Mademoiselle, Monsieur, C'est l'ordre établi par la
Providence qu'à l'entrée du chemin de la vie, deux
âmes se rencontrent, se connaissent, s'unissent et, formant le
dessein de poursuivre ensemble leur pèlerinage
terrestre,s'inclinent sous la bénédiction qui seule
peut assurer à leurs voeux quelque garantie de bonheur.
Aux joies comme aux douleurs
également hospitalière, l'Église ouvre ses
portes à ceux qui viennent lui demander d'éclairer
leurs voies et sanctifier leur amour. Présidant aux chastes
noces de ses enfants, comme il le fit jadis en Galilée, le
Maître est là, si proche de vous par son
humanité, si riche en dons que sa divinité ne limite
pas à cette vie ! C'est à Lui que s'adressent vos
âmes, comme c'est en son nom que vous me demandez de vous
parler. Car ce n'est pas le souci d'un usage
mondain qui peut ouvrir les lèvres du prêtre ou du
pontife, puisque, devant l'autel, sa voix toujours n'est qu'un
écho. Mais un acte où il y va de toute
votre vie - peut-être de votre éternité -, un
acte auquel est liée votre félicité et où
s'engage tout votre être ne saurait s'accomplir sans qu'aient
été évoquées devant vous les graves
pensées dont l'Église a le dépôt.
Immuable parce qu'il est infaillible,
son enseignement l'atteste : pour ceux qu'a enrôlés le
baptême, il n'est pas d'union légitime en dehors du
mariage chrétien ; seul ce contrat sacré scelle au
regard de Dieu comme aux yeux de leurs frères la
volonté où ils sont de vivre ensemble les jours qui
leurs seront prêtés. Par un noeud indissoluble tant que
vous sera continué le bienfait de l'existence, cette
cérémonie aura uni vos deux âmes, vos deux vies,
vos deux familles. Il suffit d'un coup d'oeil attentif
accordé à l'ensemble de la doctrine catholique pour se
convaincre qu'un de ses traits essentiels - un signe de sa
vérité - c'est la merveilleuse unité qui la
couronne. A mesure qu'on se rend familiers ses dogmes et ses
pratiques, cette impression s'accroît que l'unité,
attribut propre de Dieu, est aussi la signature mystérieuse
que l'artisan divin a apposée au bas de ses oeuvres.
Aux yeux de la foi, le mariage n'est
pas la simple juxtaposition de deux personnes, l'addition de deux
fortunes ou la donation mutuelle de deux êtres ; il est la
fusion de deux âmes qui, après s'être
discernées, appréciées, choisies, forment le
dessein de se vouer l'une à l'autre et par l'échange
d'une entière confiance, de la meilleure tendresse, d'assurer
leur bonheur réciproque. L'union du Christ et de son Eglise,
union profonde, totale, inaltérable, voilà le
modèle que la liturgie sacrée, empruntant le mot de
saint Paul, propose à l'imitation des époux. À
la fragilité des sentiments humains, à la
mobilité native de trop faillibles volontés, le rite
religieux assure le secours d'une grâce sacramentelle qui
élève et transforme les serments et leur prête un
appui surnaturel. « Un seul coeur, une seule
âme. » Ce portrait,
tracé de main inspirée, de l'Eglise primitive demeure
le modèle offert au foyer conjugal. Dans le désarroi des utopies
modernes, il est de jour en jour plus manifeste que les unions
chrétiennes demeurent les solides colonnes qui supportent
l'édifice social. Plus la société tend à
s'écarter de Dieu, à s'émanciper de sa loi, plus
elle s'essaye à battre en brèche la famille qui est une
émanation de sa divine pensée. Comprenez enfin et admirez la grandeur
du mariage en admirant le rôle qu'il vous confie de continuer
et de propager la vie. Donner la vie ! - non point
l'éphémère durée que quelques fugitives
années mesurent, mais l'existenoe qui se prolonge
par-delà les voiles du temps, car l'âme humaine,
passagère du temps, est fille d'immortalité -, quelle
haute et belle mission ! C'est pour que votre famille vive,
monsieur, que vous avez fixé votre choix sur celle qui va
devenir votre épouse, et que par elle, s'il plaît
à Dieu, se transmettent à d'autres, avec un nom que
bien des générations ont porté avant vous, des
souvenirs et des traditions que vous n'avez point le droit d'oublier.
L'honneur ne manque pas aux
vôtres : Jaillard ou Neyrat, dans un passé dont
l'éloignement fait le prix, ils ont apporté à la
magistrature locale et à l'Eglise un concours dont les annales
retiennent la trace. On les a vus figurer parmi les échevins
de Lyon et porter dignement le poids des charges municipales.
Encore qu'il voulût s'entourer de
modestie, comme il sied à la vertu et au mérite, le
rôle de monsieur votre père ne pouvait être
effacé. Il fut un temps - moins de vingt ans nous en
séparent - où le caractère faisait peur, surtout
quand il s'auréolait d'une foi courageuse. Servir au premier
rang paraissait interdit, quels que fussent les titres, quand on ne
renonçait pas au devoir chrétien. La noblesse
d'âme du commandant Jaillard grandit encore sous l'effort
méprisé de basses manoeuvres qui n'aboutirent
qu'à mettre mieux en relief sa force et sa dignité.
Ses qualité militaires eussent
passé, avec son épée, entre les mains d'un fils
qui, sous l'uniforme du saint-cyrien, eût porté un coeur
animé de la même vaillance et d'une égale
piété. L'épreuve fut amère,
inexprimable, qui, tranchant du même coup deux existences, jeta
le deuil sur tant de coeurs. Laissons à Dieu de nous
révéler là-haut le pourquoi de nos douleurs
présentes. Un autre deuil, je devrais dire un
autre sujet de fierté, est venu de la guerre le jour où
le Léon-Gambetta, sombrant sous la torpille fatale au large de
Trente, entraînait dans la mort celui en qui la marine
eût pu compter un officier d'avenir, mais dont l'âme
candide était mûre déjà pour les
clartés du paradis. Ces héritages n'étaient
point trop lourds pour votre coeur. Ils versaient en vous des
sentiments dont vous ne soupçonniez pas
l'héroïsme, lorsque, à dix-sept ans, vous preniez
le chemin du front, comme on va à une fête. Si, à
travers périls et fatigues, une invisible main vous a
gardé, vous n'en avez pas moins tenu votre rang parmi cette
jeunesse ardente, magnifique printemps aux fleurs
ensanglantées en qui la Franoe des chevaliers et des saints a
reconnu sa lignée et qui promet pour demain des fruits de
religieuse énergie et d'intrépide vertu. Vous aviez aussi de qui tenir,
monsieur, par votre ascendance maternelle, qui unissait le renom des
Montgolfier et des Bravais aux anciennes traditions de la Savoie.
Plus près de vous, la fortune des généraux
Goybet et du commandant de vaisseau Goybet n'a pas pris fin avec la
guerre. Si j'aime à saluer le souvenir de l'un d'eux dans mes
Alpes embrunaises, témoin quelque peu qualifié, je paie
aussi de bonne grâce un tribut d'admiration à ceux qui,
sur la terre d'Orient, font oeuvre française, oeuvre de
civilisation et de gloire dont le bilan dépasse tout
éloge. En citant ces noms et ces faits, loin
de moi, monsieur, la pensée de flatter votre amour-propre.
Plus chrétiennement, mon rôle est de vous rappeler,
à cette heure capitale de votre existence, quels exemples
encadrent votre jeunesse, quelles obligations d'honneur, de foi, de
dévouement vous viennent de tous côtés.
Aussi bien sommes-nous pleinement
rassurés sur votre docilité à ces leçons
en sachant à quelle tendresse éclairée et
attentive, à quelle élévation de vues vous devez
la formation de votre coeur. Vous n'avez de meilleur désir que
de rendre à une mère tant aimée ce que vous
devez à sa sollicitude, faite d'abnégation et de
bonté, et c'est, dès ce matin, une grande part de votre
bonheur de voir tout le bonheur qu'elle augure de votre union. Aux
pieds de l'autel, elle reçoit aujourd'hui une fille de
plus. À mesure que va le temps, on
comprend mieux, chaque jour, l'atmosphère d'infinie tendresse
qui a environné nos premières années : aux
sentiments de l'enfant fait place un attachement profond,
réfléchi, dont la reconnaissance resserre les liens.
Ainsi, monsieur, en reposant votre coeur sur les souvenirs de votre
première jeunesse, vous bénirez chaque jour davantage
le nom de votre mère et vous emprunterez à ses
leçons le meilleur des qualités de votre coeur. Votre
piété, droite et simple, fut son oeuvre. A l'heure du
combat, votre élan généreux l'émut sans
l'effrayer. Les premiers succès qui couronnent votre
application flattent sa fierté maternelle. Demain, votre bonheur sera sa
récompense et sa joie. Ce nom de mère, aux
résonanoes si douces, pourquoi faut-il qu'à cette
heure, il souligne une place vide et réveille de si vivants
regrets ! C'est retracer la parfaite image du bonheur conjugal que
d'évoquer la mémoire de l'absente qui fut le
modèle achevé de la femme et de la mère
chrétiennes. En vous, mademoiselle, on cherchera
celle qui n'est plus, puisque vous n'avez de dessein plus cher que de
faire revivre aux yeux de votre père, de tous ceux qui l'ont
connue, celle dont vous tenez, avec la grâce, les charmes du
coeur et les dons de l'esprit. Le sanctuaire cher à nos Alpes
ne prodigue pas à tous les pèlerins le secret de ses
parfums. De l'y éprouver, n'est-ce pas l'indice d'une
âme privilégiée qui s'avance à pas rapides
sur la bonne odeur des vertus de Marie ? La Vierge du Laus, qui fut
large, un jour, envers la mère, de ses mystérieuses
faveurs, daignera couvrir l'enfant du manteau protecteur de sa
prédilection. Quelle raison donner de ma
présence et de mon ministère, sinon un devoir de
religieuse gratitude dont je suis l'héritier et des motifs
personnels d'une reconnaissance respectueuse dont le champ de
bataille fut l'occasion ? Dût la bienveillance de votre
excellent père m'en tenir rigueur, puisque, pour une fois il
m'a ouvert la bouche, j'aimerai, dans le langage biblique qui lui est
familier, puiser à son adresse cette devise : Generatio rectorum benedicetur. Sur vous, comme sur tous ses enfants qui lui
font honneur, retombera la bénédiction promise à
l'homme juste. Il a fait de son nom le synonyme
d'élévation de coeur autant que d'intelligente
activité, et sa délicatesse, oublieuse
d'elle-même à l'excès, n'est point parvenue
à cacher l'aide qu'il a toujours prêtée à
la cause de l'Église et du pays. Lui seul serait surpris si
j'énumérais ce que chacun sait de sa
bonté. Les oeuvres militaires d'avant-guerre
lui avaient révélé leur importanoe et nos
garnisons alpines étaient parmi ses
préférées. Et à Lyon, quelles pieuses
entreprises, paroissiales surtout, ne furent point tributaires de son
zèle non moins que de son inépuisable charité
! Heureusement, au ciel, il y a des anges
pour écrire ces choses. Parmi les reliques de guerre - qui n'en
a rapporté, et de bien chères ! -, j'en sais une qui
perpétuera pour moi l'écho des plus douces
émotions eucharistiques. Qu'il me suffise de dire que le nom
de votre père y est étroitement lié. La considération et l'estime qui
s'attachent à la mémoire de vos parents ne sont pas
près d'être oubliées à la chambre de
commerce et à l'Académie de Lyon, dont votre
grand-père était un membre distingué. Telles
oeuvres charitables ou destinées au progrès de
l'industrie le virent parmi leurs initiateurs. J'ai nommé la
Société de secours mutuels des ouvriers en soie et le
Musée historique des tissus. Dans les mêmes branches, vous
retrouveriez des représentants honorés de votre famille
maternelle, qui, fidèle à la tradition lyonnaise,
toujours allièrent le travail à l'exercice d'une
clairvoyante charité. Plus haut, vos papiers de famille
retiennent le nom de votre aïeul, inspecteur
général de la marine, grand-officier de la
Légion d'honneur et chevalier de Saint-Louis. Tant il est vrai, comme le veut Pascal,
que « les morts ont des
droits dans la société comme les vivants et nous ne
recueillons leur héritage qu'a condition d'exécuter le
testament, »
héritage des croyances, du crédit, d'une
réputation d'honneur et de travail auquel nul, chez vous, ne
songea jamais à se soustraire. Puisse votre avenir contribuer
largement au bonheur de ceux à qui vous êtes redevable
du vôtre. Rien ne vous manque, semble-t-il, de ce
que peut donner le monde, rien ne vous manquera des faveurs par
lesquelles Dieu prépare l'éternelle
félicité. Mais pourquoi m'attardé-je
à vous rappeler ce dont votre coeur est
pénétré ! Ma voix n'a pas l'efficacité
des prières rituelles qui vont faire descendre sur vous les
grâces durables que Dieu réserve aux époux
chrétiens. Tandis que parents et amis, si
nombreux, uniront leurs suffrages, tandis que le clergé
distingué dont l'estime vous est précieuse invoquera
Celui qui tient en ses mains le secret de votre destinée,
recueillez-vous, l'un et l'autre, pour recevoir au plus infime de
vous-même les bénédictions qu'appellent les
paroles sacrées de la liturgie. Le jour où, dans l'église
de Trélon, le jeune comte de Montalembert mettait sa main dans
la main de sa fiancée, après avoir évoqué
devant eux les vertus de la sainte héroïne de Hongrie, le
pontife illustre qui bénissait leur union s'arrêtait sur
cette noble pensée : « J'ai une si grande confiance dans la
protection que le passé de vos familles vous assure, j'ai une
foi si vive dans la bonté de Dieu en votre faveur, que je ne
crains pas de vous faire cette dernière promesse : c'est
qu'arrivés au terme de la vie, recueillant dans vos souvenirs
les exemples que vos parents vous auront légués et les
efforts que vous aurez faits pour les imiter vous ne trouverez, pour
exprimer les sentiments de votre âme, à cette heure
suprême, que les paroles de Tobie : "Nous sommes les enfants des saints, et nous
attendons cette vie que Dieu sait donner à ceux qui, lui ayant
engagé leur foi, ne changent jamais." » Ce même voeu devient le
nôtre aujourd'hui. On dit qu'auprès de chaque foyer
veille un ange à qui Dieu remet, au jour de leurs noces, la
garde des époux. Interprète des divines bontés,
il est le messager des joies, le consolateur des tristesses, le
confident de toutes les heures. A cet invisible compagnon de votre
nouvelle vie, nous adressons du meilleur de notre âme une
instante prière ! Qu'au terme d'une route dont il aura pour
vous aplani les aspérités, écarté les
dangers, sanctifié les jours, il vous introduise tous deux
dans les radieuses avenues du paradis où, pour
l'éternité, une seule famille groupe les âmes
saintes, autour du trône de Dieu. Amen. Monseigneur de
LLOBET. in
La gazette de
l'île Barbe
n° 22 Automne
1995
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