Jean Anglade, écrivain
clermontois, vient de faire paraître une étude sur les
Montgolfier, aux éditions Perrin. Le bouquin, de 400 pages,
est extrêmement documenté sur l'ensemble de la famille
Montgolfier depuis son origine. Il se lit comme un roman, car Jean
Anglade est plein d'humour. Pour ceux qui hésiteraient
à se le procurer, j'ai établi un condensé (et
même un hyper-condensé [publié ici par épisodes — NDLR]
de ce livre où notre
ancêtre Augustin a sa place, bien qu'il ne soit pas l'inventeur
de la montgolfière. Gérald
FAUCHER. Le premier Montgolfier connu, Jean, se
croisa en 1140 et il fut capturé par les Turcs. Il besogna
trois ans à Damas dans un moulin à papier, puis
réussit à s'enfuir avec deux compagnons. A Sidon, ils
rejoignirent d'autres croisés recrus d'aventures, et
regagnèrent les rives franques sur un bateau génois ;
ils emportaient dans leurs bagages quelques échantillons de la
charta damascena, et dans leurs têtes les secrets de sa
fabrication. A La Forie, près d'Ambert, ils
achetèrent un vieux moulin à farine, et le convertirent
en moulin à papier. Jean Montgolfier fit souche dans ce pays,
et sa famille et ses descendants donnèrent leur nom à
deux hameaux voisins : Cros-Montgolfier et Montgolfier tout
court. Plusieurs Montgolfier ont adopté
la religion réformée ; mais, las des horreurs de la
guerre, l'un d'eux décida de quitter l'Auvergne pour des lieux
plus tranquilles. Il se réfugia en Beaujolais, se mit sous la
protection du sire de Beaujeu, et construisit un moulin au bord du
ruisseau de Saint-Didier, sur la route de Chauffailles. D'autres Montgolfier
s'implantèrent dans le voisinage. En 1693, deux frères de
Saint-Didier, Michel et Raymond Montgolfier, quittent le Beaujolais,
s'installent à Vidalon, et y font souche. « L'an 1693, le sixième
de janvier, a été passé contrat de mariage de
Raymond Montgolfier et de Marguerite Chelles, et le mariage a
été consommé le 14 du même mois, pour une
légitime génération. » Marguerite donna dix-neuf enfants à
Raymond ! Avant de mourir, Raymond fit construire
un second moulin en aval du premier et partagea ses biens entre ses
deux fils aînés, Pierre et Antoine ; ainsi fut
distingué Vidalon-le-Haut, aux mains du premier, et
Vidalon-le-Bas, confié au second. Les deux fabriques
totalisèrent une centaine de paires de bras. Il épousa Anne Duret (+
1760), et ils eurent seize enfants. Deux de ces seize furent Joseph
(1740-1810) et Etienne (1745-1799), les inventeurs de la machine
volante. Un troisième, Augustin, est notre ancêtre. Ces
trois font l'objet d'un chapitre particulier, qui suivra. Le fils aîné, Raymond,
souffrait d'une étrange maladie qui s'en prenait à son
corps autant qu'à son esprit, et était incapable de
mener à bien les affaires. D'ailleurs, il mourut à
quarante ans. Mais Marc Seguin, petit-fils de Raymond, aura
été un aussi brillant inventeur que ses oncles :
premier concepteur des ponts suspendus et inventeur de la
chaudière à vapeur tubulaire. Un autre fils de
Barbe-Rousse, Pierre-Félix, souffrait de déraison.
Jean-Pierre, lui, était bossu. En 1783, Pierre Montgolfier
reçut du roi ses titres de noblesse : « ...nous anoblissons ledit
seigneur, et du titre de noble et d'écuyer l'avons
décoré, et décorons ensemble ses enfants,
postérités et descendants mâles et femelles,
nés et à naître en légitime mariage.
» En 1785, les fabriques prirent rang de
manufactures royales. En juillet 1790, les passions
s'enflammèrent soudainement quand on apprit le vote par
l'Assemblée de la constitution civile du clergé, qui
séparait l'église française de l'autorité
du pape et faisait de nos prêtres des fonctionnaires
élus. De nombreux évêques
repoussèrent cette constitution et abandonnèrent leur
siège. Ce fut le cas de monseigneur d'Aviau du Bois de Sauzay,
évêque de Vienne, qui choisit la clandestinité.
Barbe-Rousse l'accueillit et le cacha quelque temps dans sa ferme du
Grattet. Après monseigneur d'Aviau, il reçut et cacha
plusieurs autres religieux persécutés. Il ne voulait recevoir les sacrements
que d'un prêtre inconstitutionnel. Pour ce faire, le cordelier
André Clozel montait chaque dimanche dire la messe dans la
petite chapelle, quasi souterraine, de Vidalon. Le chanoine Alexandre-Charles, fils de
Pierre, n'a pu s'empêcher non plus de cacher des prêtres
anticonstitutionnels. Au début de 1794, des gendarmes vinrent
les arrêter, mais, ne les trouvant pas, ils emmenèrent
le vieux réfractaire. Il fut emprisonné d'abord
à Beaujeu, puis à Lyon, où il attrapa le mal de
la mort. Libéré au début de juillet, il regagna
Vidalon, et s'éteignit le 19, entouré de tous les
siens. En 1796, trois ans après la mort
de Barbe-Rousse, obligés qu'ils étaient par des ennuis
financiers entraînés par les dépenses
engagées dans les ballons aérostatiques, les
Montgolfier s'associèrent aux Canson de la Lombardière
pour le développement de leurs entreprises. Très rapidement, c'est le gendre
d'Etienne, Barthélémy Canson, qui prit les rênes.
Le 27 juillet 1803, Barthélémy Canson devint le seul
maître des moulins papetiers en versant 80.000 francs aux
autres copropriétaires. Joseph était destiné
à la cléricature et, en conséquence,
enfermé au collège de Toumon, chez les Jésuites.
Mais très vite, Barbe-Rousse fut convaincu que Joseph
n'était fait ni pour le latin, ni pour la théologie.
À 15 ans, Joseph partit pour la
capitale. Il se passionna pour les ouvrages de Buffon et pour un
fluide nouveau, puissant et invisible, nommé « electricitas », étudié par un Américain
d'Amérique : Benjamin Franklin. Il fit la connaissance du
naturaliste Daubenton, du mathématicien d'Alembert, de
Diderot, l'homme à tout faire de l'Encyclopédie, de
l'économiste Bonnot de Mably et de son demi-frère,
l'abbé de Condillac, du mécanicien Jacques Vaucanson,
constructeur de merveilleux automates... Joseph épousa, le 17 juillet
1771, sa cousine Thérèse dans la chapelle privée
de Vidalon. Il souffrait d'une permanente
étourderie. Un jour, se rendant avec son épouse de
Rives à Lyon en berline, il fit étape à Vienne.
Marcheur infatiguable, le lendemain matin, il atteignit Lyon vers
midi, et s'aperçut alors qu'il avait oublié
Thérèse à l'auberge à Vienne. En 1780, à 40 ans,
déjà cinq fois père de famille (deux vivants
seulement), il s'inscrivit à la faculté de droit civil
et de droit canonique d'Avignon, et, en dix mois, obtint une
licence. En 1772, les deux frères —
Joseph et Etienne — avaient construit à Vidalon un ballon
aérostatique de papier et de chiffons qui mérite
d'être appelé la première montgolfière.
« Le globe parcourut une
demi-lieue en longueur et mille toises en hauteur perpendiculaire.
» Les expériences et
démonstrations continuèrent. Le 4 juin 1783 à
Annonay, les deux frères présentèrent une
machine qui s'éleva à plus de l.800 toises. De
l'Académie des sciences leur vint un engagement à
persévérer, signé du marquis de Condorcet. Le 15
septembre 1783 à Versailles, devant le roi, la reine,
Monsieur, Madame... et 130.000 personnes, le Réveillon, ayant à son bord un mouton, un canard
et un coq, s'éleva à 1.800 toises. Le 15 octobre 1783,
premier vol humain, non libre, avec Pilâtre de Rozier. Le 21
octobre 1783, premier vol humain libre, avec Pilâtre de Rozier
et le marquis d'Arlandes. Louis XVI fit frapper une
médaille d'or en l'honneur des Montgolfier. Le 21 janvier
1800, Joseph fut nommé administrateur du Conservatoire des
arts et métiers, créé six ans plus tôt
à l'initiative de l'abbé Grégoire. Le 18
décembre 1803, Joseph reçut la croix de chevalier de la
Légion d'honneur. Le 26 juin 1817, il mourut à
Balaruc, où il était allé prendre les eaux avec
sa femme. En 1856, sa dépouille fut transférée
dans sa ville natale. Joseph était un inventeur de
génie qui ne faisait malheureusement pas protéger ses
inventions par un brevet. Le ballon aérostatique, dont il
fut le seul et véritable créateur, aurait, dit la
petite histoire, été pensé lorsque Joseph vit
qu'une culotte mise à sécher dans la cheminée
par son épouse se gonflait et avait tendance à
s'élever. Il eut l'idée du verre de lampe
à pétrole, qui devint la lampe à cheminée
de verre, qui améliorait l'éclairement, mais surtout
évitait l'enfumage. Il vendit cette idée 600 livres au
Genevois Argand. Celui-ci, après en avoir déposé
le brevet, le faisait fabriquer en Angleterre et le débitait
sous le nom de « bec d'Argand ». Puis il en vendit à
son tour les droits au pharmacien Quinquet, qui le perfectionna en
ajoutant un second courant d'air, les distribua à travers tout
le royaume et y gagna beaucoup d'argent. Après bien des
tâtonnements, Joseph mit au point le bélier hydraulique,
dont il construisit un prototype expérimental dans sa fabrique
de Voiron. Cet appareil, encore utilisé de nos jours, consiste
à domestiquer le « coup de bélier » qui se
produit dans une conduite d'eau lorsqu'un robinet, brusquement, se
referme. Puis, ensuite, il mit au point la pompe
hydraulique. Il proposa au Directoire de remplacer la vieille pompe
de Marly qui, depuis un siècle, aspirait l'eau de la Seine et
abreuvait Versailles avec un rendement déplorable. Mais le
Directoire avait d'autres chats à fouetter. Le 2 octobre 1796 fut
expérimenté avec succès, au-dessus du parc
Monceau, par un nommé Gamerin, le premier parachute humain,
mis au point par Joseph. Il pensa le séchage par le vide,
au moyen de la pompe de Denis Papin, des moules frais utilisés
en imprimerie, et permit ainsi un gain de temps très
conséquent. Il inventa le papier utilisé
pour filtrer le café, longtemps dénommé «
papier Joseph ». En 1806, il construisit des
métiers à lacets destinés à des enfants
recueillis dans une maison de charité. Le plus jeune des fils de Barbe-Rousse
fut envoyé à Paris pour faire ses études ; au
bout de cinq ans, riche d'enseignement et de pratique, il souhaita
architecturer. Il entra au service d'un architecte
élève de Soufflot et s'occupa, durant quatre ans, de la
reconstruction de l'abbaye de Faremoutiers, en Brie. Mais en 1772, son fils
aîné Raymond étant mort, Barbe-Rousse rappela
Etienne pour qu'il prenne la suite de son frère. Non sans
regrets, Etienne quitta son métier et vint exploiter les
moulins dauphinois en commun avec ses frères Joseph, Augustin
et Jean-Pierre, le bossu. Et c'est l'aventure des ballons
aérostatiques. Le 8 mars 1774, il épousa
Justine Bron, ursuline relevée de ses vœux pro abnuitione (pour motif de non-consentement). Etienne voyageait beaucoup : il
était le commercial de l'affaire familiale. Le 23 juillet
1789, il était à Paris et assista devant l'hôtel
de ville à l'arrestation par la foule de l'intendant des
finances Foullon de Doué, qu'elle rendait responsable de la
famine. Il assista à la pendaison de l'intendant à une
de ces lanternes qui éclairaient les rues. Ecœuré par
ce spectacle, Etienne rentra chez son oncle et y resta huit jours
claquemuré. Le 2 février 1790, il fut
élu maire de Vidalon. Le 31 juillet 1799, Etienne mourut dans
une auberge à deux heures de Vidalon, de retour d'un voyage
d'affaires. D'un an plus jeune que Joseph, Augustin
a mené une vie aventureuse. A 16 ans, 10 livres en poche, il
descendit à Paris, trouva logement chez Oncle Jacques et Tante
Hélène. Il gagna son pain comme écrivain
public, tenant boutique près des Halles. Sa principale
clientèle : des soubrettes amoureuses et des servantes ayant
l'habitude de faire danser l'anse du panier. Il entra ensuite au service d'un
bourgeois comme secrétaire ; il y resta trois ans, au bout
desquels il reçut un pécule de 600 livres avec quoi il
acheta un lot de couteaux, de ciseaux, de rasoirs, de chapelets, de
médailles pieuses, et s'en fut vendre cette pacotille aux
habitants de l'Inde. Après quelques temps de
commerce, Augustin regagna la France les poches pleines de diamants ;
il dépensa tout cela à Bordeaux puis partit pour
Saint-Domingue pour refaire fortune. Il n'y réussit
qu'à moitié, essaya d'autres îles et y gagna la
fièvre quarte et la dysenterie. Las de tant d'expériences, il
décida enfin de revenir aux papiers
héréditaires. Il épousa Françoise
Boissieu, jeune fille d'une grande beauté mais d'une
santé fragile, qui mourut peu après. En secondes noces,
âge de 33 ans, il s'unit à Marie-Rosé Martel,
d'une honorable famille lyonnaise. En 1785, Augustin fut frappé de
veuvage pour la seconde fois, avec huit enfants à charge. Il
se défit de sa fabrique trop grande de Rives-sur-Fière,
et acheta aux Ardillats, près de Beaujeu, une papeterie plus
modeste. Courageusement, il commença à l'agrandir et
à la rénover. Mais un jour, « inexplicablement, le feu prit au moulin,
alors qu'il n'y en avait point dans les cuisines. »
Ayant usé ses forces dans ses
travaux de bagnard, Augustin mourut d'un chaud et froid le 29
septembre 1788, laissant huit orphelins âges de 3 à 12
ans. Gérald
FAUCHER.