Richesse et pauvreté en Russie et en Ukraine

*

Russie et Ukraine

Partis le 14 juin avec un groupe de vingt-deux personnes organisé par Nouvelles Frontières, nous nous sommes envolés à la découverte d'un monde que nous ne connaissions que par les journalistes et les partis-pris de leurs lecteurs.

 

Arrivés à Moscou, nous avons vu de très belles choses. Le Kremlin, avec le palais des armures et les oellections de très beaux objets d'art accumulés durant toute l'histoire de la Russie. Les cathédrales de la Dormition et de l'Anonciation, avec leurs superbes iconostases et la richesse de leurs architectures ; le clocher d'Ivan de Grand et la cathédrale de l'Archange Michel. Nous nous sommes promenés dans les jardins du Kremlin, et sur la place Rouge ; nous avons visité en silence le mausolée de Lénine. L'architecture de la basilique de l'Intercession, appelée souvent de Basile le Bienheureux, son intérieur très riche, avec toutes ses petites chapelles, nous ont émerveillés. La grande galerie marchande internationale, le Goum, fait face aux austères murs du Kremlin le long de la place Rouge. Visite indispensable du métro de Moscou, orgueil de la ville, le Cirque de Moscou et le Bolchoï, un concert de chorale orthodoxe, l'université et son joli point de vue sur la ville. Nous sommes allés aussi visiter le monastère de Novodevitchi, les résidences de Kolomenskoié et de Kouskovo.

Le pauvreté de la ville pourrait ainsi paraître inexistante. Les grands monuments ont été restaurés avec beauceup de goût... et d'argent. Les révolutionnaires de 1917 n'ont pas tout détruit, comme chez nous en 1789. Les Allemands en revanche ont anéanti tellement de beaux monuments...!

Au-delà de ce qui est touristique, les escaliers desservant les métros ou les passages souterrains des grands croisements nous montrent un autre aspect de la vie de Moecou : sur chaque marche, un homme ou une femme les mains tendues, silencieux, proposant ce qu'il peut aux passants : un petit chat ou un petit chien, trois tomates et un paquet d'herbes, un polo ou une paire de chaussettes, quelques livres... que sais-je encore. Il faut vivre et chacun fait ce qu'il peut pour gagner quelques roubles.

Les grands monuments sont en parfait état (tourisme oblige) mais il ne faut pas s'écarter des circuits prévus : maisons délabrées, ruines, terrains vagues très sales ; aucune place n'est propre, sauf la place Rouge ; aucune fleur...

Et les autos : à part quelques belles voitures modernes, les autos sont en mauvais état, rouille, cabossages... et sur les parkings sauvages, tas de ferraille, pneus à plat, vraiment à l'abandon.

Mais la « Maison blanche », siège du parlement, a été rapidement remise à neuf, après les très gros dégâts qu'elle a subis au cours du dernier putsch.

A 70 km au nord de Moscou, un haut lieu de l'histoire de la Russie, la laure Saint-Serge à Serguev-Possad, plus connue sous son ancien nom de Zagorsk. Entourée de grands murs surmontés de tours et de portes, très petit en surface mais grand par le rayonnement spirituel, ce monastère commença à s'élever au XIVème siècle. Eglises, clocher, palais tsariste abritant un musée... et partout une foule de Russes qui prient en se déplaçant d'une icône à l'autre. Nous avons été très étonnés de voir dans toutes ces églises, ici comme à Moscou ou ailleurs, des jeunes en prière devant une icône, et restant longuement immobiles.

 

Kiev en Ukraine.

Quarante-huit heures à Kiev nous ont fait vivre dans une autre atmosphère. Beaucoup moins de touristes, et des autochtones plus accueillants, plus méridionaux. Une ville beaucoup plus propre, avec des fleurs et des jardins publics bien tenus, des fontaines...

La monnaie ne vaut vraiment rien, mais les marchés ne sont pas aussi démunis qu'à Moscou. Les Ukrainiens semblent plus motivés pour le travail.

Durant la dernière guerre, Kiev a été occupée trois ans et a été complètement détruite. La ville a été très vite reconstruite et l'on voit peu de destructions. Dans la grande plaine de la rive gauche du Dniepr, l'on crée d'immenses banlieues avec des barres imposantes, à perte de vue, le long de la route de l'aéroport. Les transports en commun en site propre sont très fréquents et les relient à la ville ancienne.

La laure des catacombes possède des bâtiments et des églises très belles. Les catacombes elle-mêmes sont bien peu de choses, pour nous étrangers, mais cet ensemble représente beaucoup dans l'histoire de Kiev et de la première Russie. Le trésor des Scythes présente des orfèvreries d'une grande beauté.

 

Saint-Pétersbourg, dernière et indispensable étape.

De très beaux monuments, des musées où l'on pourrait passer des jours et des années. Les quais de la Niva sont une perspective unique. Les résidences tsaristes de Pouchkine et Pavlovsk ont été brûlées par les Allemands durant le siège de Saint-Pétersbourg, mais sont maintenant restaurées très richement. Le domaine de Petrovoretz, que Pierre le Grand voulait un « Versailles » russe, saccagé par les Allemands, est refait à neuf. Tous les arbres du parc avaient été coupés par les Allemands pour éviter que les partisans russes ne se cachent derrière pour les attaquer. Ils sont tous replantés.

Et tont cela pour les touristes ! Si vous voulez connaître un peu la Russie, ce n'est pas là qu'il faut aller. Les cars se suivent dans tous les sites à visiter. On se retrouve entre Français surtout. Le français est presque une langue officielle ! En allant se promener seuls dans les petites rues de la ville, c'est une autre Russie que l'on voit.

Une dernière question quelle est la monnaie de la Russie ? Le dollar, bien sûr !

Economie et vie courante

Nous avons questionné nos différents guides sur la vie en Russie à l'heure actuelle.

Nous avons noté leurs réponses. Nous n'avons pas pu les vérifier.

Héléna, notre guide de Moscou, est professeur de lettres à l'université. En vacances trois mois en été, elle accompagne des groupes de Français. Elle se considère comme privilégiée.

Le logement. - Khrouchtchev avait promis la fin des logements collectifs (une chambre par famille, une cuisine et une salle d'eau pour cinq ou six familles). Il créa des usines de panneaux préfabriqués et l'on construisit « pour vingt ans » du provisoire qui dure toujours, mais très délabré : ce sont « les taudis de Khrouchtchev ».

Les salaires. - Le minimum officiel vient de passer de 14.000 à 20.000 roubles. Heureusement peu de personnes le touche : une place de crèche pour un enfant coûte la moitié du minimum. Les retraites sont très faibles : pour une personne seule, la vie est très difficile.

Les prix. - Fin juin, nous avions environ 300 roubles pour un franc. Le pain : 4 à 500 roubles le kilo ;la viande : 3 à 9.000 ; le beurre : 3.500. Le lait : 6 à 800 roubles le litre ; l'essence : 400. Les chaussures : 20.000 à 150.000 roubles ; les collants : 2.000 à 12.000 ; un manteau ordinaire : 65.000 à 70.000.

La production. - En baisse depuis la fin de l'URSS. Les républiques indépendantes ne fournissent pas les pièces indispensables. Les usines automobiles ZIL ont fermé en avril : 40.000 chômeurs.

L'agriculture. - La réforme agraire est un échec. Les fermiers sont écrasés d'impôts (jusqu'à 80% pour l'Etat). On importe beaucoup, trois fois plus cher que les produits du pays. Beaucoup de serres sont fermées, le chauffage étant trop cher. On ne sait pas transporter et conserver ce que l'on produit.

Héléna est révoltée par l'influence puissante de la mafia qui corrompt actuellement le régime. Tout Russe peut ouvrir n'importe quel commerce, pour autant qu'il accepte la tutelle de la mafia.

 

Svetlana, notre guide de Kiev, nous donne des chiffres en « coupons ». Un dollar égalait en juin 44.000 coupons ! Les salaires vont de 300 à 600.000 coupons, les retraites de 200 à 400.000 coupons. Un kilo de pain vaut 2.000 coupons, de viande entre 40 et 60.000, de pommes de terre 22.000, de beurre 65.000, de sucre 12.000. Svetlana a un logement de 34 m2, elle gagne 600.000 coupons et paie 5 % de son salaire comme loyer et charges.

Les chômeurs sont très nombreux, et peu ou pas indemnisés. Certaines usines vendent mal leur production, et ne peuvent payer leurs ouvriers. Une partie du salaire est alors donnée en nature, selon la fabrication (lustre, appareillage électrique...).

Il y a très peu de voitures particulières et les transports en commun sont chers. Les Ukrainiens se déplacent peu.

Michel, notre guide de Saint-Pétersbourg.

Ingénieur en informatique, il travaille, ainsi que sa femme, dans une grande entreprise (fabrique d'interrupteurs à haute tension). Mais cette usine n'a plus de commandes et le personnel est au chômage depuis janvier. Depuis quelques années, il prenait des congés en été pour accompagner des groupes de Français (il est venu trois fois en France).

Il se considère comme privilégié pour son logement : ayant passé avec sa femme et sa fille dix ans dans le deux pièces de ses parents, il a pu obtenir de l'Etat un deux pièces individuel qui lui appartient depuis quelque temps. Il l'a payé 2.000 roubles...! Façon pour l'Etat de rendre au peuple ce qu'il a payé...!

Pour être guide, il suffisait jusqu'à présent d'un examen, sanctionnant une année d'études. Depuis cette année, il est demandé un certificat pour chaque palais ou musée que l'on veut faire visiter. Michel en a passé sept cette année.

En sortant de Saint-Pétersbourg sur la route de Pouchkine, nous avons longé un grand kolkhoze de serres, chauffées par une centrale importante. Plus loin, des kolkhozes de cultures et d'élevage. Les paysans ont le droit de se retirer des kolkhozes en prenant leur part, mais l'Etat freine.

La santé : elle est à deux vitesses. Les hôpitaux sont gratuits, l'on y est bien soigné mais l'on attend très longtemps. Les polycliniques sont chères, et réservées en priorité aux enfants de moins de quatorze ans. On y trouve les spécialistes. La médecine du travail prend en charge la polyclinique. Les médicaments ne sont pas remboursés. Ils sont bon marché s'ils sont fabriqués en Russie, très chers si importés. L'optique n'est pas remboursée du tout.

Dans les trois villes visitées, nous avons été frappés par l'absence de présentation dans les vitrines extérieures. Pour nous qui ne savons pas lire le russe, nous sommes entrés sans savoir ce que nous allions trouver : les produits ne manqnent pas mais sont mal présentés. Les étals de boucherie, en particulier, sont peu appétissants.

 

En conclusion, nous avons fait un circuit très touristique, confortable, toujours transportés en avion et en car. Nous n'avons eu que peu de contacts directs avec Russes ou Ukrainiens. Mais nous avons questionné nos guides, et nous avons regardé avec un oeil curieux.

Une question nous reste posée : oemment ces pays vont-ils s'en sortir ? Les peuples supporteront-ils longtemps la vie si dure qui leur est imposée ? Les personnes interrogées préfèrent vivre durement, mais demeurer libres.

 

Pierre et Cécile JAILLARD

In La gazette de l'île Barbe n° 18

Automne 1994

 Sommaire