Vers de Charles Jaillard

(île Barbe, 1895- Melun, 1913)

*

Les plus beaux vers

 
Ecoutez donc parler le coeur. Les plus beaux vers,
Ce ne sont pas toujours ceux que chante la bouche,
Ni même ceux qu'on lit dans les livres ouverts,
Car les vers les plus beaux, aucun être n'y touche,
Car les vers les plus purs sont dans le coeur humain.
Le coeur chante toujours un poème sans fin,
Un poème éternel, tout un poème immense
D'enthousiasme et de foi, d'amour et d'espérance.

 


Flambeaux éteints

 
Les étoiles du ciel ne sont que de deux sortes :
Les vivantes d'abord, puis ensuite les mortes.
De ces astres éteints, les pâles rayons d'or,
Partis depuis longtemps en gerbe de lumière,
Viennent frapper encore aujourd'hui notre terre.
Tous ces astres éteints nous éclairent encor.
 
Depuis déjà lontemps est mort le vieil Homère,
Virgile en son tombeau n'est plus que poussière,
Lamartine n'est plus, le grand Corneille est mort,
Jeanne d'Arc est brûlée et Napoléon dort
Sous son dôme de marbre. Ils ne sont plus sur terre,
Au fond de leur cercueil, qu'un peu de poussière ;
Ils ne sont plus ! Mais non ! Le corps tout seul est mort 
Et leurs cerveaux éteints nous éclairent encor...
 
Ils sont toujours vivants ; la pensée a des ailes ! 
Leurs oeuvres ici-bas resteront immortelles.

 


Les âges de la vie

 
L'enfance, c'est l'époque où nul ne peut savoir
Quelle est son origine et son but sur la terre,
Quels sont tous ses devoirs et qu'est-ce qu'il doit faire.
Et c'est l'époque où nul ne sait entendre ou voir.
 
La jeunesse, c'est l'âge où l'on devient soi-même,
Où l'on idéalise, où le coeur est plus chaud,
Où l'on rêve beaucoup. C'est l'âge le plus beau,
Puisqu'enfin maintenant on agit et l'on aime.
 
L'âge mûr est l'époque où le géant rêvé
Dans nos rêves d'enfant passe un peu dans la vie ;
C'est l'époque où l'on meurt pour sauver la patrie...
C'est l'âge de l'ardeur, du courage avivé.
 
La vieillesse est le temps de la flamme dernière, 
Du dernier regard sur nos biens et nos maux, 
L'âge du repentir et l'âge du repos
Avant l'autre repos, au fond du cimetière...
 
Mon Dieu, si je pouvais, selon mon bon plaisir,
Vivre tel ou tel âge, et le vivre sans vices,
C'est l'âge de l'énergie et des grands sacrifices,
C'est l'âge mûr, mon Dieu, que je voudrais choisir.

 


Un beau rêve

 
Sainte Vierge, écoutez le rêve que j'ai fait, 
Et puis, faites qu'un jour mon beau rêve soit vrai.
 
J'étais bien loin, bien loin, tout au fond de l'Afrique.
Là-bas je commandais une troupe héroïque
D'indigènes mêlés à des soldats français.
C'étaient de bons soldats, et moi je les aimais.
 
Et moi j'étais là-bas, un peu missionnaire
Car je leur apprenais à dire la prière.
Je leur disais le soir, au coucher du soleil,
Qu'il faut prier beaucoup notre Mère du ciel.
Je disais que la Vierge appaise la souffrance,
Que la Vierge est aussi bonne pour les soldats,
Et très bonne surtout pour les soldats de France.
Je disais tout cela. C'est bien vrai n'est-ce pas ?
 
Mes soldats m'écoutaient assis devant ma tente,
Et je parlais toujours dans la nuit calme et lente.
Cependant, tout à coup, je disais: «Pour ce soir,
C'est assez. Couchez-vous. Il fait déjà bien noir.»
Et puis le lendemain, revenant en silence,
Ils s'asseyaient vers moi...
Je parlais de la France,
De son vin généreux, de ses riches moissons,
De son sol si divers, des plaines et des monts...
Mais je parlais surtout des faits de notre histoire.
Je parlais, plein de feu, debout dans la nuit noire.
Je parlais des Gaulois, de Vercingétorix,
Qui combattit si bien pour sauver son pays,
Et qui mourut un jour dans les prisons romaines.
- C'est du sang de Gaulois qui coule dans nos veines.
 
Ensuite je parlais des chevaliers croisés,
Du Tombeau délivré, des musulmans chassés,
Du triomphe complet, des ennemis en fuite...
Mes soldats attendaient que je dise la suite.
«C'est triste, mes amis, tout ce qui vient après,
Car notre sol de France était couvert d'Anglais.»
 
Mais je parlais enfin de Jehanne la Pucelle, 
Qui venait pour sauver notre France si belle. 
Je leur disais aussi de l'invoquer souvent.
 
Puis je leur racontais ensuite longuement
L'histoire de nos combats, les victoires royales,
Les cinq coalitions, les luttes impériales,
Puis Napoléon trois, vainqueur les premiers temps...
Et la France écrasée aux pieds des Allemands.
 
Alors je leur disais « Il reste l'Espérance. 
Surtout n'oubliez pas qu'il faut aimer la France

 

Source : copie manuscrite de Joseph Puymoyen

conservée par Pierre Jaillard.

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in La gazette de l'île Barbe n° 4, 11 et 15

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