Nouvelles de Chine

Je vous fait passer ces Nouvelles de Chine, que Christian Rambaud nous a envoyées à l'occasion du Nouvel An. Ses oncles et tantes ont reçu chacun ce courrier, mais je pense qu'il peut intéresser les autres lecteurs de la Gazette.

Jacques LEPERCQ.

 

Tianjin, janvier 1998.

 

Ce début de 1998 est l'occasion de vous adresser nos meilleurs voeux de bonheur et de santé. Que cette nouvlle année amène la paix dans le monde, l'amour et le partage dans le coeur des hommes.

Pour la troisième année consécutive, nous avons passé Noël et Jour de l'an à Tianjin. Si, l'année dernière, nous avons eu le plaisir de partager ces jours de fête en compagnie des grands-parents Rambaud, il nous manquait Peggy. Cette année, nous avons eu la grande joie de nous retrouver tous les cinq. La veille de Noël, nous avons réveillonné dans l'appartement en compagnie d'expatriés seuls : une Canadienne, une Espagnole, un Grec et un Français. Une soirée internationale très sympa. Juana et Peggy avaient su recréer une atmosphère très européenne avec des mets délicats, rares en Chine, tout frais débarqués de France via Peggy.

 


Expatriation en Asie

L'année dernière, nous cherchions à nous agrandir. C'est chose faite depuis septembre. Nous logeons toujours dans un appartement géré par la chaîne Sheraton, ce qui garantit électricité, chauffage, eau chaude, téléphone et fax en permanence, mais avec une chambre supplémentaire : c'est véritablement un ballon d'oxygène. Les garçons ont une chambre chacun : c'était une condition obligatoire dans la mesure où ils ne sont plus que deux élèves à l'école. La pièce centrale sert toujours de séjour, salle à manger et cuisine. Juana a su créer une atmosphère chaleureuse dans ce mini-appartement par des tableaux, des bibelots très fins...

Les possibilités de logement s'améliorent assez vite à Tianjin. Nos remplaçants pourront vivre dans des conditions plus occidentales : nous pensons qu'il est encore un peu tôt pour songer à s'installer à l'extérieur du monde expatrié, en plein milieu chinois, à moins d'avoir un esprit aventurier. De plus, les conditions de travail à l'usine étant toujours rustiques, il est indispensable que Christian puisse trouver un foyer chaud et chaleureux le soir pour récupérer de l'inconfort et du stress de la journée.

La communauté internationale continue à se développer petit à petit mais surtout avec des Asiatiques : beaucoup de Japonais (500 permanents parlant anglais), et peu de francophones : une soixantaine cette année. Par conséquent, toujours aussi peu d'activités sociales et culturelles. Heureusement, Juana côtoie la communauté hispanique, qui lui donne une ouverture appréciable sur un autre monde. Depuis juillet, nous captons TV 5, pot-pourri des télévisions francophones : rien de passionnant, mais quel plaisir d'avoir des journaux télévisés, quelques documentaires et films, souvent vieux et pas de première qualité, mais en français, ce qui change de CNN et HBO (canal plus australien en langue anglaise) !

Les deux garçons fréquentent toujours « l'école française GECAlsthom ». L'année dernière s'est très bien terminée ; cette année, ils sont en sixième et quatrième. Le contrat du premier professeur s'est terminé en juin, après trois ans avec nous. Une nouvelle tête est arrivée en septembre : son propriétaire est un jeune instituteur marié à une infirmière qui aurait bien aimé trouver un poste sur Tianjin : chose impossible pour une expatriée. La transition s'est faite sans difficulté -le nouveau maître ayant trouvé ses marques rapidement. Malheureusement, aucun nouvel élève ne s'est présenté pour remplacer les deux partants : les garçons sont donc seuls. C'est dur mais ils se sont bien adaptés à ce changement. Tous les matins, ils vont à l'école à vélo comme de vrais enfants chinois ! Ils ont pu s'inscrire dans l'équipe de foot de l'école américaine : ils en sont ravis car ils rencontrent de nombreux enfants de toutes nationalités : Américains, Canadiens, Hollandais, Costaricains...

Leur niveau en anglais s'améliore rapidement. Nous avons même trouvé une jeune professeur espagnole pour éviter à Juana de jouer, en plus de son rôle de mère de famille et de surveillante des devoirs le soir à la maison, celui de professeur.

Juana essaie toujours de tuer le temps. La vie de tous les jours s'améliore sans cesse : que d'évolution en trois ans ! Nous avons même un Carrefour depuis octobre. Un deuxième doit s'ouvrir en janvier. Des boutiques propres et bien achalandées s'implantent un peu partout. La ville est moins sale : et ce n'est pas une accoutumance à la saleté. Il reste tout de même beaucoup à faire. Juana va une fois par semaine à Pékin (5 heures, aller et retour) pour faire de la peinture sur porcelaine et de l'encadrement. Elle a repris un peu de bridge avec des Japonaises vivant à Tianjin, des femmes adorables et raffinées mais parlant très peu anglais.

Nous profitons toujours de notre expatriation en Asie pour découvrir de nouveaux pays : en 1996 la Thaïlande, en 1997 l'Indonésie et la Malaisie; en 1998, nous programmons Hawaï et peut-être à nouveau la Thaïlande, où la soeur jumelle de Juana devrait s'installer en milieu d'année ; Juana et les enfants ont visité la Chine de l'Ouest en juin dernier : route de la soie. En octobre, nous sommes allés tous ensemble à Guilin (sud de la Chine, sur la rivière des Perles).

 


Épreuves et réussites professionnelles

La vie professionnelle de Christian est toujours aussi soutenue, avec des réussites au milieu de nombreuses déconvenues. Globalement, la situation s'est fortement améliorée par rapport au milieu environnant mais il reste encore beaucoup à faire. Les longues journées laborieuses ne sont pas finies : le charme de la découverte s'est un peu atténué. Il devient de plus en plus dur d'expliquer aux actionnaires européens les difficultés rencontrées. Christian s'est proposé de publier les « anecdotes » vécues et de les présenter à Vidéo-gag : elles sont tellement invraisemblables que personne ne pourrait les croire : il ne serait même pas sûr de gagner.

Les conditions matérielles sont éprouvantes : pas de climatiseur l'été, 35 à 40 degrés dans les bureaux avec beaucoup d'humidité; très froid l'hiver, 15 degrés à l'intérieur quand tout va pour le mieux, 10 degrés à d'autres moments moins favorables. Christian négocie le non-arrêt du chauffage pendant cette période pourtant si froide : le partenaire qui le fournit fait du chantage pour rançonner plus d'argent avec l'appui tacite, bien entendu, des autorités de la ville : verdict début janvier. Il devra sans doute mettre encore plus de couches de vêtements : il en a déjà plusieurs, avec caleçons longs, chaussettes de ski... Le record est de six couches. Et ne parlons pas des odeurs, du manque d'équipements qui paraîtraient indispensables dans l'entreprise française la plus démunie : exemple, un seul fax pour 2 000 personnes.

Même si, sur le papier, les expatriés ont tout pouvoir, et en particulier Christian, qui est très respecté, ils n'ont en réalité aucun pouvoir hiérarchique (9 contre plus de 2 000 Chinois), seulement un pouvoir de conviction. Cette situation se traduit par des négociations continues, des arrangements et des compromis, remis en cause en permanence.

L'objectif des expatriés est de rendre l'entreprise rentable, l'aspect social (bien-être du travailleur, mariage, contrôle des naissances, logement, douche, cantine, crèche, médical, éducation politique...) étant en Chine une des conditions de succès. Christian est en charge de tous ces sujets peu industriels, en plus du travail normal - pour nous, Occidentaux - de management de la société : par exemple, quand un jeune veut se marier ou avoir un enfant, il doit demander l'autorisation de la direction générale, qui, en plus du respect des lois relatives à l'âge pour le mariage et à l'enfant unique, doit vérifier que le quota annuel de mariages ou de naissances accordé à l'entreprise par les autorités n'est pas dépassé : on imagine les discussions passionnantes au cours desquelles Christian doit expliquer aux jeunes couples que ce quota annuel est presque atteint et qu'il faudra patienter un an de plus, que l'année prochaine, la société fera de son mieux pour porter une attention toute particulière à la demande...

L'objectif du partenaire est l'aspect social, la rentabilité étant une notion floue et secondaire, sauf à titre personnel. La recherche de l'intérêt individuel (argent, cadeaux, voyages ou relations, obtenus de façon plus ou moins « officielle ») prime et est un aspect peu connu d'une société communiste omniprésente dite « égalitaire »

En conclusion, et pour être réaliste, il faut convenir que la société, qui est une des plus grosses «joint ventures » de la ville, s'améliore et est réputée sur Tianjin pour être parmi celles qui ont évolué le plus vite, mais combien de nuits blanches et de stress en échange !


Complexité extrême-orientale

Néanmoins, cette expérience difficile à vivre nous permet de découvrir un monde (25 % de la population mondiale) où culture et références sont tellement différentes de nos normes occidentales ! Un conférencier, passionné de Chine et vivant ici depuis une dizaine d'années nous a dit un jour que « plus il était en Chine, moins il comprenait la mentalité chinoise. Seuls ceux qui sont là depuis trois jours comprennent ce qui se passe, et ça ne dure pas longtemps. » Nous partageons totalement cet avis. Plus le temps passe et plus nous découvrons la complexité du système de pensée chinois.

Terminons cette lettre sur une note de gaieté et de joie en vous souhaitant une excellente année 1998 et en espérant vous revoir lors d'un de nos prochains passages éclair en France.

 

Christian, Juana, Peggy, Philippe et Nicolas RAMBAUD

µ

in La gazette de l'île Barbe n° 32

Printemps 1998

 Sommaire