Avant d'emprunter la filière
d'éducateur, Christian a reçu, trois années
durant, une formation de menuisier à l'école des
compagnons du Tour de France. Il est de plus titulaire d'un brevet de
maîtrise en ébénisterie. Il avait jusqu'alors
essentiellement oeuvré dans l'utilitaire : « J'ai réalisé pas mal
d'escaliers monumentaux. » Le reste du temps, ce qui était
loisirs de création au début est devenu seconde
profession : sculpteur sur bois et pierre. Le déclic pour sa
passion nouvelle : la première exposition de ses oeuvres de
loisirs, remarquée, en octobre 1994 au pavillon des Arts. Coup
sur coup, le talent de Christian Delacoux a été
distingué par le prix Ernest Gabard du musée des
Beaux-Arts et par la médaille des Amis du chateau de
Pau. Une statue qu'il exposait, le
Chevalier
errant, portant coquille, a
été particulièrement remarquée ; entre
autres admirateurs, son cliché a séduit un responsable
d'une association de scouts (Scouts d'Europe) périodiquement
présente à Vézelay depuis vingt ans. Vézelay dans l'Yonne : point de
rencontre des cinq chemins du nord vers Saint-Jacques-de-Compostelle,
et havre de repos des pèlerins en route vers la Galice
lointaine ; haut lieu de spiritualité, où saint Bernard
prêcha la deuxième croisade en 1146. Les Scouts
d'Europe, qui oeuvrent pour que vivent les chemins de SaintJacques et
promeuvent l'art sous toutes ses formes, vouent un culte particulier
à Vézelay, où ils organisent à la
Toussaint un pèlerinage national. Que certains groupes de scouts d'Europe
aient été proches des catholiques traditionalistes
gêne d'autant moins Christian Delacoux, lui-même ancien
scout d'Europe, qu'il y a aussi dans « l'affaire » des
adeptes du mouvement charismatique, c'est-à-dire strictement
l'opposé de feu Monseigneur Lefebvre. Ces scouts-là
voulaient « travailler dans
le beau, » et il n'en a
pas fallu davantage pour séduire Christian Delaceux.
Ainsi reçut-il commande.
Sans que ses drôles de clients ne
lui donnassent, du moins au début, de directives bien
précises. Ses statues représenteraient un scout
à genoux parmi saint Jacques, saint Jean-Baptiste, saint
Bernard et Saint Louis. Trouver le bois a pris deux bons mois.
L'essence choisie a été le châtaignier,
réputé pour sa résistance à
l'humidité et au cortège de parasites (champignons et
insectes) qui en découle. Les cinq statues hautes de 1,68 m,
constituant un ensemble de près d'une tonne, ont toutes
été sculptées dans le même tronc, celui
d'un châtaignier séculaire, à l'état
sanitaire très convenable, abattu sur les collines d'Asson, et
déniché dans un camion qui prenait la route de
l'Espagne chargé d'arbres destinés à faire du
tanin ! Christian Delacoux n'avait jamais manié le ciseau dans
un tel bois : « C'est lui
qui a commandé. C'est un bois coupé au mois d'avril,
tendre. Le seul problème, ce sont les interstices
laissés dans le bois par les années de geL
» Cinq mois auront été
nécessaires à Christian Delacoux pour sculpter ces
statues. « Le plus
difficile, dit-il, c'est de donner une expression aux visages. En
l'occurrence, il fallait qu'ils aient l'air serein. »
La dernière couche d'huile de
lin passée, les personnages couleur bois et somptueux de
sérénité sont prêts à prendre place
dans une chapelle latérale de la magnifique basilique romane
de Vézelay. Il plait à Christian Delacoux d'imaginer
que ses chefs-d'oeuvre défieront les sièdes en un lieu
aussi prestigieux, et seront admirés par des milliers de
pèlerins amoureux de l'art dans sa symbolique. Voilà comment s'est
opérée la mue. « Il y a deux ans encore, je n'aurais
jamais pu imaginer que tout puisse se passer si vite » confesse Christian. Les choses se sont
précipitées au point que l'informel carnet de commandes
du jeune sculpteur, fort de cette notoriété, est plein
jusqu'en 1997. Voilà qui ne saurait surprendre. Mais Christian
se sent toujours « plus artisan qu'artiste ». Son ambition
dernière reste l'enseignement de
l'ébénisterie. « Qui se ressemble s'assemble.
» Il ne faut enfin pas
oublier l'épouse de Christian, Geneviève, experte en
marqueterie et qui l'accompagne de ses oeuvres lors des diverses
expositions. D'après Thomas LONGUÉ « Pour des
siècles à Vézelay», Sud-Ouest, Béarn et Soule, 25 octobre 1995,
et Joseph
BERGERET, « Un
Béarnais à Vézelay », la République des
Pyrénées, 1er
novembre 1995. in
La gazette de
l'île Barbe
n° 23 Hiver 1995