Albin
Mayet (Lyon, 1825- Paris, 1905)
était le grand-oncle d'Henri Jaillard, Lison [Louise] de
Raucourt et Magdeleine Lepercq. Il a recueilli ces Notes pour
ses enfants vers 1900 à1904, « d'après les souvenirs de Camille
Mayet née Jaillard, de Madame Brunet née Ory et de
Monseigneur Alphonse Ozanam » : Camille Mayet-Jaillard (Lyon, 1832 - 1906),
était l'épouse d'Albin Mayet et la soeur de Louis
Jaillard ; Marie-Pauline Brunet-Ory (vers 1811 - 1884) était
leur tante à la mode de Bretagne, et Alphonse Ozanam (1803 -
1888) leur cousin issu de germains. Le manuscrit est conservé
par Francette
Guérard.
Ces Notes
animent la généalogie dernièrement mise à
jour en supplément au n° 19 de la Gazette,
et dont les références sont ici ajoutées entre
crochets au texte d'Albin Mayet.
*
La famille Jaillard (1)
Arrière-grand-père,
François-Fleury Jaillard [4],
et sa femme, née
Claudine Bourret en 1722 à Seyssel (Ain).
Véritables saints, dont la
mémoire est restée vénérée par
leurs descendants. Dans une condition plus que modeste, ils ont
élevé neuf enfants, au milieu de traverses et de peines
sans nombre, trouvant encore le moyen d'exercer la charité de
la façon la plus éminente.
Ils habitaient à Lyon le
quartier Saint-Georges. Jaillard était simple maître
tailleur. Son père, François Jaillard, marié
à Anne Bressan, habitait place de la Douane, paroisse de
Saint-Paul, où il exerçait la profession de
maître tailleur, profession qui fut aussi celle de son fils,
François-Fleury Jaillard. Atteint de rhumatisme et tenu au lit
une partie de l'année, à moins de 50 ans, il vit la
gêne arriver dans son modeste ménage. Mais sa femme
avait l'âme fortement trempée. Elle travaillait
elle-même aux vêtements d'homme, prenait des ouvriers
pour l'aider et parvenait ainsi à conserver la petite
clientèle de son mari. Il faut croire aussi que cette
excellente famille avait inspiré intérêt à
quelques-uns de ses clients haut placés, qui ne
l'abandonnèrent pas et lui assurèrent du travail. Dans
une situation aussi précaire, ces deux
vénérables aïeux ne se regardaient pas comme
dispensés d'exercer la charité.
L'oeuvre dite des Hospitaliers venait de se fonder à Lyon ; Jaillard
fut l'un des premiers et des plus actifs membres de cette touchante
société, tant qu'il ne fut pas entièrement
cloué sur son lit. Chaque dimanche, il entendait la
première messe à sa paroisse et s'approchait de la
sainte table avec sa vénérable compagne. Quelques
instants après, il se rendait dans les hôpitaux ou les
prisons et donnait aux malades ou aux détenus les soins de
propreté que les hospitaliers continuent encore de nos jours
et qui leur ont valu le nom populaire de Raseurs.
La grand-messe et quelques visites
à de plus malheureux que lui remplissaient sa journée.
Le soir, il se rendait à l'une de ces réunions existant
encore aujourd'hui, où les Hospitaliers rassemblent les
pauvres, attirés par quelques secours, et leur expliquent le
catéchisme. Ces réunions, appelées
colonnes sans que l'origine de ce nom soit
expliquée, ont servi de modèle depuis aux
séances de la Sainte
Famille, actuellement
florissante dans quelques conférences de la
Société de Saint-Vincent-de-Paul. Jaillard assistait
exactement à la colonne de son quartier. Il était un
des membres les plus zélés de cette oeuvre et de ceux
qui réussissaient le mieux dans l'évangélisation
des pauvres. Je tiens de M. J.-B. Genin, président des
Hospitaliers il y a quelques années, que cette oeuvre a
été fondée en 1744 par deux tisseurs de soie et
un ouvrier
tailleur dont le nom est
resté inconnu. Il est fort probable que ce fût le
vénérable arrière-grand-père
Jaillard.
Enfin, la maladie lui interdit toute
action. Pendant de longs mois, il donna l'exemple de la patience la
plus surnaturelle, malgré d'atroces souffrances. Comme la
Fête Dieu approchait, il demanda plusieurs fois à sa
femme à quelle date elle tombait. Cette insistance la frappa
et elle lui en demanda la raison. Il lui répondit avec le plus
grand calme et une expression touchante de bonheur : «Ah ! c'est ce jour-là que je vais
aller voir le Seigneur. »
Le dimanche auparavant, il rassembla ses enfants autour de son lit et
leur fit à chacun des recommandations spéciales
adaptées à leur caractère. Quand il vint
à ses filles Marie et Antoinette, il dit à sa femme :
« Ces deux-là ne te
donneront jamais d'ennui. » Le jeudi suivant, jour de la Fête Dieu,
au moment où la procession sortait de l'église
paroissiale de Saint-Pierre-le-Vieux (détruite depuis), il
alla célébrer cette fête dans les demeures
éternelles. Cette prescience exacte du moment de sa mort a
été toujours considérée par ses enfants
comme une marque évidente de sainteté. D'après
les souvenirs de la famille, cette mort a dû arriver un peu
avant 1789.
Sa digne femme était bien
à sa hauteur. Sur l'appartement bien restreint que sa modeste
famille occupait, elle avait réservé une chambre, dans
laquelle elle donnait asile à de pauvres femmes en couches,
qu'elle soignait elle-même comme si elles eussent
été ses filles. D'autres fois, elle recevait dans cette
chambre des voyageurs indigents ou des vagabonds sans abri. Mais,
unissant la prudence à la charité, elle avait soin de
les fermer à clef. Plusieurs fois, Benoît Labre, se
rendant à Rome et passant par Lyon, usa de cette
hospitalité. Quelques temps après la mort du
bienheureux, un soir d'hiver, un mendiant très
âgé, portant des cheveux et une barbe si longs qu'on
distinguait à peine ses traits, vint lui demander asile. Elle
le réchauffa, lui servit à souper, puis l'enferma dans
la chambre hospitalière. Le lendemain matin, une de ses
filles, envoyée par elle, fut lui ouvrir. Mais il n'y avait
plus personne. Tous ses enfants lui dirent alors : Mère, ne l'avez-vous pas reconnu ?
C'était ce pauvre Labre, que vous avez déjà
reçu bien des fois. Or
à ce moment, la renommée de sa mort à Rome en
odeur de sainteté commençait à se
répandre. Plusieurs des enfants Jaillard, qui ont
été témoins de ce prodige, n'ont cessé de
l'attester à ceux qui nous l'ont eux-mêmes
répété. Le bienheureux Labre avait sans doute
obtenu de Dieu d'honorer encore de sa présence cette sainte
maison. La Révolution venue,
l'arrière-grand-mère Jaillard continua plus que jamais
à se vouer au bien, cachant des prêtres et des suspects
dans ce modeste intérieur, où ils étaient
à l'abri. Nous conservons son portrait, reproduit au crayon et
à l'estompe par Ludovic Jaillard, dont nous reparlerons plus
loin. Le dessin original a disparu. Cette copie nous a
été donnée par la famille Vaugeois.
Albin
MAYET
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La gazette de
l'île Barbe
n° 23 à 29
Hiver 1995
à Eté 1997
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