Joseph Jaillard

(Lyon, 1923- Torrione, 1945)

Souvenirs d'un frère trop tôt disparu

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Une nouvelle petite nièce, née le 22 mai 1991, porte en second nom le prénom de Joseph, en souvenir de notre frère mort en 1945, ce même jour du mois de mai.

Beaucoup n'en ont pas ou peu entendu parler ; Papa et Maman n'en parlaient pas.

Je partageais sa chambre, quai Saint-Vincent, et nous parlions longuement le soir... ou nous nous disputions !

Il m'entraîna chez les Scouts de France, puis au clan routier. Nous avons fait ensemble de très nombreux camps et sorties.

Je me souviens d'expéditions à vélo jusqu'à Annecy (maintenant, au même âge, on va au Kenya, en Equateur ou à Bornéo...). Nous partions à trois, avec un autre Pierre, et nous campions au bord du lac, marchant en montagne ou nous baignant. Joseph nageait très bien. Un jour, il alla chercher un jeune garçon que ses copains avaient jeté dans le lac. Il eut de la peine à le ramener au bord, tellement il se débattait.

Joseph entreprenait toujours quelque chose avec les autres. Durant l'été 1944, il organisa un « camp » à l'école d'agriculture de Cibeins, pour éloigner de Lyon des jeunes en âge de STO. Ils encadraient des plus jeunes en vacances. C'est là que nous connûmes la joie de la Libération.

Joseph s'engagea quelque temps après dans l'armée, et je ne l'ai pas revu.

Le second prénom de cette petite Cécile évoque en moi également le souvenir d'un autre Joseph, son oncle, disparu en mer avec son bateau en avril 1977.

 

Pierre JAILLARD

été 1991.


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J'avais treize ans lorsque mon frère Joseph est décédé. Je me rappelle comme si c'était hier l'annonce de ce décès ; nous revenions, mes soeurs et moi, de la piscine Lyon-plage, un après-midi de juin 1945 ; Maman était assise dans une bergère de sa chambre, près d'une fenêtre garnie d'épais ndeaux jaune-bleu et vert ; sans se lever, elle nous dit avec un visage marqué par le chagrin que Joseph était mort. Il s'était noyé en Méditerranée ; il était sergent engagé au 18° régiment de tirailleurs sénégalais. Plus tard, Maman nous a emmenés nous recueillir sur son cercueil, dans la chapelle de l'hôpital Desgenette, quai Gailleton ; nous avons eu de la peine à reconnaître ce cercueil de bois simple parmi de nombreux autres cercueils identiques, car la guerre venait juste de se terminer.

De neuf ans plus jeune que Joseph, je n'ai pas participé à ses jeux, mais je me souviens parfaitement de ce frère aîné dans ses activités de grand. Scout routier avec totem « Milan des nuits » et devise « au plus dru », il avait des camarades et amis de la même trempe que lui. Je me souviens avoir participé à un « départ routier » clandestin dans les jardins du Rosaire ; dans ce cérémonial, je présentais la couleur jaune des louveteaux...

Joseph travaillait aux Equipes nationales (genre de plan ORSEC) pour échapper au STO. Je me rappelle Joseph chef d'équipe à Jeunesse et Montagne (JM), aux Contamines. JM était l'équivalent en montagne des Chantiers de jeunesse. Bref, j'admirais ce grand frère ! Sans le savoir, un aîné peut influencer son cadet.

Ses activités et engagements l'amenaient plus d'une fois à arriver en retard à la table familiale et, pour échapper aux remarques paternelles, il apportait toujours un bouquet de fleurs à Maman.

 

Michel JAILLARD.

été 1991.


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Moi non plus, je n'ai pas oublié ce 19 juin 1945 où, à Roche-la-Molière, Pierre a dû m'apprendre la mort de Jo ! Il devait, le mois suivant, être le parrain du bébé que nous attendions.

J'ai gardé plusieurs lettres qu'il m'avait envoyées de Jeunesse et Montagne, et ensuite de l'armée ; une des dernières était signée: « ton grand benêt de frère ». Car Jo ne se prenait pas au sérieux.

Son image reste pour moi celle de la jeunesse, avec sa joie de vivre, son enthousiasme, sa générosité, et aussi sa témérité.

Il mettait en pratique sa devise de scout routier -« servir » - en s'occupant des autres ; il savait organiser.

Il avait donné son temps et sa peine sans compter en mai 1944, lors du bombardement du quartier de Vaise qui fit tant de victimes.

Il s'était engagé au 18° RTS pour servir en Indochine dans le corps expéditionnaire.

Il était prêt à tous les combats ; en témoignerait une mitraillette allemande qui doit rouiller quelque part dans le sous-sol minier de Roche-la-Molière.

Contrairement à mes frères, j'ai souvent parlé de Jo avec Maman, qui m'avait toujours un peu considérée comme son « adjointe » - si on peut dire -, et j'ai reçu d'elle en 1945 de très belles lettres, dans lesquelles transparaissait le souci de Papa, trop discret dans sa peine.

Nous somme très touchés que les parents de Cécile aient donné le nom de Joseph à leur fille... comme nous en 1945 à nos jumeaux, dont il aurait dû être le parrain, et nous n'oublions pas le jeune oncle de Cécile.

Marguerite CABANE

 

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