Les frères de Montgolfier

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Etienne de Montgolfier (1745-1799), inventeur et éponyme de la montgolfière avec son frère Joseph (1740-181O), est mort le 1er août 1799, et l'État a fait du bicentenaire de cette mort une célébration nationale. Étienne et Joseph de Montgolfier étaient frères d'Augustin de Montgolfier (1741-1788), dont une petite-fille était la grand-mère paternelle de Constance Jaillard-Goybet, mère d'Henri Jaillard, Magdeleine Lepercq et Lison (Louise) de Raucourt.

 

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Étienne-Jacques de Montgolfier

Vidalon-lès-Annonay (Ardèche), 6 janvier 1745

Serrières (Ardèche), 1er août 1799

 

Né à Vidalon-lès-Annonay (Vivarais) le 6 janvier 1745, Étienne­Jacques de Montgolfier excelle en mathématiques et étudie l'architecture avec Jacques-Germain Soufflot. Il prend en 1772 la direction de la papeterie familiale d'Annonay, où il s'attache à perfectionner les procédés de fabrication du papier. Homme d'affaires avisé, il en devient le propriétaire en 1787. Avec son frère aîné Michel-Joseph, il invente en novembre 1782 le ballon à air chaud. Le 5 juin 1783, ils lancent un aérostat d'une douzaine de mètres de diamètre, qui s'élève jusqu'à 2 000 mètres au-dessus d'Annonay. Etienne-Jacques vient à Paris rendre compte de leurs expériences à l'Académie royale des Sciences, qui les nomme correspondants le 20 août. Il fait construire par le fabricant parisien de papiers peints Réveillon un ballon qui est lancé le 19 septembre à Versailles, devant Louis XVI ; le roi donne à Étienne-Jacques le cordon de Saint-Michel ainsi que des lettres de noblesse pour son père. Montgolfier sera membre de l'Académie des Sciences en 1796.

Premier vol libre habité,

la Muette, Paris, 21 novembre 1783.

 

Jean- Claude FALQUE,

chef de service éditorial à l'Encyclopaedia Universalis,

in « la Science au présent, 1999 »,

édition de l'Encyclopaedia Universalis.

 

 

 

Un phalanstère patriarcal

 

L'historien de la famille qui utilise le mot fouriériste de « phalanstère » ne plaisante qu'à demi. Dans des familles de cette taille, seuls quelques-uns des enfants pouvaient gagner leur vie en dirigeant l'affaire. Les filles célibataires étaient priées d'entrer dans les ordres, et les fils cadets de créer des commerces de leur côté ou de devenir prêtres. Parmi les jeunes frères de Pierre, Augustin devint chartreux sous le nom de dom Thomas dans l'entourage de l'archevêque de Toulouse ; Étienne se fit prêtre sulpicien à Montréal. C'était un homme doux et bon, qui osa même dire du bien du gouvernement britannique après 1763 ; quant à Jacques, il devint financier à Paris, marié, sans enfant, offrant son aide et son réconfort à plus d'un neveu passant par la capitale.

Tout le monde ne parvenait pas à se faire ainsi une place dans un cloître ou dans le monde. Les chefs de famille successifs sur les trois générations du XVIIIème siècle - Raymond, son fils Pierre, et enfin Étienne - alliaient chacun une austère éthique du travail et des devoirs personnels à un sens élevé des responsabilités envers leurs parents moins vertueux ou moins chanceux. Aucun membre de la famille n'était jamais renvoyé de Vidalon. L'oncle Michel, artiste et bon à rien, qui se maria encore deux fois ; les beaux-frères Chelles, désoeuvrés, avec leurs femmes et leurs enfants ; les nonnes découragées, les chanoines sans cure ; les cousins déprimés - il y avait place pour chacun, quelle que fût la désinvolture avec laquelle certains avaient dévoré leur part de la substance qui leur avait tous servi à débuter dans la vie. Une soeur aînée de Joseph et d'Étienne, Marianne, née en 1738, se souvenait de toute cette parenté qui, avec ses propres frères et soeurs, faisait quarante ou cinquante personnes dans la maison.

En termes de métier, un surveillant de papeterie était un « gouverneur ». Pierre répondait à cette appellation plus encore que son père, qui avait monté l'affaire pour que son fils prenne la relève. Pierre entra en possession de l'héritage à quarante-trois ans (Anne était déjà quatorze fois mère) et au cours des cinquante années restantes s'éleva jusqu'au statut de patriarche. Nul, dans la troisième génération, n'aurait imaginé qu'il avait pu être jeune et incertain de ses choix au point de songer à devenir prêtre. Dans son comportement il alliait l'autoritarisme catholique à un puritanisme qui remontait peut-être bien à l'époque où les Montgolfier appartenaient à l'Église réformée.

En toutes saisons, Pierre se levait chaque matin à quatre heures, se lavait le visage et les mains dehors dans le bief d'amont du moulin. Pendant la journée, il avait l'oeil à tout : l'approvisionnement, le tri et la fermentation des chiffons ; leur macération et la préparation de la pâte; le trempage, le couchage, le pressage, le séchage, le classement et la finition des feuilles ; la vente et rexpédition du produit ; le coût de chaque opération ; le prix de chaque catégorie ; l'intendance et la cuisine qui nourrissaient les ouvriers et la famille ; la conduite, le talent, et le rendement de chaque travailleur, de la ramasseuse de chiffons la plus débutante au contremaître chargé des cuves, du moulin à brocarts et de la presse. Rien n'échappait à son attention impitoyable. Il entendait même le catéchisme des enfants de l'usine. Donner une instruction religieuse étant le premier devoir des parents, tous les pères et mères étaient censés emmener leurs enfants devant le maître le dimanche matin. Si les jeunes apprentis ne se présentaient pas d'eux-mêmes, on s'en remettait à la surveillanoe familiale.

On dînait chaque jour à midi. Le soir, Pierre allait se coucher après souper à sept heures précises. Après quoi, il ne devait pas être dérangé, quoi qu'il se produisît dans l'établissement. Tant qu'il était dans le salon, aucune conversation frivole n'était admise, moins encore tout ce qui frôlait le scepticisme ou la légèreté en matière de religion ou de monarchie. Après son départ, la famille se détendait, et passait souvent d'agréables soirées, avec parfois de la musique ou de la danse. Un arrière petit-fils, Marc Seguin, qui avait sept ans à la mort de son formidable ancêtre, se souvenait toujours de la façon dont « le regard qui s'échappait de son petit oeil gris, vif et ardent, inspirait à tout son entourage une crainte qu'il n'était au pouvoir d'aucun de surmonter. » Quand il atteignit les soixante-dix ans, Pierre délégua la direction effective de l'usine à Étienne, mais n'en conserva pas moins ses facultés et sa vigueur jusqu'à la fin, en 1793. À l'âge de quatre-vingt-neuf ans, il fut parrain d'un autre arrière petit-fils. Un membre de la congrégation fut impressionné de voir le vieil homme, parfaitement droit et sans aide, descendre avec le bébé dans ses bras les marches malaisées conduisant de la porte de l'église aux fonts baptismaux.

Les caractéristiques de la vie à Vidalon survivent, sous une forme atténuée, dans la famille Montgolfier à une époque plus récente. Hormis quelques amitiés généralement formées à l'école, les rapports entre les membres de la famille semblent avoir comblé leur besoin, ou leur désir, d'intimité ou de relations sociales. Ils ne nourrissaient aucune illusion quant aux qualités des uns et des autres, respectaient l'individualité de chacun, et ne cherchaient à leurrer ni eux-mêmes, ni les autres sur leur personnalité. Prenant chacun tel qu'il était, ils évitaient en fait le rigorisme du tempérament idéaliste ou romantique qui exige plus des gens qu'il n'est raisonnable ou réaliste d'en attendre. Le talent, le hasard, et le jugement des aînés (plutôt qu'un simple droit d'aînesse) donnaient plus de poids et d'influenoe à certains qu'à d'autres, mais la place légitime que chacun occupait dans le cercle de famille n'était nullement fonction de la réussite sociale. Les rangs ne firent rompus qu'une fois, au XVIIIème siècle, à cause de la déloyauté d'un petit-fils par alliance, Colonjon, dont il sera question plus tard.

Ce qui ne survécut pas à l'Ancien Régime fut l'autorité écrasante d'un pater familias comme Pierre Montgolfier. Nul doute que l'évolution culturelle et économique aurait porté atteinte à cette domination, même sans les limitations politiques imposées pendant la Révolution. Le processus avait d'ailleurs déjà commencé. Les graines en furent plantées dans les dispositions que lui-même et bien des pères de sa génération prirent pour la scolarité de leurs garçons. Pierre, en homme du XVIIIème siècle, envoya ses fils hors de chez eux pour recevoir une éducation soignée. L'expérience du monde, des sciences, des lettres - en un mot des lumières - estompa le modèle selon lequel il avait lui-même été façonné, son père Raymond l'ayant élevé et formé aux affaires à l'usine même. Comme on le verra, les enfants restèrent néanmoins étroitement unis, exerçant la responsabilité familiale de façon collégiale, en quelque sorte. Et certes, les frères et soeurs utilisaient la vieille expression « en petit comité » pour désigner le noyau qu'ils formaient pour soutenir Étienne et Joseph, lesquels consacraient toute leur attention et leur énergie à exploiter et accroître le succès des « montgolfières » qui donnèrent leur nom aux premiers aéronefs.

 

Les inventeurs

Dans le noyau familial, Joseph et Étienne étaient de caractères diamétralement opposés. Ils avaient en commun le don de la mécanique et des sciences, mais c'était à peu près tout. Joseph était un rêveur non conformiste, le type même de l'inventeur, débordant d'imagination avec les objets et les procédés, mais dépourvu de sens pratique dans le commerce et les affaires. Large d'épaules, puissamment musclé, sa tenue vestimentaire et son apparenoe lui étaient indifférentes et les autres gens l'intimidaient. Il se dégageait de lui une sorte de bienveillanoe diffuse, même s'il ne prêtait guère attention aux autres individuellement. Biot, à l'époque napoléonienne, le surnomma « le La Fontaine de la physique » quand Joseph était devenu un personnage vénérable. Son étourderie était extraordinaire, même pour un créateur. Un jour, il quitta une auberge sans son cheval et une autre fois sans sa femme. (...)

Étienne, au contraire, avait de solides connaissances en mathématiques, mécanique et bien d'autres choses, sans oublier une forte discipline personnelle. Moins romantique que Joseph, peut-être était-il plus passionné, bien qu'il contînt cette passion. Car force est de reconnaître qu'il se mettait parfois en colère, non de manière froide et calculée, mais seulement quand il ne contrôlait plus sa fureur ou son mépris. Il pouvait alors paraître un peu mesquin. Mais le feu couvait sous la cendre. Cela explique peut-être pourquoi, hormis quelques rares intimes, on estimait Étienne pour son sérieux et ses aptitudes, alors que Joseph inspirait généralement l'affection en dépit de sa relative indifférence envers les besoins individuels des autres. Joseph reste reconnaissable sur tous ses portraits, paraissant simplement plus jeune ou plus âgé, plus ou moins lointain. Etienne a l'air différent d'un portrait à l'autre. Un des plus extraordinaires nous montre une silhouette d'elfe presque sans cheveux, qui pourrait être celle d'Ariel ou de quelque « enfant de sagesse » issu de l'imagination de William Blake. Sur tous les autres portraits, il est l'image même de la respectabilité, quelle que soit l'expression choisie pour masquer ses sentiments. (...)

En 1760, Pierre décida de trouver une occupation à la maison pour Joseph et son jeune frère, Augustin. A quatorze ans, Augustin avait à son tour filé à Paris chez son oncle Jacques. Il vivota comme écrivain public pour les marchands analphabètes des Halles. Puis il s'aventura jusqu'en Inde, où il acquit, puis perdit une fortune, et toujours à moins de vingt ans repartit tenter sa chance à Saint-Domingue. L'idée de Pierre était d'établir Augustin, dix-neuf ans, et Joseph, vingt ans, assagis par leur soeur aînée Marianne, à l'usine jumelle de Vidalon-le-Bas, où leur oncle Antoine, le jeune frère de Pierre, venait de faire faillite.

L'indépendance si près de la maison s'avéra irréalisable, et l'usine d'en bas fut bientôt rendue à la branche cadette. Augustin retourna aux Antilles, tandis que Joseph faisait quelque temps connaissance avec la vie de Paris, fréquentant le café Procope. A leur retour, les deux frères décidèrent de reprendre le seul métier qu'ils connaissaient vraiment. Il y avait des papeteries dans le Dauphiné ; Joseph et Augustin prirent un bail pour deux usines, l'une qui fut gérée par Augustin à Rives, l'autre, tout près, par Joseph à Voiron. Joseph était négligent et Augustin tyrannique avec les ouvriers. Aucune des jeux aventures ne connut de réussite commerciale, même si Rives, auquel le gouvernement s'intéressa, devint une usine pilote de la province sur le plan technologique. On sait peu de choses sur l'affaire de Joseph, sauf que Voiron ne poussait la fabrication du papier que jusqu'à la formation des feuilles. Joseph les envoyait à Vidalon pour être classées et vendues. Il vendait une partie du produit non fini. Dans la famille Montgolfier, le papier hygiénique est encore appelé « papier de Joseph ». On ignore les détails de sa vie, si ce n'est qu'elle fut errante. Il surgissait tantôt à Montpellier, tantôt à Avignon, tantôt à Lyon, et régulièrement à Annonay, surtout après son mariage en 1771.

 

Charles Couiston GILLISPIE

les Frères Montgolfier et l'invention de l'aéronautique, I.


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Maurice-Augustin Montgolfier,

papetier en Dauphiné

 

Le 24 septembre 1741 naît à Vidalon, commune de Davezieux, en Vivarais, Augustin-Maurice Montgolfier, treizième enfant de Pierre et d'Anne Duret. Sa grand-tante Mariane Montgolfier est sa marraine, Raymond, son frère, son parrain. Après de courtes études littéraires et l'initiation à la fabrication du papier dans les moulins paternels, un esprit d'indépendanoe le conduit à Paris où, pour gagner sa vie, il se fait écrivain public. Bientôt, il tente une aventure plus lointaine : il se fait prêter une somme d'argent pour acheter de la pacotille et le voilà commerçant à Chandernagor et Pondichéry, puis éleveur de bétail en Afrique du Sud. Après un court retour en Franoe, il décide de repartir outre-mer : il dirige une plantation de café à Saint-Domingue. Revenu à nouveau en France, il s'occupe du moulin à papier de Vidalon-le-Bas, acheté par son père en 1760. Mais il repart, cette fois à l'île de France, où il avait déjà envoyé un de ses frères, mais décidément la fortune n'est pas au rendez-vous et, sa santé affaiblie, il rentre définitivement en France.

«Il était de caractère léger, plein de gentillesse avec ses frères et sa délicieuse figure plaisait aux femmes... »

 

Des papetier: vivarois en Dauphiné

 

C'est alors que Maurice-Augustin prend en charge un moulin à Rives-sur-Fure près de Grenoble. Un acte de Maître Martel en date du 19 juin 1766 confirme que « Joseph Marchand donne à ferme un moulin à papier à Rives à Maurice-Augustin Montgolfier pour neuf ans qui commencent à la fête de SaintJean-Baptiste prochain, suivant le prix de 300 livres payables annuellement en deux parts égales à la Toussaint et à Pâques, payera aussi ledit Montgolfler quatre rames de papier, savoir deux à la cloche, deux au chassis, ledit papier de bonne qualité payable annuellement à la Toussaint de chaque année. »

Maurice-Augustin et son frère Joseph, aidés de leur autre frère Jean-Pierre, s'occupe de rénover et d'agrandir cette fabrique. Un acte du 4 juin 1769, toujours chez Maître Martel, dit que « Jean-Pierre Montgolfier, agissant tant pour lui que pour ses frères, marchands associés, passe une convention avec un tailleur de pierre pour une commande de 12 creux de piles en pierre du Fontanil polie comme du marbre et qu'il devra mettre en place dans la fabrique que les frères Montgolfier ont acquise à Voiron. » C'est Joseph qui s'occupe plus particulièrement de cette papeterie de Voiron, sur les bords de la Morge, à Paviot.

Avec leur technique, les frères Montgolfier ont fait venir également des ouvriers originaires de l'Ardèche : on voit Jean-Pierre signer comme témoin aux mariages d'ouvriers papetiers, l'un originaire de Davezieux, l'autre de Tence.

Augustin de Montgolfier, in Léon Rostaing,

la Famille de Montgolfier

Les contrats d'apprentissage nous montrent aussi souvent l'origine ardéchoise des ouvriers. Voici un exemple de contrat : « Par-devant le notaire de Rives soussigné, le 29 avril 1770, furent présents Barthélemy Chirocet, natif d'Annonay en Vivarais, fils à Pierre, menuisier en la ville d'Annonay, lequel pour continuer d'apprendre le métier de papetier qu'il avait commencé dans la maison du père du ci-après nommé qui l'a envoyé à son fils pour lui continuer la même bienveillance et pour pourvoir à la maîtrise, reconnaît cette mise en apprentissage pour une durée de quatre ans à commencer de ce jour au service des sieurs Jean-Pierre, Joseph et Maurice-Augustin Montgolfier, frères associés fabricants de papier résidant à Rives... Aux frères Montgolfier de le loger nourrir, coucher, enseigner et traiter humainement, ledit apprenti a promis de sa part d'apprendre de son mieux ; d'obéir à son maître en tout ce qu'il lui commandera de licite et honnête, de l'avertir s'il va travailler ailleurs... Les frères Montgolfier se chargent de payer audit apprenti les gages de la place d'ouvrier papetier qu'il occupera suivant les tarifs affichés dans la fabrique... »

 

Une famille à Rives-sur-Fure

 

En 1771, Maurice-Augustin épouse Françoise Boissieu, originaire du Pont-de-Beauvoisin, qui, de santé fragile, meurt un an plus tard, et, en 1774, à 33 ans, il convole en secondes noces avec Rose Martel, 30 ans, originaire de Lyon. Ensemble, ils ont neuf enfants tous nés à Rives. Les registres paroissiaux nous énumèrent les naissances de Pierrette-Rose (Fanny) en 1775, Michel le 29 mai 1777, Marie-Pierrette dite Méranie en 1780, Rose en 1781, Rosalie en 1782, Auguste-Maurice-Alexandre-Cucuphat en 1783, Élie, né le 24 juillet 1784, ondoyé le 25 et baptisé le 24 août 1784, et enfin les jumelles Pauline et Jeanne-Adélaïde en 1785.

 

Les difficultés d'une entreprise

 

Les papiers des Montgolfier sont très appréciés pour leurs qualités et leur blancheur : papiers fins, surfins et vélins. Ils sont vendus un peu partout, à la foire de Beaucaire, en Suisse, en Savoie, aux îles d'Amérique, mais subissent des droits de douane et des taxes foraines pour le transport en bateau de plus en plus lourds, ce dont Maurice-Augustin se plaint à plusieurs reprises à l'intendant du Dauphiné.

Mais ce sont surtout les exigences ouvrières qui rendent le travail difficile. Les ouvriers papetiers ont un travail long, pénible et peu payé même s'ils sont nourris et logés ; l'agitation ouvrière devient générale et chronique. Dès 1772, les Montgolfier demandent sans succès l'aide de l'intendant. En 1777, l'inspecteur Dubu se plaint de la turbulence des ouvriers papetiers qui « sont paresseux et buveurs, forment des coalitions, mettent en interdit les patrons qui leur deplaisent, imposent des amendes à leurs maîtres et à leurs propres collègues et exigent des chefs d'entreprises des mets de grand luxe aux grandes fêtes : coq d'Inde au 1er janvier, oreilles de cochons le mardi gras, jambon le jeudi gras, carpe le vendredi saint... »

Le conseil publie un arrêt le 26 janvier 1778 pour rétablir l'ordre ; les ouvriers répondent par des grèves, des injures, des voies de fait. Maurice-Augustin adresse le 16 mars 1781 une supplique à l'intendant de la provinoe du Dauphiné : « alors qu'il était à Genève pour ses affaires, son épouse étant à souper à la fabrique avec des invités des deux sexes et son beau-frère Joseph, deux ouvriers les insultent et, le lendemain, reviennent, exigeant 400 livres d'amende. » A son retour, Maurice-Augustin trouve tous ses artifices arrêtés. Trois ouvriers sont arrêtés mais l'agitation persiste, l'usine de Voiron est incendiée. Maurice-Augustin est ferme, il supprime « l'association » dans ses ateliers, il forme de petits ateliers pour favoriser l'intéressement. C'est en 1781 que l'agitation est à son comble. La modernisation des ateliers avec la mise en place des cylindres hollandais inquiète les ouvriers, les papiers de Maurice-Augustin sont tellement blancs qu'il est suspecté de supercherie...

 

De nouvelles papeteries et un ballon

 

En 1780, M,aurice-Augustin achète et remet en état une papeterie à Leysse près de Chambéry ; l'Etat sarde n'est pas plus accommodant, voyant d'un mauvais oeil l'arrivée d'ouvriers étrangers qui étaient exempts de corvée ; on accuse Maurice-Augustin d'exporter les chiffons pour les transformer en Dauphiné. Il confie la fabrique de Leysse à son filleul Augustin Aussedat.

Dans la région, Maurice-Augustin et Joseph exploitent aussi des moulins à Chabeuil et à La Tivollière.

En 1784, Maurice-Augustin aide son frère Joseph à préparer l'ascension du ballon le Flesselles, qui s'envole de Lyon.

 

Veuvage et retour en Beaujolais

 

Mil sept cent quatre-vingt-cinq, extrait des registres paroissiaux de Rives :

« Le 16 octobre 1785, j'ai baptisé Jeane Adélaïde, née d'avant-hier, et Marie Pauline, née de ce jour,filles jumelles à noble Augustin de Montgolfier et à dame Rose Martel, mariés habitant cette paroisse ; le parrain de ladite Jeane Adélaïde a été Jean Pierre Deglesne, négociant d'Annonay, marraine dame Adélaïde Bron, épouse de noble Étienne de Montgolfier, aussi habitante d'Annonay. Le parrain de ladite Pauline a été messire Jacques Raymond Blachère, avocat à la cour, la marraine demoiselle Marie Élisabeth Martel, tous deux habitants de cette paroisse. »

« Le premier novembre 1785 fut inhumée dame Rose Martel, épouse de noble Augustin de Montgolfier, décédée le 30 du mois d'octobre, âgée d'environ 40 ans, après avoir reçu les sacrements de l'Eglise... »

Des jumelles, seule Marie-Pauline survit.

Maurice-Augustin est donc veuf à 44 ans avec une jeune et nombreuse famille à charge. Il vient d'acheter en Beaujolais, aux Ardillats, la papeterie du Roquet sur les bords de l'Ardières. Il revient dans cette région où ses ancêtres ont été papetiers de 1558 à 1715 sans interruption. Les impôts y sont moins lourds qu'en Dauphiné et il n'y a pas « d'association » d'ouvriers.

À Rives, les Montgolfier, très liés d'amitié avec les métallurgistes Blanchet, forment Claude Blanchet à la fabrication du papier. Maurice-Augustin le prend comme associé en 1786 et, en 1787, à la fin de son contrat de location, quitte définitivement Rives. Il vend sa maison et ses meubles à Claude Blanchet, qui achète la papeterie à M. Marchand.

En 1788, Maurice-Augustin vend la fabrique de Leysse à Augustin Aussedat. 

Ces ventes lui permettent d'aménager la papeterie du Roquet, de la reconstruire après un incendie, de la moderniser. Malgré ses besoins d'argent, il ne demandera pas à son frère Joseph sa part de l'usine de Voiron qu'ils avaient achetée en commun.

 

La succession de Maurice-Augustin

  

Une pleurésie emporte Maurice-Augustin à 47 ans, le 27 septembre 1788 à Beaujeu. Il laisse huit orphelins dont l'aînée, Fanny, a 13 ans, Michel, l'aîné des garçons, 11 ans, et la huitième 3 ans.

Dans cette période troublée (hausse des salaires de 158 %, chute de l'assignat, réquisition d'ouvriers, mévente due au blocus, manque de chiffons), le grand-père Pierre (t 1793) apporte son aide pour le fonctionnement de la fabrique, bientôt secondé par l'oncle chanoine Maurice-Alexandre (t 1794). La tante Marguerite-Thérèse s'occupe des enfants.

Une partie de la famille, chassée par la Terreur, se réfugie aux Ardillats, où le chanoine avait édifié une chapelle qui reçut la bénédiction de l'évêque d'Autun, Charles­Maurice de Talleyrand-Périgord !

Mémoires et sources

 

Élie a recueilli les souvenirs de sa tante Marie-Thérèse, et c'est par ses mémoires que nous avons des renseignements sur Augustin-Maurice, son père, notre ancêtre. D'autres renseignements nous sont apportés par le livre de Rostaing et par celui d'Anglade, dont notre cousin Gérald Faucher nous a déjà livré quelques bonnes feuilles (cf. la Gazette, n° 9). Pour notre part, nous avons consulté avec intérêt les archives départementales de l'lsère.

Michel JAILLARD

Juin 2000

 

in la Gazette de l'île Barbe, n° 37

été 1999, pp. 7 à 16

 

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