Incontestablement, « notre »
n° 32 de la Gazette se réservait un destin exotique ! En
effet, parti le 4 juin, je le glissais dans notre valise sans
même avoir eu le temps d'en ouvrir l'enveloppe, et ce n'est
qu'à Baton-Rouge que j'ai pris connaissance de son contenu.
Lequel nous révèle les curieuses tribulations de la
famille Rambaud en Chine et l'instructif récit du voyage de
Pierre Jaillard en Egypte, alors que la moitié du tour de la
planète nous sépare des premiers cités.
Il est une évidence : chacun a
appris, et se souvient peut-être encore un peu qu'en Louisiane,
une partie des résidants descend
généalogiquement de familles venues du Poitou, de
Normandie, de Picardie et autres contrées de France.
Ici, mon propos sera de tenter,
très modestement et succinctement, de faire découvrir
l'attachement d'une population lointaine à ses racines,
à sa patrie ancestrale et à notre langue. Au pays cajun (altération
d'acadien, puis cadien et enfin cajun), vos oreilles seront surprises
par des sonorités bien de chez nous : Thibodaux, Broussard,
Pointe-aux-Chênes, Terre-Bonne, Lafayette, Hue, Arnauville,
Guidroz, Laffite, Chauvin et tant et tant d'autres que les pages
d'une seule Gazette ne suffiraient à toutes les
répertorier ! C'est ainsi que le village acadien
(reconstitué, l'humidité et les termites ayant eu
raison des habitations en bois édifiées depuis plus de
deux siècles) nous présente les maisons de Leblanc,
d'Aurélie Bernard, de Billeaud, etc., ainsi que la vie rurale
extrêmement rudimentaire de l'époque. Mais c'est dans la chapelle du Nouvel
Espoir que le guide rappelle avec émotion et passion l'immense
tragédie subie par ses ancêtres. De 1755 à 1763,
la plupart des Acadiens résidant au Canada ont
été déportés en Angleterre, dans ses
colonies américaines et en France. Exilés ou fugitifs,
ils ont traversé une longue période d'errances — «
le Grand Dérangement »—à la recherche d'une
nouvelle terre d'accueil, qui fat, pour deux à trois milliers
d'entre eux, via les Antilles, la côte sud, lagunaire,
forestière et marécageuse, de la Louisiane : les
bayous. Aujourd'hui, les descendants de ces
pionniers entendent bien, avec ferveur, acharnement — et courage —,
préserver la culture et les coutumes héritées
des générations antérieures. A Saint-Martinville, au Mémorial
acadien, sous une inscription « Arrête-toi, mon ami, lis
mon nom et souviens-toi de moi », s'allonge une liste de plus de
3.000 personnes identifiées, gravée dans le marbre pour
la postérité. Dans ce monument brûle une «
flamme éternelle » à la mémoire de quelques
autres milliers d'Acadiens déportés, morts en haute mer
sans jamais avoir abordé les rives d'une terre promise.
A Lafayette, au parc Jean-Laffite, le
Centre culturel acadien visionne, en français, un film
relatant l'histoire de nos « cousins », leur expulsion des
provinces maritimes du Nord-Est canadien, leurs
pérégrinations, leur arrivée et leur
implantation en Louisiane. Tout au long de l'année, dans ce
climat semi-tropical, de nombreux festivals aux titres
évocateurs, tels ceux du Boudin, de l'Héritage, de la
Fête nationale (14 juillet), du Marché français,
du Bayou marécageux, du Noël cajun, etc., veillent
à perpétuer leurs traditions, qui sont aussi, pour
certains, celles que nous nous plaisons à retrouver dans nos
campagnes. Non seulement pour garder le contact,
mais surtout pour que nous, Français de la métropole,
nous réapprenions leur existence, des familles cajun nous
ouvrent leur porte pour le dîner, la soirée et le
coucher. Et, dans la demeure de nos hôtes, je me suis
émerveillé devant l'énorme bibliothèque
franco-anglaise couvrant, du sol au plafond, deux grands pans de
murs. Au cours des conversations, nos
nouveaux amis se sont bien situés : contrairement à
l'attitude de séparatisme de certains Québécois
envers le Canada, eux, les Cajuns, sont et veulent rester citoyens
des Etats-Unis. Mais ce qu'ils revendiquent, c'est la reconnaissance
de leur identité spécifique et, très
essentiellement, le droit d'enseigner le français dans leurs
écoles. Le lendemain matin, lors du
regroupement des familles au centre-ville, nous sommes
entourés par nos hôtes cajun brandissant et mêlant
drapeaux acadiens et français. Enfin, après une
très émouvante Marseillaise où dominaient les
voix locales, en un grand cercle et mains unies, nous nous
souhaitions, en chantant... de nous revoir un jour !—Qui sait
? Et si quelqu'un d'entre vous
désire réaliser un beau voyage, qu'il prenne
rendez-vous pour le congrès mondial acadien qui aura lieu du
1er au 15 août 1999 à Lafayette
: Quinze grands jours de
festivités dont je tiens la liste-programme à la
disposition de chacun ! Allez leur rendre visite : la Louisiane
vaut bien le Canada ! Non seulement vous découvrirez
d'inoubliables paysages, de mystérieux bayous, de fabuleuses
maisons coloniales et le carré français de la
Nouvelle-Orléans, mais vous conforterez leur amour pour notre
pays et leur certitude de ne pas être oubliés. — Ils en
ont tant besoin ! Julien
JAILLARD in
La gazette de
l'île Barbe
n° 33 Eté
1998