Peu crédible serait "l'étranger"
qui prétendrait connaître la France et ses habitants
après avoir sillonné notre pays en tous sens durant une
quinzaine de jours. C'est pourquoi, au terme d'un périple de
3.000 km en Thaïlande, dont 2.000 en car, plus
particulièrement au nord et à l'est de Bangkok, je me
limiterai à souligner ce qui nous a "impressionnés", ce
qui nous a conduits à des réflexions non
achevées en l'état, et à des constats pas assez
nombreux pour analyser les "racines" essentielles d'un peuple et
d'une civilisation.
Impressions d'Asie
Au surplus, la quasi-totalité
d'entre nous atterrissait pour la première fois sur une terre
d'Asie... et ce fut "un choc". Les renseignements recueillis
çà et là avant notre départ dans des
ouvrages et auprès d'amis "en revenant" avaient aiguisé
notre curiosité. Et pourtant, nous ne nous attendions pas, en
ce mois de janvier 1993 à :
- un total grouillement dans les rues
de Bangkok, à une circulation aussi intense et
désordonnée d'engins très divers (bus, taxis,
vélos, etc.), paraissant exclure à tout jamais le
piéton, sans pour autant engendrer ni des embouteillages
géants, ni une fréquence anormale d'accidents
;
- un tel accueil souriant "bien
typé", une telle gentillesse dans un langage aux
sonorités aiguës (chaque soir, à l'hôtel,
une main inconnue déposait sur l'oreiller une
orchidée, tandis que dans la table de chevet cohabitaient
bible et recueil de textes bouddhistes. - Cinq millions de
touristes débarquent chaque année en
Thaïlande.) ;
- un niveau de vie (dans les
cités urbaines) bien supérieur à celui
constaté récemment en Egypte (Le "SMIC" se situerait
à Bangkok aux environs de 3.000 F contre 200 F au Caire. -
Dans un climat de liberté, consommation et exportation
concourent à dynamiser la production et l'économie
thaïlandaise. Les sociétés
étrangères investissent des sommes
considérables dans de nombreux secteurs. La Thaïlande
donne l'impression d'être un immense chantier sans fin avec
son cortège d'inégalités et d'injustices...
jusqu'à quand ?) ;
- une telle richesse naturelle dans
ce paradis d'eau et de soleil dont les excès annuels sont
à redouter temporairement (La colonne vertébrale de
ce pays - avec 70 % de paysans - est, à l'heure actuelle,
son réseau fluvial, qui irrigue davantage et mieux que ne
le fait le Nil. Abondance de fleurs et de fruits - exotisme des
marchés locaux -, omniprésence des rizières,
aux trois récoltes annuelles dans le meilleur des cas.)
;
- un tel contraste entre le
management urbain à l'américaine,
l'envahissement des rues et des routes par des "Toyota" d'une
part, et les habitations précaires édifiées
sur pilotis d'autre part, qui bordent à l'infini le
réseau fluvial ;
- la propreté des tenues
vestimentaires des Thaïlandais et des Thaïlandaises et
la saleté des eaux "courantes" (Ablutions et shampooings
s'exécutent en plein air dans des conditions "sanitaires"
déconcertantes pour nous.) ;
- enfin, une telle séduction
pour la production artisanale (bijoux, laques, poteries, meubles
en teck, vannerie, ombrelles, etc.) sans oublier la soie
omniprésente (L'habileté et la
dextérité des hommes et des femmes sont
étonnantes. Il faut aller sur les marchés locaux
pour se rendre compte de la virtuosité des vendeurs de
poissons frais, vidés, découpés sous vos yeux
en quelques secondes. Quelle souplesse des mains et des doigts,
plus particulièrement lors des spectacles de danse
!).
Cela étant, nous n'avons pas
été à même d'aborder le problème de
la drogue, celui de la prostitution et de leur corollaire, le SIDA,
qui contaminerait dans certaines villes le quart de la population.
Nous n'avons pas davantage visité des centres industriels ni
analysé les conditions de travail...
Ce fut néanmoins un "tour"
passionnant, quelque peu déformé par le souci des
organisateurs de "faire plaisir" au touriste, de combler son regard,
de "l'assister" au maximum dans un pays carrefour de tous les
contrastes de l'Extrême-Orient, où chaque jour apporte
son lot de surprises.
Face à cinquante
millions de bouddhistes
Découvrir la Thaïlande,
c'est découvrir une autre culture et une autre
"sensibilisation" religieuse avec une prédominance (90 %) pour
le bouddhisme.
Le bouddhisme n'est pas, en principe,
une religion mais une philosophie. La vie est une succession de
réincarnations et il appartient à chacun, par son
comportement, de "mériter" de meilleures vies futures. Rien
n'est stable ni permanent en ce monde. L'existence est un
perpétuel devenir, le bénéfice du don va
à celui qui donne. Alors, on donne dans les temples... de la
nourriture, des fleurs, des fruits, des feuilles dorées...
c'est un va-et-vient permanent.
On donne aussi dans la rue, de bon
matin, à ceux des moines qui, pieds nus, sillonnent villes et
campagnes avec pour tout bagage une pièce de coton, couleur
safran, pour se vêtir, un bol à aumône, une
ombrelle et une moustiquaire... car la possession enfante la
souffrance.
Il faudrait tout un volume pour mettre
en exergue les principes du bouddhisme thaïlandais ("Petit
Véhicule").
Ce qui a attiré plus
particulièrement notre attention, c'est à la fois
:
- la jeunesse d'une partie non
négligeable des moines rencontrés ;
- le bon état de santé
apparent de ces moines en dépit d'une vie ascétique
;
- leur sérénité,
le calme et la paix qui semblent les habiter (On a écrit
que le bouddhisme, c'est une manière d'être et un
regard porté sur le monde.) ;
- le caractère transitoire de
leur engagement.
En revanche, la croyance à des
forces surnaturelles qui conditionnent le rythme de la vie engendre
une très grande variété de rites de protection.
Le culte des "esprits", pas toujours bienveillants, l'astrologie, la
connaissance des bons et des mauvais augures imprègnent la vie
quotidienne.
Dans une société
d'abondance qui célèbre l'argent et le profit, il faut
beaucoup de talent pour rester vertueux et préparer sa
réincarnation après une mort qui n'est qu'un
épisode.
La foi du chrétien
européen confrontée à celle de cinquante
millions de Thaïlandais peut s'enrichir de ces
différences fondamentales de comportements religieux et plus
particulièrement de l'absence de toute
référence, dans le bouddhisme, à l'amour de
quelqu'un qui donne gratuitement.
Philippe
RAMBAUD
In La gazette de l'île Barbe n° 14
AUtomne
1993
Sommaire
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