En clinique

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Martine, après un séjour dans une clinique lyonnaise, a composé ces quelques lignes. Ce poème peut intéresser les lecteurs de la Gazette.

Jacques LEPERCQ

 


*

 

Lyon, le 25 mars 1994.

 

 

J'avais pour projet un grand voyage,
Pour Lyon j'ai fait mes bagages.
Je n'ai pas changé de continent
Pourtant quel dépaysement !
 
Derrière ces murs, ces portes bouclées,
Que de souffrance, de désespérance ;
C'est le monde de l'errance.
On se croit abandonnée, délaissée,
Voire rejetée.
 
Ce qui tout d'abord m'a frappée,
Ce sont certains regards
Sans vie, hagards,
Portant en eux une prison.
 
Toutes perdent peu ou prou la mémoire.
On croit établie une communication,
On se retrouve dans une autre dimension.
En tête se bousculent les mots : folie,
Cris, nuit.
Dans les couloirs, des portes fermées,
Certaines doivent être isolées.
 
J'ai débarqué sur cette autre planète 
Où n'a de sens le mot de fête.
 
Je pense à toi, Élise,
A quatre pattes dans le parc,
J'aimerais croire qu'un jour tu retrouveras tes marques.
Tu jouais du piano, pas du Franz Liszt,
Non, mais du Mozart avec talent, avec art.
 
Je ne vous oublie pas vous, les jeunes anorexiques,
Dont je sais encore chaque prénom.
Vous allez de contrat en contrat*, c'est strict.
Franchement vous m'avez donné une leçon.
 
Toi, copine épileptique, 
Vous toutes qui avez des problèmes avec l'alcool, 
Nous avons eu des conversations épiques.
 
Et toi, gentille, fragile Nicole,
J'ai connu tes yeux tristes, ton sourire
Et tes larmes
Qui désarment.
Tes propos, tes délires,
Te sentant toujours point de mire.
Les hallucinations auditives, à présent je connais
Et personne ne peut dire: « Ça ne m'arrivera jamais. »
 
Certain soir tu m'as dit:
« Si seulement je croyais en Dieu. »
Je t'ai répondu: « Pour moi il vit. »
Je le crois vraiment, présent en ce lieu.
 
Deux points laissent à désirer :
Le téléphone et les W.-C.,
C'est toujours occupé.
Ça ne manque pas de clients,
Et suscite souvent quelques énervements.
 
Quel choc quand de la clinique on sort ;
On a oublié le décor,
Le bruit, la cacophonie.
La tête vous tourne, on est étourdie.
 
J'écoute alentours les conversations
Qui bien vite me posent question.
Transports en retard :
On attend, on part ?
C'est inadmissible !
Moi je reste paisible
Je me sens plus proche de ceux du dedans,
Ils sont différents.
J'aurai partagé leur isolement
Et ne suis pas prête d'oublier ce temps.
 
Enfin arrive le jour du départ,
On est heureux et mal quelque part.
Ça fait penser à une désertion
Par rapport à celles qui resteront.
Il me fallait partir,
Penser à l'avenir,
Me préserver, me ménager.
Voilà ce qu'il me reste à appliquer.
Martine ***.
 

* Les contrats passés entre le médecin et le malade font partie du traitement : le malade ne recevra des visites de l'extérieur, ne se promènera dans le jardin, etc. qu'à partir de tel poids. Chaque étape est discutée et un accord est conclu. [NDLA.]

µ

in La gazette de l'île Barbe n° 27

Hiver 1996

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