait ses camarades de collège à suivre des retraites à la Barde. » Joseph Puymoyen, lui, a été tué pendant la guerre de 1914 dans la tranchée des baïonnettes.

Louise se souvenait avoir été très marquée par les événements découlant de la séparation de l'Eglise et de l'État ; ses parents y avaient pris des positions courageuses qui ont valu à son père de donner sa démission d'officier. Lorsque sa maman (Constance Goybet) s'est mariée, elle avait eu la malencontreuse idée de demander à Dieu vingt ans de bonheur, et c'est exactement de qu'elle eut ! En effet, quel dommage qu'elle n'en ait pas demandé plus ! disait Louise.

En 1913, Louise avait 14 ans. Sa famille habitait Lyon, excepté son frère Pierre, élève officier de marine. Tous les matins, ils allaient ensemble à la messe à Fourvière. Le 4 novembre, après cette messe, le commandant Jaillard prenait le train pour aller présenter son fils Charles à Saint-Cyr... et ce fut le terrible accident ferroviaire de Melun, où père et fils ont été retrouvés morts, chapelets en main. Autre grande douleur de Louise que celle de la mort de Pierre (jeune officier de marine) sur le Léon-Gambetta, torpillé en 1915 dans l'Adriatique.

En 1919, Louise Marie épousa un ami d'enfance, Henri de Raucourt, dont le père était directeur de la Banque de France à Bordeaux, après l'avoir été à Clermont-Ferrand et à Angoulême.


Onze enfants

Le jeune couple n'a son premier enfant qu'en 1923 ; ils se sont rattrapés ensuite en ayant eu onze enfants. À chaque fois qu'un enfant était annoncé, c'était une grande joie et il semble que le foyer n'ait jamais eu l'idée d'espacer les naissances.

Les deux regrets de Louise Marie : ne pas avoir eu de jumeaux et ne pas avoir eu de fils prêtre. Onze enfants, de nombreux déménagements, de longues navigations pour aller outre-mer (à cette époque, il fallait compter un mois de mer pour atteindre Madagascar). En tant que capitaine, Henri Poncelin de Raucourt est affecté à Madagascar, Dakar, Ajaccio, à Djibouti une seconde fois puis au Maroc. Mais en 1940, l'officier est fait prisonnier avec ses Sénégalais. Louise Marie attend alors son onzième enfant seule à Poitiers. Le couple avait eu la grande tristesse de perdre un bébé au retour de Djibouti. À Poitiers, il fallait faire face à une bande d'enfants pas toujours faciles en plus des difficultés matérielles de l'époque.

Après son évasion, le père est nommé à Dakar où, en 1942, le bruit court d'un débarquement des Anglais et ordre est donné à toutes les familles de plus de trois enfants de rentrer en France, sans chef de famille évidemment. Trois paquebots sont affectés : Portos, Aramis et d'Artagnan.

L'une des filles de Louise Marie [Geneviève Crouïgneau. - NDLR] se souvient : « A l'escale de Casablanca, maman nous ayant fait préparer pour aller à la messe oe dimanche matin, noua étions habillés, contrairement à beaucoup d'autres familles, quand une alerte nous a laissé dix minutes pour nous abriter le plus loin possible du port. "Attachez-vous pour ne pas vous perdre" nous disaient les marins qui aidaient les mères de famille en prenant des enfants sur les épaules. Tout le monde courait.. il y avait déjà des morts sur le quai... Les Américains et le porte-avions Jean-Bart se tiraient dessus !... Et nos trois bateaux ont été coulés...


Maroc, Madagascor, Réunion

« Nous voilà de nombreuses familles de réfugiés sans même une brosse à dents ! Nous nous sommes retrouvés chez des colons très généreux à Marrakech et notre père a été affecté au Maroc. Ce n'est qu'en 1945 que nous sommes retournés en France, avec les deux filles aînées en moins, mariées entre-temps... Le voyage de retour (encore sans son chef de famille, resté à son poste) a été épique aussi. À Toulon, le bateau a été mis en quarantaine car il y avait eu un cas de peste à Casablanca. Le voyage en train jusqu'à Poitiers a été interminable. Maman était très fatiguée, la Croix-Rouge s'occupait de nous à chaque arrêt de gare... »

Ensuite M. de Raucourt a pris sa retraite anticipée, il a acheté une terre en Tarn-et-Garonne ; les onze enfants étaient pensionnaires à Poitiers. Mais n'ayant pas un tampérament de sédentaire, au bout de quelques années, il décide de revendre sa propriété pour retrouver le Maroc, Madagascar puis la Réunion.

Louise Marie le suit au Maroc, mais en 1967, elle connaît des problèmes de santé et l'implantation d'un premier pacemaker. Elle décide de rester près de ses enfants, allant toujours vers ceux qui avaient le plus besoin d'elle. De temps en temps, son époux réapparaissait (seulement en été) et ils séjournaient chez l'un ou chez l'autre de leurs enfants... Henri de Raucourt meurt en 1981. Depuis, Louise Marie a eu beaucoup d'autres chagrins puisqu'elle a perdu une fille, une belle-fille, trois gendres, six petits-enfants et une arrière-petite-fille. Mais elle a vécu tous ces événements avec une telle foi dans les retrouvailles qu'elle est restée heureuse de vivre et agréable aux autres.

Elle avait une grande capacité d'amour à donner, s'intéressant à tout et à tous. Elle était aimée de tous ceux qui l'approchaient. Tous aimaient son sourire. Sa grande joie était de participer aux pèlerinages montfortains avec les malades à Lourdes, et les responsables témoignaient de sa capacité à mettre une ambiance de joyeuse sérénité dans les salles de malades.

À la messe de ses obsèques, ses petits-enfants lui ont laissé un message émouvant : « Bonne-maman chérie, c'était bon de vous avoir si proche de nous ! Merci d'avoir été si présente, d'avoir porté nos soucis et nos bonheurs, d'avoir pleuré avec nous, d'avoir ri avec nous... Nous vous disons "au revoir" avec une gronde espérance. »

« Le bonheur du ciel n'est pas n'importe quel bonheur, il est le bonheur d'aimer comme Dieu aime, sans l'ombre d'un retour sur soi, d'une attention à soi. » (François Varillon).

(Notice nécrologique.)

 

 

 

*

Quelques témoignages des enfants

 

Bonjour ma Dame.
Votre sourire.
Voui ne disiez jamais de mal de personne.
Adios amiga.

Guénolée CAUX.

 

Difficile de parler de sa maman ! Une maman, c'est tellement personnel, tellement unique, et même si elle n'est pas parfaite, on l'aime comme une maman !... Mais c'est vrai que la nôtre était exceptionnelle ; elle avait tant d'amour à donner !...

Rappelez-vous : nous étions tous un peu jaloux de tous ces petits-enfants de sa sœur ; elle les avait adoptés après la mort de tante Madeleine et elle les aimait et les connaissait presque autant que les siens !

Sa famille n'était pas restreinte, loin de là, et elle épousait la famille et les amis de ceux chez qui elle séjournait ; cela aussi nous agaçait un peu ! Ce qui m'a étonnée souvent, c'est de voir cette longue liste d'amis qu'elle se faisait au cours de ses voyages en train ou aux pèlerinages à Lourdes, amis avec qui elle correspondait ensuite. Elle racontait sa vie à tout le monde ! Quelle femme !

Elle était toujours à l'affût de ce qui pouvait faire plaisir ; et comme sa petite-fille Odile l'a dit dans les intentions de messe, elle était d'une grande tolérance et voyait toutes choses avec des lunettes rosés.

Souvenirs... souvenirs... où l'on voit maman souvent seule (papa étant à l'armée ou au loin) ; maman ayant en charge tous ces enfants à faire travailler, à faire grandir... avec tous les soucis matériels en plus ! maman souvent fatiguée mais ne le montrant que lorsqu'elle n'en pouvait plus ! Et toujours ce sourire !

Étonnant aussi et presque scandaleux que maman ait survécu avec tant de foi et de sérénité aux départs de sa fille Abbey, de Marie-France, de ses gendres, mais surtout de ses petits-enfants. Quelle rage de vivre !

Mais avez-vous vu notre mère après avoir reçu le bon Dieu ? C'était assez extraordinaire ! Elle était vraiment ailleurs !

Geneviève CROUÏGNEAU.

 

Je me souviens de la joie que j'ai éprouvée à l'occasion d'un retour en France. L'avion arrivait au petit matin, vers 6 heures à ce qu'il me semble. Et la première personne que j'ai aperçue après avoir franchi les différentes barrières fut ma belle-mère ; à ce moment-là, elle symbolisait ma famille et ma patrie. J'en ai ressenti un grand plaisir : je retrouvais mon monde, ayant le sentiment de venir d'une autre planète.

Maintenant que je la vois avec un certain recul, je me dis que c'était une personne extrêmement simple et en réalité très difficile à connaître. Je ne veux pas dire qu'elle était dissimulée ou secrète — pas du tout. Je veux dire qu'on peut éprouver un sentiment de mystère devant une eau limpide dont on ne voit pas le fond, et que ma belle-mère donnait cette impression.

 Henri JOUBERT.

 

Bonne-maman, en nous réunissant pendant trois semaines auprès d'elle pour chasser ses angoisses la nuit et la maintenir au petit jour dans ses heures d'agonie, a réussi à construire une atmosphère de confiance et de sérénité entre nous. Avec ses sourires, sa gentillesse, son acharnement à vivre, sa lutte contre la mort : ce qu'on appelle des temps forts... — en nous faisant réciter, lire et relire des prières, les psaumes en particulier, pendant les heures de garde et les quarts de nuit — puis dans son acceptation à nous quitter, son renoncement à aller à Lourdes en pèlerin, nous étions comme suspendus à ses derniers souffles dans un calme, une communion surnaturelle extraordinaire. Pour elle, un beau dimanche à l'horizon dans la paix du Christ. Ce fut une réussite totale ; en famille, nous l'avons aidée à partir ; espérant, impuissants mais convaincus de son bonheur éternel.

Marielle de RAUCOURT.

13-16 avril 1996.

 

Bonne-maman est partie comme elle a toujours vécu : discrètement, sans jamais déranger, toujours à l'écoute des autres. Elle m'a toujours stupéfié par la connaissance qu'elle avait de la vie de chacun de ses enfants, petits-enfants et arrière petits-enfants ; elle savait toujours les joies, les peines de chacun, et y participait pleinement.

Elle laisse chez nous, les Rancourt, un vide immense : après le départ de maman (Abbey), de façon très discrète mais très forte et très maternelle, elle avait su la remplacer (autant que cela soit possible de remplacer Abbey). Pour moi, j'ai eu l'impression de perdre maman une seconde fois.

François de RANCOURT.

 

Difficile d'écrire des choses personnelles. Ceci simplement : elle vivait pleinement l'instant présent, en s'y donnant à fond, dans la joie ou la tristesse. Jamais indifférente, même avec les amis des amis. Nous avons des témoignages de nos amis, de nos voisins, qui l'ont peu vue, mais qui ont pleuré en disant que jamais ils n'oublieront son sourire, sa sérénité, sa joie de vivre, son amour des enfants, son accueil, etc.

Anne JOUBERT.

 

*

Extraits de lettres

 

Quel bon souvenir, quel extraordinaire dédain du luxe et du superflu !

Annie BAUDINAUD-PLAIT, une amie de pension.

 

Le coup de téléphone reçu tout à l'heure me fait beaucoup de peine. J'aimais, nous aimions, Magdeleine et moi, beaucoup Lison.

Nos contacts dataient de loin. Avec ma sœur aînée Louise, nous avons assisté en 1919 à Bordeaux à son mariage. En 1925, arrivant à Grenoble, nous avons été accueillis par le ménage Ritte et Lison et nous avons beaucoup sympathisé. Ensemble, à maintes reprises, nous avons couru la montagne et passé de longues soirées chez l'un ou chez l'autre. Ensemble, nous avons fait en 1934 le tour de la Corse. Nous admirions beaucoup l'exemplaire comportement de Lison.

Bien sûr, avec l'âge, nos chemins ont divergé et nos contacts se sont espacés ; ils n'en restaient pas moins profonds.

Je suis bien sûr qu'elle a aujourd'hui reçu là-haut la récompense d'une vie exemplaire.

Général Jean VALLETTE d'OSIA.

 

La chère Lison a été une mère totalement dévouée à ses enfants, toujours prête à les comprendre, mais prête aussi à l'admiration. Je pense qu'elle nous laisse un grand exemple d'oubli de soi, d'abnégation. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui, aussi spontanément et avec le sourire, sache se sacrifier. Et elle a toujours été comme cela.

Henriette GOUBAUX.

 

Je me demande si, dans ma vie, j'ai rencontré quelque chose de plus charmant que votre mère et votre tante Madeleine se taquinant au sujet de leurs enfants...

Père J.M. PESRIN.

 

Bonne-maman portait cette joie en elle. Dès qu'on l'approchait, on voyait un joli soui rire sur son visage ; elle était attentive à chacun, chaque naissance lui apportait un «grand bonheur, elle était heureuse, elle aimait la vie et la présence de tons autour d'elle.

Denise TRÉNOY.

 

Son amour, sans ostentation, était débordant pour le Seigneur et pour tous les siens, dont elle portait les noms et les soucis dans son cœur et dans sa prière.

Son curé de Nouaillé-Maupertuis.

 

Nous n'oublierons pas son regard et son sourire empreints de sérénité, de bonté et de délicatesse, et surtout l'attention qu'elle portait aux soucis comme aux joies et aux peines de chacun.

Charles POUZET.

 

Pour moi, c'est un grand vide qui s'est ouvert... Je l'aimais tendrement. J'aimais sa joie de vivre, malgré toutes les épreuves qu'elle a connues, j'aimais son dynamisme ; j'aimais tant ma tante Lison !...

Élisabeth POYET.

 

Bonne-maman, c'est tellement elle, telle que je la revois : le sourire de ses yeux, son sourire lumineux ! la bonté, la tolérance, l'attention aux autres.

Et sa foi. Elle m'a beaucoup apporté sur ce plan-là. Et c'est tellement essentiel ! Elle a été un modèle pour moi pendant les années de Dakar et du Maroc, ce temps de l'adolescence si difficile à vivre... Elle m'a accueillie tant de fois dans sa maison, à Marrakech et aussi au cours de vacances à Mogador !

Claude CHARPENTIER-CADIEUX.

 

Bonté, sérénité, joie intérieure. Telle que je l'ai connue à Marrakech. Quelle reconnaissance pour m'avoir pris, malgré ses dix enfants, Eric et Yves pendant une naissance !

Madame CHAMPOISEAU.

 

Elle fut pour moi la meilleure des amies et elle m'a toujours accueillie avec mes enfants avec une affection précieuse et si rare ! Elle était la bonté même ; je pense que dans sa vie, elle a toujours cherché le bonheur des autres.

Madame BARRERA.

 

Elle était passionnée par tout ce qui l'entourait, toujoursà l'écoute des autres, jusqu'à l'oubli d'elle-même. Dès la première rencontre, nous l'avons aimée pour cette gentillesse, si naturelle chez elle, si spontanée, pour cet intérêt qu'elle avait pour son entourage, curieuse de la vie et de la race humaine.

Lydie ROSE.

 

C'était la bonté même, la sérénité, la simplicité. Tout en elle irradiait l'amour et la paix. Et tellement présente ! Comment ne pas l'aimer quand on la connaissait ?

Denise ROUBINET.

 

Elle avait une grandeur d'âme et une sérénité merveilleuses, une foi admirable qui faisait l'admiration de tout son entourage.

Madame NÉEL.

 

Pensant à celle dont les profondes qualités, la bonté nous ont si souvent charmés...

Evelyne MARTIN, jeune fille faisant le ménage à Montagne.

 

Je n'oublierai ni sa gaieté ni son ouverture de cœur.

Rara.

 

L'image que je garde est très donce : une belle grande dame avec de longs cheveux blancs tressé», un visage bon et un joli sourire.

Nathalie PIRAJNO.

 

Je la trouvais vraiment belle et pleine de sagesse. Madame de Raucourt était une vieille dame à qui j'aimerais ressembler, plus tard. C'est vrai qu'elle m'a apporté un peu de bonheur du ciel.

Loïse, qui avait été marraine de bonne-maman à Lourdes

lorsqu'elle avait reçu l'onction des malades, et qui avait 16 ans.

 

*

Lettre de Lison de Raucourt à Béatrice Rivet

 

Le Pétureau, Soyaux, ce mardi 17 janvier 1989.

 

Ma chère Béatrice,

 

Je veux que tu saches ma grande peine. Ma seconde fille, Elisabeth de Rancourt, que nous appelons toujours Abbey, nous a quittés mercredi dernier 11 janvier. Je réalise mal ce départ — et pourtant elle a vraiment préparé les étapes qui l'ont amenée à ce 11.

La veille, on avait cru qu'elle ne passerait pas la matinée. Mais elle a voulu revoir tous ses enfants — et sa vieille maman. Mon Henri, qui était là ces derniers jours, a vécu tout cela, et n'en revient pas de son énergie.

L'après-midi de mardi, nous sommes venus auprès d'elle, tous ses enfants, son mari.

Et ensuite, ils nous ont raconté que cette nuit avait été inoubliable — comme une nuit de Noël —, elle parlant à tous.

Le matin, après la perfusion, elle s'est endormie calmement deux heures. Puis elle a dû sentir que son mari avait encore besoin d'un dernier au revoir. Elle a ouvert les yeux, leur a encore parlé. Mon Henri m'a dit que cela n'avait pas duré dix minutes — quelques minutes simplement, puis elle est partie doucement.

Elle a eu sa connaissance jusqu'au bout, a parlé à tous ses enfants. Cette nuit dernière, Henri me disait qu'on avait l'impression qu'elle partait là-haut... et qu'elle revenait auprès de ceux qui l'entouraient.

Mes filles disent qu'elle a préparé sa mort. Si elle était partie lors de son opération en mars, elle m'a dit qu'ils n'étaient pas prêts, qu'ils avaient encore besoin d'elle.

On a chanté vendredi le Magnificat, qu'elle aimait et récitait tous les jours. Et voilà.

J'étais venue depuis le 8 décembre chez mon ménage à Angoulême. Ils pouvaient m'emmener la voir à Limoges deux fois par semaine. Je n'arrive plus à écrire. Tu arriveras, j'espère, à lire cette lettre. Je t'embrasse.

Lison

In La gazette de l'île Barbe n° 25

Eté 1996

 Sommaire