Vincent d'Indy chez lui

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Jouer l'oeuvre d'un grand compositeur sur le lieu même où elle a été conçue n'est pas donné à tous les interprètes. C'est la faveur qu' a ménagée le festival des Nuits de Tournon à la pianiste Catherine Joly, l'une des très rares interprètes françaises de l'Ardéchois Vincent d'Indy. On sait que l'auteur de la symphonie Cévenole s'est fait construire au début du siècle une imposante demeure sur la terre de ses ancêtres, le château des Faugs, près de Vernoux dans le haut Vivarais. Un lieu magique, altier comme la personnalité du musicien, entouré de forêts qui pourraient être celles de Siegfried si la sérénité de somptueux pâturages ne venait déjouer les sortilèges wagnériens.

De sérénité, il n'y en avait guère ce samedi soir sur la terrasse du château et l'esprit n'était pas seul à souffler. La rudesse du climat Vivarois avait délégué son vent du nord le plus diabolique et c'était miracle de ne pas perdre la tête et les doigts - ou simplement de tenir une partition ouverte - dans ce magnifique déchaînement des éléments.

On a admiré en particulier l'aplomb et l'indéfectible clarté d'esprit de l'artiste s'attaquant au difficile scherzo de la grande sonate de d'Indy (qu'elle a déjà eu l'audace d'enregistrer il y a quelques années), aussi bien qu'aux trois valses au charme un peu kitsch du recueil Helvetia.

Et l'on aurait mauvaise grâce à lui reprocher d'avoir mené à un train d'enfer le sublime prélude, choral et fugue du père spirituel, César Franck. Il fallait maîtriser les polyphonies franckistes par la force et Catherine Joly y a parfaitement réussi.

Et comme les Faugs ont une âme qui favorise le rêve, on imaginait Blanche Selva, l'interprète attitrée de d'Indy, jouant les mêmes oeuvres de ses petites mains potelées sur le Pleyel du grand salon!

Autre artiste intrépide, l'excellent hautboïste François-Xavier Bourin, qui jouait avec Catherine Joly les sonates de Poulenc et de Saint-Saëns. Belle manière d'intégrer l'oeuvre de d'Indy à l'une des plus riches époques de la musique française.

 

 

Philippe ANDRIOT

Le Tout-Lyon, moniteur judiciaire, 11 au 17 août 1995, p. 8.

 

In La gazette de l'île Barbe n° 53

Eté 2003

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