Marguerite
CABANE On aimerait pouvoir dresser le tableau
et l'histoire des pèlerinages locaux qui attirèrent nos
ancêtres : paroissial, cantonal, régional. Depuis
longtemps perdu d'oubli, retrouvé dans les archives par les
travaux de Mme Cottinet, le pèlerinage de l'île Barbe
fut, pendant des siècles, le principal à Lyon. Il avait
pour but la chapelle Notre-Dame, élevée sur
l'île, mais hors l'enceinte de l'abbaye, au
XIIème siècle semble-t-il. Dès les
XIIIème et XIVème siècles, les dons et fondations de
princes et de particuliers, les indulgences romaines
encouragèrent la dévotion et permirent d'équiper
le sanctuaire, dans lequel les Lyonnais aimèrent à
venir chercher protection. Par la suite, les aspects
matériels du pèlerinage laissèrent dans les
archives de l'abbaye des traces abondantes qui permettent de saisir
son existence et sa vitalité. D'une part, en effet,
l'abbé et ses officiers, responsables de l'île, devaient
centrôler les mouvements de la foule. Venus à pied ou en
barques, les pèlerins traversaient le bras de la
rivière avant d'aborder au port : il fallait assurer l'ordre,
empêcher les querelles entre les bateliers et les passeurs
ayant acquitté un droit de fermage. D'autre part, tout
pèlerinage engendre un commerce nécessaire et
légitime de menus objets, souvenirs, ex-voto : des cierges,
des figurines de cire. Les marchands, eux aussi, prenaient à
ferme le droit de vente. Et c'est ainsi que la comptabilité de
l'abbaye nous informe sur les fluctuations du pèlerinage et du
nombre des pèlerins, sur lesquelles, autrement, nous ne
saurions rien. L'affluence la plus forte observait un
calendrier assez serré. Parmi les fêtes fixes, au
premier rang, celles de la Vierge : Annonciation, Assomption,
Nativité, Immaculée Conception. Puis celles de saint
Georges (23 avril), saint Marc (25 avril), saint Jacques et saint
Philippe (1er mai).
Enfin les grandes fêtes mobiles : Pâques (avec le lundi
et le mardi), l'Ascension, Pentecôte (avec le lundi et le
mardi), la Trinité ; il faut y ajouter les trois jours des
Rogations. L'essentiel, on le voit, se groupait entre l'Annonciation
et la Trinité : le culte de l'île Barbe était un
culte de préférence printanier : nos ancêtres
avaient bon goût... La dévotion et les invocations
à Notre-Dame de l'île ne se limitaient pas aux dates et
aux circonstances régulières. Au début du
XVIème siècle, un marchand lyonnais, Jean
Guérin, érigea une croix en bordure du chemin de Lyon
à Anse, sur le replat de Balmont à la sortie de Vaise,
car, de là, l'île était encore visible et le
voyageur, avant d'affronter les dangers et fatigues de la route,
pouvait invoquer la Vierge. En 1504, en 1534, durant de grandes
misères dues à la disette, c'est vers l'île Barbe
que se dirigèrent les processions de pitoyables
affamés. Le pèlerinage était
même si vigoureux, en cette première moitié du
XVIème siècle, qu'il attira une fête plus
civique que religieuse, qui eût pu risquer, sinon de
l'absorber, du moins de le contaminer. Connue depuis la fin du
siècle précédent, et illustrée par les
récits de Bonaventure des Périers en 1539, la
procession nautique de l'Ascension fait généralement
figure de fête fort joyeuse, au cours de laquelle se
distinguaient certaines confréries, comme les imprimeurs ou
compagnons de la coquille. Mais, comme l'a bien montré M.
Rossiaud, organisée par les officiers du roi assistés
des gens de la basoche, il s'agissait en fait d'une
cérémonie rituelle en l'honneur du pouvoir
royal. Les guerres de religion
ruinèrent l'abbaye et marquèrent le début de son
déclin inéluctable. Mais le pèlerinage
continuait de vivre. En 1624, par exemple, y vinrent, entre
Pâques et Pentecôte, une cinquantaine de paroisses, de
Givors à Morancé, de Saint-Galmier à la
Saône. Le 14 octobre 1630, quand les deux reines, Marie de
Médicis et Anne d'Autriche, voulurent remercier la Vierge pour
la guérison inespérée de Louis XIII qui avait
manqué mourir dans notre ville, c'est vers Notre-Dame de
l'île qu'elles se rendirent, à pied. Mais un autre sanctuaire
commençait alors de prendre la relève. En 1638, le voeu
des recteurs de la Charité contre le scorbut, en 1643 celui
des échevins contre la peste, s'adressèrent à
Fourvière. Si des pèlerins restaient fidèles,
bien entendu, à l'île Barbe, le rôle de
protectrice de la cité passait de plus en plus à la
Vierge de Fourvière. Après la Révolution, elle
devait le retrouver dans toute sa gloire, tandis que l'île
Barbe, dépecée par les acquéreurs de biens
nationaux, allait perdre définitivement le sien. Henri
HOURS in Église à Lyon, n° 4/1996, p. 88-89. in
La gazette de
l'île Barbe
n° 24 Printemps
1996
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