Arrivés à Moscou,
nous avons vu de très belles choses. Le Kremlin, avec le
palais des armures et les oellections de très beaux objets
d'art accumulés durant toute l'histoire de la Russie. Les
cathédrales de la Dormition et de l'Anonciation, avec leurs
superbes iconostases et la richesse de leurs architectures ; le
clocher d'Ivan de Grand et la cathédrale de l'Archange Michel.
Nous nous sommes promenés dans les jardins du Kremlin, et sur
la place Rouge ; nous avons visité en silence le
mausolée de Lénine. L'architecture de la basilique de
l'Intercession, appelée souvent de Basile le Bienheureux, son
intérieur très riche, avec toutes ses petites
chapelles, nous ont émerveillés. La grande galerie
marchande internationale, le Goum, fait face aux austères murs
du Kremlin le long de la place Rouge. Visite indispensable du
métro de Moscou, orgueil de la ville, le Cirque de Moscou et
le Bolchoï, un concert de chorale orthodoxe, l'université
et son joli point de vue sur la ville. Nous sommes allés aussi
visiter le monastère de Novodevitchi, les résidences de
Kolomenskoié et de Kouskovo. Le pauvreté de la ville pourrait
ainsi paraître inexistante. Les grands monuments ont
été restaurés avec beauceup de goût... et
d'argent. Les révolutionnaires de 1917 n'ont pas tout
détruit, comme chez nous en 1789. Les Allemands en revanche
ont anéanti tellement de beaux monuments...! Au-delà de ce qui est
touristique, les escaliers desservant les métros ou les
passages souterrains des grands croisements nous montrent un autre
aspect de la vie de Moecou : sur chaque marche, un homme ou une femme
les mains tendues, silencieux, proposant ce qu'il peut aux passants :
un petit chat ou un petit chien, trois tomates et un paquet d'herbes,
un polo ou une paire de chaussettes, quelques livres... que sais-je
encore. Il faut vivre et chacun fait ce qu'il peut pour gagner
quelques roubles. Les grands monuments sont en parfait
état (tourisme oblige) mais il ne faut pas s'écarter
des circuits prévus : maisons délabrées, ruines,
terrains vagues très sales ; aucune place n'est propre, sauf
la place Rouge ; aucune fleur... Et les autos : à part quelques
belles voitures modernes, les autos sont en mauvais état,
rouille, cabossages... et sur les parkings sauvages, tas de
ferraille, pneus à plat, vraiment à l'abandon.
Mais la « Maison blanche », siège du parlement, a été
rapidement remise à neuf, après les très gros
dégâts qu'elle a subis au cours du dernier
putsch. A 70 km au nord de Moscou, un haut lieu
de l'histoire de la Russie, la laure Saint-Serge à Serguev-Possad, plus connue sous son
ancien nom de Zagorsk. Entourée de grands murs
surmontés de tours et de portes, très petit en surface
mais grand par le rayonnement spirituel, ce monastère
commença à s'élever au XIVème siècle. Eglises, clocher, palais
tsariste abritant un musée... et partout une foule de Russes
qui prient en se déplaçant d'une icône à
l'autre. Nous avons été très
étonnés de voir dans toutes ces églises, ici
comme à Moscou ou ailleurs, des jeunes en prière devant
une icône, et restant longuement immobiles. Kiev en Ukraine. Quarante-huit heures à Kiev nous
ont fait vivre dans une autre atmosphère. Beaucoup moins de
touristes, et des autochtones plus accueillants, plus
méridionaux. Une ville beaucoup plus propre, avec des fleurs
et des jardins publics bien tenus, des fontaines... La monnaie ne vaut vraiment rien, mais
les marchés ne sont pas aussi démunis qu'à
Moscou. Les Ukrainiens semblent plus motivés pour le
travail. Durant la dernière guerre, Kiev
a été occupée trois ans et a été
complètement détruite. La ville a été
très vite reconstruite et l'on voit peu de destructions. Dans
la grande plaine de la rive gauche du Dniepr, l'on crée
d'immenses banlieues avec des barres imposantes, à perte de
vue, le long de la route de l'aéroport. Les transports en
commun en site propre sont très fréquents et les
relient à la ville ancienne. La laure des catacombes possède
des bâtiments et des églises très belles. Les
catacombes elle-mêmes sont bien peu de choses, pour nous
étrangers, mais cet ensemble représente beaucoup dans
l'histoire de Kiev et de la première Russie. Le trésor
des Scythes présente des orfèvreries d'une grande
beauté. Saint-Pétersbourg, dernière et indispensable
étape. De très beaux monuments, des
musées où l'on pourrait passer des jours et des
années. Les quais de la Niva sont une perspective unique. Les
résidences tsaristes de Pouchkine et Pavlovsk ont
été brûlées par les Allemands durant le
siège de Saint-Pétersbourg, mais sont maintenant
restaurées très richement. Le domaine de Petrovoretz,
que Pierre le Grand voulait un « Versailles » russe, saccagé par les Allemands, est
refait à neuf. Tous les arbres du parc avaient
été coupés par les Allemands pour éviter
que les partisans russes ne se cachent derrière pour les
attaquer. Ils sont tous replantés. Et tont cela pour les touristes ! Si
vous voulez connaître un peu la Russie, ce n'est pas là
qu'il faut aller. Les cars se suivent dans tous les sites à
visiter. On se retrouve entre Français surtout. Le
français est presque une langue officielle ! En allant se
promener seuls dans les petites rues de la ville, c'est une autre
Russie que l'on voit. Une dernière question quelle est
la monnaie de la Russie ? Le dollar, bien sûr ! Nous avons questionné nos
différents guides sur la vie en Russie à l'heure
actuelle. Nous avons noté leurs
réponses. Nous n'avons pas pu les vérifier. Héléna, notre guide de
Moscou, est professeur de
lettres à l'université. En vacances trois mois en
été, elle accompagne des groupes de Français.
Elle se considère comme privilégiée. Le logement. - Khrouchtchev avait promis la fin des
logements collectifs (une chambre par famille, une cuisine et une
salle d'eau pour cinq ou six familles). Il créa des usines de
panneaux préfabriqués et l'on construisit
« pour vingt ans
» du provisoire qui dure
toujours, mais très délabré : ce sont
« les taudis de
Khrouchtchev ».
Les salaires. - Le minimum officiel vient de passer de 14.000
à 20.000 roubles. Heureusement peu de personnes le touche :
une place de crèche pour un enfant coûte la
moitié du minimum. Les retraites sont très faibles :
pour une personne seule, la vie est très difficile.
Les prix. - Fin juin, nous avions environ 300 roubles pour
un franc. Le pain : 4 à 500 roubles le kilo ;la viande : 3
à 9.000 ; le beurre : 3.500. Le lait : 6 à 800 roubles
le litre ; l'essence : 400. Les chaussures : 20.000 à 150.000
roubles ; les collants : 2.000 à 12.000 ; un manteau ordinaire
: 65.000 à 70.000. La production. - En baisse depuis la fin de l'URSS. Les
républiques indépendantes ne fournissent pas les
pièces indispensables. Les usines automobiles ZIL ont
fermé en avril : 40.000 chômeurs. L'agriculture. - La réforme agraire est un échec.
Les fermiers sont écrasés d'impôts
(jusqu'à 80% pour l'Etat). On importe beaucoup, trois fois
plus cher que les produits du pays. Beaucoup de serres sont
fermées, le chauffage étant trop cher. On ne sait pas
transporter et conserver ce que l'on produit. Héléna est
révoltée par l'influence puissante de la mafia qui
corrompt actuellement le régime. Tout Russe peut ouvrir
n'importe quel commerce, pour autant qu'il accepte la tutelle de la
mafia. Svetlana, notre guide de
Kiev, nous donne des chiffres
en « coupons
». Un dollar
égalait en juin 44.000 coupons ! Les salaires vont de 300
à 600.000 coupons, les retraites de 200 à 400.000
coupons. Un kilo de pain vaut 2.000 coupons, de viande entre 40 et
60.000, de pommes de terre 22.000, de beurre 65.000, de sucre 12.000.
Svetlana a un logement de 34 m2, elle
gagne 600.000 coupons et paie 5 % de son salaire comme loyer et
charges. Les chômeurs sont très
nombreux, et peu ou pas indemnisés. Certaines usines vendent
mal leur production, et ne peuvent payer leurs ouvriers. Une partie
du salaire est alors donnée en nature, selon la fabrication
(lustre, appareillage électrique...). Il y a très peu de voitures
particulières et les transports en commun sont chers. Les
Ukrainiens se déplacent peu. Michel, notre guide de
Saint-Pétersbourg. Ingénieur en informatique, il
travaille, ainsi que sa femme, dans une grande entreprise (fabrique
d'interrupteurs à haute tension). Mais cette usine n'a plus de
commandes et le personnel est au chômage depuis janvier. Depuis
quelques années, il prenait des congés en
été pour accompagner des groupes de Français (il
est venu trois fois en France). Il se considère comme
privilégié pour son logement : ayant passé avec
sa femme et sa fille dix ans dans le deux pièces de ses
parents, il a pu obtenir de l'Etat un deux pièces individuel
qui lui appartient depuis quelque temps. Il l'a payé 2.000
roubles...! Façon pour l'Etat de rendre au peuple ce qu'il a
payé...! Pour être guide, il suffisait
jusqu'à présent d'un examen, sanctionnant une
année d'études. Depuis cette année, il est
demandé un certificat pour chaque palais ou musée que
l'on veut faire visiter. Michel en a passé sept cette
année. En sortant de Saint-Pétersbourg
sur la route de Pouchkine, nous avons longé un grand kolkhoze
de serres, chauffées par une centrale importante. Plus loin,
des kolkhozes de cultures et d'élevage. Les paysans ont le
droit de se retirer des kolkhozes en prenant leur part, mais l'Etat
freine. La santé : elle est à
deux vitesses. Les hôpitaux sont gratuits, l'on y est bien
soigné mais l'on attend très longtemps. Les
polycliniques sont chères, et réservées en
priorité aux enfants de moins de quatorze ans. On y trouve les
spécialistes. La médecine du travail prend en charge la
polyclinique. Les médicaments ne sont pas remboursés.
Ils sont bon marché s'ils sont fabriqués en Russie,
très chers si importés. L'optique n'est pas
remboursée du tout. Dans les trois villes visitées,
nous avons été frappés par l'absence de
présentation dans les vitrines extérieures. Pour nous
qui ne savons pas lire le russe, nous sommes entrés sans
savoir ce que nous allions trouver : les produits ne manqnent pas
mais sont mal présentés. Les étals de boucherie,
en particulier, sont peu appétissants. En conclusion, nous avons fait un circuit très
touristique, confortable, toujours transportés en avion et en
car. Nous n'avons eu que peu de contacts directs avec Russes ou
Ukrainiens. Mais nous avons questionné nos guides, et nous
avons regardé avec un oeil curieux. Une question nous reste posée :
oemment ces pays vont-ils s'en sortir ? Les peuples supporteront-ils
longtemps la vie si dure qui leur est imposée ? Les personnes
interrogées préfèrent vivre durement, mais
demeurer libres. Pierre et
Cécile JAILLARD In La gazette de l'île Barbe n° 18 Automne
1994