Michel
JAILLARD Notre âme, comme notre corps, est
composée d'éléments qui tous ont
déjà existé dans la lignée des
ancêtres. Le "nouveau" dans l'âme individuelle est une
recombinaison, variée à l'infini, de composantes
extrême-ment anciennes. (...) C'est précisément
la perte de relation avec le passé, la perte de racines qui
crée un tel "malaise dans la civilisation" et une telle
hâte, que nous vivons plus dans l'avenir, avec ses promesses
chimé-riques d'âge d'or, que dans ce présent que
l'arrière-plan d'évolution historique n'a pas encore
atteint. Nous nous précipitons sans entraves dans le nouveau,
poussés par un sentiment croissant de malaise, de
mécon-tentement, d'agitation. Nous ne vivons plus de ce que
nous possédons, mais de promesses ; non plus à la
lumière du jour présent, mais dans l'ombre de l'avenir
où nous attendons le véritable lever du soleil. Nous ne
voulons pas comprendre que le meilleur est toujours compensé
par le plus mauvais. (...) Il est évident que les
réformes orientées vers l'avant, c'est-à-dire
par de nouvelles méthodes ou " gadgets ", entraînent
d'immédiates persua-sions, mais à la longue elles
deviennent douteuses et en tout cas, il faut les payer très
cher. Elles n'augmentent en rien les aises, le contente-ment, le
bonheur dans leur ensemble. Le plus souvent, ce sont des
adou-cissements passagers de l'existence, comme par exemple les
procédés pour économiser le temps, qui
malheureusement ne font qu'en précipiter le rythme, nous
laissant ainsi moins de temps que jamais auparavant. Omnis festinatio ex parte diaboli
est - toute hâte vient du
diable -, se plaisaient à dire les vieux maîtres.
Carl Gustav
JUNG in Ma Vie (Erinnerungen,
Traume, Gedanken), VIII, 1962. In La gazette de l'île Barbe n° 10 Automne
1992
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